Découvrez deux destins de vie, deux histoires d'oubliés, enterrés au Cimetière des Oubliés de Cadillac

Pierre Changeur (1885 - 1964)



"Pierre Changeur voit le jour le 31 juillet 1885 à Bordeaux. Devenu adulte, il exerce la profession de courtier, mettant en relation les nombreux vendeurs et acheteurs qui, en ce début de 20e siècle, s’affairent et contribuent à l’intense activité économique de la capitale girondine.

A 20 ans, il s’engage pour trois ans et rejoint dès 1906, le 17ème escadron du train des équipages militaires cantonné à Montauban. Il reste peu temps dans cette armée qui se consacre à la logistique et au transport de matériel. Souffrant de « varices volumineuses et de palpitations rebelles », il est réformé le 12 octobre 1906 et retrouve la vie civile.

Quelques jours après l’entrée de la France dans la Grande Guerre, il s’engage de nouveau. Il part au front le 9 août 1914 au sein du 4ème bataillon de chasseurs à pieds alors dirigé par le commandant Lacapelle. En garnison à Saint-Nicolas de Port, à environ 12 km au sud de Nancy, son bataillon est envoyé en couverture à Chambrey, à la frontière franco-allemande. Chargé d’arrêter les incursions de l'ennemi, il essuie ses premiers tirs de mausers allemands.

Puis, vient la terrible et meurtrière bataille de Morhange, en Moselle. Le 20 août, Pierre Changeur et ses compagnons du 4è B.C.P., affrontent les tirs soutenus de la puissante artillerie allemande, massée sur une ligne de crête, s'étendant de Morhange à Fénétrange. Débordés, les français sonnent la retraite, couverte courageusement par le 4ème bataillon. Quelques jours plus tard, malgré cet échec, le 4ème B.C.P. prendra une part active au sauvetage de Nancy.

Fin août, Pierre Changeur et ses frères d’armes, sont affectés plus à l’ouest, pour protéger l’accès à la Manche. Non loin d’Amiens, le long de la Somme, ils progressent par les villages de Cappy, d’Eclusier, de Frise, de Dompierre pour s’arrêter à la lisière d’Hébécourt. C’est le début de la guerre de tranchée. Pierre Changeur ne reste pas dans la Somme. Le 29 septembre il est affecté au 8e régiment de tirailleurs algériens, sur le front de Champagne. Cité de nombreuses fois à l’ordre de l’armée, ce régiment, a participé à de nombreuses batailles, telle celle de la Marne du 6 au 10 septembre 1914.

Tous ces combats, parfois au corps à corps, tous ces jours et nuits passés sous le feu ennemi, la peur intense, la faim permanente… bouleversent Pierre. Il devient rebelle à toute autorité, son esprit s’égare.

Le 6 mars 1915, le conseil de guerre de la 45e division le condamne à 5 ans de prison pour détention, dégradation de matériel et désertion face à l'ennemi. Finalement ces charges sont vite abandonnées et ses troubles du comportement reconnus comme traumatisme de guerre. Il est réformé en avril 1916.

Il s’ensuit des années d’errance, de délits et de condamnations, pour vols à Toulouse, escroquerie à Nice, abus de confiance et infractions à la police des chemins de fer à Bayonne, filouterie de taxi dans le département de la Seine…

Ce n’est que bien des années après, en 1937, que son engagement et son courage sont reconnus. Il reçoit de la Patrie reconnaissante la croix du combattant, la médaille de la victoire et la croix du combattant volontaire.

Mais jamais il ne se remettra des terribles épreuves traversées. Il est interné à plusieurs reprises, souvent à sa demande, à l’hôpital psychiatrique de Cadillac où il décède le 14 novembre 1964 "


		Dossier de placement d'office de Pierre Changeur à l'Asile Public de Cadillac
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		<i>© AD Gironde</i>


Martin Lesgoirres (1901 - 1964)



Martin Lesgoirres est né le 11 novembre 1901 à Solférino, commune des Landes créée en 1863 par Napoléon III, sur le domaine impérial de 8 000 hectares édifié en 1857.

Son père Jean Lesgoirres et sa mère Maria Lafaurie sont alors cultivateurs à Pontenx-les-Forges, petite commune rurale non loin de Mimizan, dans les Landes. Martin sera ouvrier ou "machineyre " comme on les appelait, dans une scierie qui sans doute opérait, comme beaucoup d’autre dans ce 1er quart du 20è siècle, pour la construction des voies ferrées et le traitement des pins, ensemencés en 1857.

En 1921, âgé de 20 ans, il doit effectuer son service militaire comme tous ceux de sa classe d’âge. Mais, le 5 avril, il ne se présente pas à l’appel pour intégrer le 18è train hippomobile, où il a été affecté. Il sera considéré comme déserteur pendant quelques semaines, sans doute Jusqu’à ce qu’il se présente volontairement, le 29 juin, à son régiment de Mont-de-Marsan.

Son service militaire durera deux ans. En effet, depuis 1920, afin de relever la nation et reconstruire le pays, la durée du service militaire a été réduite. Pendant ces deux années passées sous les drapeaux, Martin sera affecté le 29 juin 1921 au 144e Régiment d'Infanterie, puis le 17 janvier 1922 au 23e Bataillon de Chasseurs à pieds et enfin il rejoint le 25e Régiment de Chasseurs à pieds, le 23 juillet 1922.

Le 1er avril 1923, libéré de ses obligations militaires, il rejoint quelques semaines plus tard Pontenx-les-Forges, son certificat de bonne conduite en poche. Il séjournera alors entre Libourne, Bordeaux, Mont-de-Marsan, et Bayonne.

16 ans plus tard, à l’âge de 38 ans, le 8 septembre 1939, il est mobilisé et affecté au dépôt de guerre du Génie no 6, basé à Angers. Il y reste peu de temps, puisqu’il est fait prisonnier à Calais le 24 mai 1940. Il est envoyé à Kaisersteinbruch, au camp Stalag XVII A, à environ 40 km au sud-est de Vienne, sur les pentes de la Montagne de la Leitha. Il s’agit de l’un des plus grands camps de détention de la Wehrmacht et de l’ensemble du territoire du Reich. En effet, en 1941, lorsque que ce camp est au maximum de sa capacité, il abrite plus de 74 000 détenus dans ses casernes en pierre ou ses baraquements de bois.

Au Stalag XVII A, la vie est dure pour les détenus, tels que Martin Lesgoirres. Souvent réquisitionnés pour travailler dans les usines et fermes avoisinantes, ils sont pauvrement habillés et nourris, beaucoup souffrent de tuberculose et de syphilis.

Après plus de 5 longues années de travail forcé en Allemagne, Martin sera rapatrié le 15 juillet 1945. Il a 44 ans. Comme beaucoup de prisonniers de guerre, son retour n’a dû susciter qu’indifférence et mépris. La comparaison avec les combattants, qui ont défendu vaillamment leur pays, est difficilement supportable. Pourtant, le 15 septembre 1945, très vite, comme pour rattraper le temps perdu, il épouse Marie-Jeanne Lartigue, cultivatrice à Civrac-de-Blaye en Gironde. Il aura cinq enfants, cinq filles.

Mais Martin boit beaucoup, énormément. Il devient violent quand il boit. Il semble incapable de mener une vie paisible et sereine. Admis à l'hôpital psychiatrique de Cadillac, il y décède le 24 mars 1964 à l‘âge de 63 ans.


		Photo d'identité de Martin Lesgoirres

		Bulletin d'entrée de Martin Lesgoirres
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		<i>© AD Gironde</i>