Les artisans de L'Hermione : les forgerons
Parmi la dizaine de forgerons ayant travaillé sur le chantier de L'Hermione, Aurélien Velot, Benoît Parnet et Jérôme Truchard ont participé à la fabrication des pièces d'accastillage. De formation de forgeron, de serrurier-métallier ou de coutelier, ces trois artisans nous livrent leurs souvenirs de chantier...
Carnet du patrimoine
Publié le 6 juillet 2017
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Cinq ans d'expérience passionnante pour un chantier exceptionnel
C'est un expérience très enrichissante au niveau des acquis personnels et des savoir-faire. On a fait tout un panel de pièces très intéressantes techniquement, des choses qu'on ne sera jamais amené à faire ailleurs, mais qui nous auront permis d'acquérir beaucoup d'expériences assez rapidement.
Jérôme Truchard
C'est une riche expérience, je pense qu'on a eu la chance de participer à cela dans notre vie professionnelle.
Benoît Parnet
Des milliers de pièces singulières
Pendant leurs cinq années sur le chantier, les trois forgerons ont réalisé :
- un peu plus de 120 équerres fabriquées sur mesure pour renforcer les courbes de bau (grosses poutres transversales) faites en deux pièces de bois ;
- des outils et des pièces forgés spécialement pour les charpentiers et l'ébéniste ;
- des cerclages à froid pour les mâts (pour être démontables, contrairement à ce qui se faisait au 18e siècle où le cerclage se faisait à chaud) ;
- des cerclages carrés posés à chaud pour le safran et les bossoirs, qu'ils ont dû imaginer, faute de sources écrites ;
- des séries d'une centaine de pièces identiques, pour lesquelles ils ont dû établir des schémas de fabrication très précis ;
- des milliers de clous, anneaux, crochets, pitons, poteaux…
L’anneau est une pièce techniquement difficile mais intéressante à faire, qui implique de maîtriser de nombreuses étapes de forge et de fabrication.
Le fanal de poupe qui sera fait au retour des essais en mer est la belle pièce de ferronnerie du bateau, le reste est plutôt de la grosse forge.
Aurélien Velot
Film "Forgeron sur L'Hermione"
Un projet... L'Hermione... Un métier... forgeron, Portrait... Jérôme Truchard.
Film réalisé par Imagine créations pour l'Association Hermione-La Fayette, mars 2011, 00:03:48.
Le travail du feu
Le feu, alimenté par du charbon de bois ou de terre, chauffe le fer entre 1200 et 1400 degrés pour le rendre malléable. Cette première étape, qui représente 80 % du travail en forge de marine, est suivie de l'usinage, de l'assemblage-finition. Le chantier a permis d'acquérir énormément d'expériences à la forge. Dans ce métier, les techniques n'ont pas varié depuis le 18e siècle, mais l'utilisation de l'électricité a tout changé : la meuleuse a remplacé la lime, la soudure à la forge se fait maintenant au poste à souder.
Là où devaient travailler plusieurs personnes, un seul forgeron peut le faire désormais.
La quasi-totalité de la production de la forge a été réalisée en fer pur, à l'exception de certaines pièces demandant plus de résistance, faites en acier doux.
Le fer pur garde bien la chaleur, est très malléable, se forge bien et, par conséquent, est plus agréable à travailler. Il rouille mais s'altère moins que l'acier.
Les pièces réalisées sont marquées du poinçon de l'atelier de forge de L'Hermione, une ancre de marine.
Pour se sentir à l’aise dans le travail, il faut énormément pratiquer. Avec l'expérience, on sent la matière entre le marteau et l’enclume. La chance au chantier, c'est que 90 % de la pièce est forgée, on passe donc huit heures par jour, sept jours sur sept quasiment, à forger. On apprend très vite et on acquiert beaucoup d’expérience. Ce qui était très intéressant, tout du moins quand j’y étais, c’est que pour un maximum de pièces à fabriquer, on essayait d’avoir la même démarche, la même approche qu'au 18e siècle. Les architectes nous donnaient les plans des pièces définitives et nous devions trouver tout le cheminement inverse de la fabrication pour déterminer les sections d’origine qui nous permettait d’arriver à la pièce au final.
Jérôme Truchard
Avant 2005-2006, les entreprises travaillaient au forfait mensuel, selon une évaluation des frais liés aux salaires et aux matières premières. Depuis 2006, le bureau d’étude, qui est maître d’œuvre, nous envoie les plans qu'il a réalisés avec l'aide du comité historique et du comité technique, accompagnés d'un appel d’offre pour une tranche de travail précise. On peut donner notre avis en amont sur des détails de fabrication et ensuite on fait notre devis. L’architecte donne son avis sur notre proposition, mais c’est l’association, maître d'ouvrage, qui passe commande. C'est encore l'architecte qui examine les pièces avant de les accepter.
Aurélien Velot
Au début du chantier, les premiers forgerons consignaient les différentes méthodes de fabrication des pièces, de manière à ce qu'un nouveau-venu puisse s'y référer et enchaîner la fabrication. Malheureusement ce document a disparu, ce qui prive l'association d'un travail de mémoire sur le chantier, sur les méthodes utilisées.
Jérôme Truchard
La forge, un atelier d'animation
Les trois forgerons ont été tenus, par leur contrat avec l'association Hermione-La Fayette, à consacrer du temps pour montrer et expliquer leur travail aux visiteurs.
Le public, là, derrière les barrières à trois mètres, c'est une expérience nouvelle, très déstabilisante… au début, j'étais intimidé et puis, au fil du temps, on s’habitue. Parfois, on est heureux de revenir tranquille dans son atelier où on est bien concentré, mais je trouve que c’est intéressant aussi de transmettre son métier.
Benoît Parnet
Au tout début, il y avait l'idée de faire de la démonstration tout en faisant des pièces. J’ai le souvenir que lorsqu'ils ont fait les supports des marteaux, des espèces d’anneaux, ils auraient pu tout souder à l’arc, mais non, ils ont soudé, riveté à chaud, donc ils ont pris le temps. Puis, il a fallu que l'on soit plus productif, mais néanmoins, on cherchait à se rapprocher des techniques anciennes.
Benoît Parnet
Pour les pièces soudées à la forge, selon la couleur, l’œil détermine les températures. Il faut chauffer à blanc et quand on martèle pour faire la soudure, il y a énormément de projections qui s’opèrent… A chaque fois qu’on était amené à faire ce type de d’opération, on demandait au public de s’écarter, mais il y avait souvent quelqu'un qui s'approchait pour prendre une photo. Il a été décidé d'agrandir l’atelier pour créer un troisième poste de travail, nous donner un peu plus d’espace et limiter l’accès du public.
Jérôme Truchard
Mon idée, c’est vraiment de montrer le métier tel qu’on peut le faire aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on utilise la découpe numérique, on ne le cache pas, on utilise le poste à souder électrique, on ne le cache pas, on ne cache rien, on est une entreprise d’aujourd’hui.
Aurélien Velot
Remerciements à Benoît Parnet, Jérôme Truchard et Aurélien Velot, ainsi qu'à l'Association Hermione-La Fayette.
Entretiens recueillis par Willy Paroche, association AREAS.
Article : Pascale Moisdon.