Une famille, deux tableaux, trois œuvres
L’étude des objets mobiliers réserve parfois de bien belles surprises aux chercheurs. C’est le cas de ces deux tableaux conservés dans l’église d’Availles-Limouzine, qui sont en réalité, non pas deux, mais trois œuvres distinctes. Une minutieuse enquête permet de lever le voile sur une partie de leur histoire complexe et enchevêtrée.
Carnet du patrimoine
Publié le 13 février 2024
# Vienne, Availles-Limouzine
# Opération d'inventaire : Vallée de la Vienne
# Tableau
# 17e siècle
Le premier tableau
Quand et comment ce tableau s’est-il retrouvé dans la crypte de l’église ? D’où provient-il ? La découverte d’un contrat passé devant notaire [1] pour un second tableau permet d’en savoir davantage sur ses origines.
Le second tableau : l’œuvre originale
Ce second tableau se trouvait initialement dans la chapelle du bras nord du transept, il est aujourd’hui exposé dans le chœur de l’église.
Lorsqu’il peint ce tableau en 1632, César Lory ne fait pas qu’imiter le cadre et s'inspire également, peut-être à la demande expresse de ses commanditaires, du Christ en croix de Von Aachen et Sadeler pour réaliser sa propre composition. Mais le tableau ayant été repeint à une date ultérieure, la correspondance entre les deux tableaux n’est plus visible aujourd’hui. Du moins pas à l’œil nu... C’est une restauration de ce second tableau, menée en 2004 par l’atelier Verre-Jade, qui a permis de révéler l’existence de l’œuvre sous-jacente et, grâce aux rayons X, sa composition originale.
Les photographies prises aux rayons X montrent que le Christ en croix est directement inspiré du premier tableau. Conformément au marché, César Lory représente la Vierge, à gauche du Christ et saint Jean à droite. C’est cette peinture sous-jacente qui a permis d’établir que le premier tableau devait être celui qui décorait la chapelle seigneuriale du château de Vareilles, dont parle le marché de 1632. Pillés lors de la Révolution, le château et la chapelle sont en ruines au début du 19e siècle. Le tableau a-t-il pu être déposé dans la crypte par mesure de protection ? Il n’a pas été possible de l’établir avec certitude pour le moment. On ne sait pas non plus si César Lory avait représenté tous les personnages également commandés dans le contrat de marché, l’analyse effectuée lors de la restauration montre que le tableau a été réduit lors du repeint.
Le second tableau : le repeint
La date de ce repeint n’est pas certaine, on ne peut qu’échafauder des hypothèses pour tenter de restreindre la fourchette chronologique. François et Marguerite Compaing décèdent tous les deux en 1637. Leur fille, Jacquette, a épousé en 1624 Bernard de la Broue, seigneur du Pouyaud, dont elle a eu un fils prénommé François, comme son grand-père, la même année. François de la Broue épouse à son tour Gabrielle-Aymerie-Hélyes de la Roche-Esnard en 1657. Le 28 mars 1663, son père et lui sont accusés d’avoir assassiné le marquis du Vigeant en forêt de Verrières. Malgré leurs dénégations et face à une volonté manifeste de ne pas prendre en compte les témoignages les disculpant [3], ils sont condamnés à mort et exécutés. Leur innocence est établie peu de temps après, par l’arrestation des véritables coupables. Est-ce à l’occasion du mariage de François de la Broue de Vareilles en 1657 que le tableau a été repeint ? Le Christ en croix est copié d'après une œuvre de jeunesse (1637) de Charles Le Brun (1619-1690), le futur Premier peintre de Louis XIV, reproduite vers 1650 par le graveur François de Poilly (1623-1693). Les vêtements des donateurs représentés confortent l’hypothèse d’un repeint postérieur à 1650. Si les commanditaires sont François de la Broue de Vareilles et sa femme, Gabrielle de la Roche-Esnard, le repeint n’a pas pu être exécuté après 1663, année de la mort de François de Vareilles. La présence du franciscain, peut-être saint François d’Assise, renforce l’idée que c’est François de la Broue de Vareilles qui est représenté, mais la sainte figurée de l’autre côté du Christ n’a pas été identifiée.
César Lory, un peintre presque inconnu
Nous n’avons que peu d’informations sur le peintre du tableau sous-jacent, César Lory. Pierre Rambaud indique qu’il serait né à Verteuil-sur-Charente [4]. Toujours d’après lui, il aurait été chargé en 1617 de peindre, avec René Bouguin, la chapelle Saint-André, dans l’église de Saint-Pierre-le-Puellier de Poitiers (église disparue au 19e siècle). Le 17 septembre 1629, il passe un marché avec le baron de Montenat et du Cérier, Paul d’Archiac, pour plusieurs travaux dans sa maison noble du Cérier. A ce moment, il réside encore à Verteuil-sur-Charente. A la fin de l’année 1629, on le trouve à Pressac, où il passe un contrat avec Louis Delachâtre, un marchand habitant au hameau de Fliers à Availles, qui met son fils, François, en apprentissage chez lui pour trois ans [5]. Grâce au contrat passé en 1632, on sait qu’il réside alors à Availles-Limouzine, au château de Vareilles. Son fils qui naît le 28 mars a d’ailleurs pour parrain François de la Broue, et sa fille, Jeanne Compaing, pour marraine. Outre ce marché, il contracte également en 1634 avec Simon Géry, pour confectionner une bannière de procession pour la confrérie availlaise du Saint-Sacrement. Il habite alors dans un faubourg d’Availles. Enfin, le 13 mai 1635, sa femme accouche de deux filles, Catherine et Serayne, toujours dans cette paroisse. Puis sa trace disparaît…
Auteurs : Myriam Favreau, avec la collaboration de Jean-Philippe Maisonnave
Notes
[1] - Marché entre François Compaing seigneur de Vareilles et César Lory, maître peintre (22 janvier 1632). Archives départementales de la Vienne, 4 E 17/10.
[2] - Monsieur du Pouyaud est leur gendre, Bernard de la Broue, qui a épousé en 1624 leur fille Jacquette. Les demoiselles du Pouyaud ne sont pas identifiées. Mademoiselle de la Benestière peut désigner soit Jacquette, soit Jeanne Compaing, les deux filles de François et Marguerite Compaing de Vareilles.
[3] - Procès-verbal d’interrogatoire de témoins du 31 août 1664, transcrit par Victor Bardet. Archives départementales de la Vienne, 16 J 1/376.
[4] - Rambaud, Pierre. « Les artistes du Poitou », Société des Antiquaires de l’Ouest (1920).
[5] - Archives départementales de la Vienne, minutes notariales de maître Beau, 4 E 17/1-1.
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Tableau du Christ en croix
DossierDossier d'oeuvre objet mobilier
Ce Christ en croix est la copie d'une composition de Hans von Aachen, reproduit par le graveur anversois Aegidius II Sadeler en 1603-1604. Cette copie a pu être réalisée au plus tôt vers 1605-1610, et son auteur n'a pas été identifié ...
Tableau du Christ en croix
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Titre : Tableau du Christ en croix
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Période : 1er quart 17e siècle (incertitude) , 19e siècle
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Localisation : Vienne , Availles-Limouzine , $result.adressePrincipale
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Date d'enquête : 2019
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Auteur du dossier : Allard Thierry , Favreau Myriam , Maisonnave Jean-Philippe
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Copyright : (c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel
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Tableau du Christ en croix avec deux donateurs
DossierDossier d'oeuvre objet mobilier
Ce tableau a été commandé en 1632 par le seigneur de la Broüe de Vareilles et son épouse, Marguerite d'Alloue, au peintre César Lory. Il était destiné à orner l'autel de leur chapelle nouvellement édifiée ou réédifiée dans l'église d'Availles ...
Tableau du Christ en croix avec deux donateurs
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Titre : Tableau du Christ en croix avec deux donateurs
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Auteur de l'oeuvre : Lory César
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Période : 2e quart 17e siècle , 1er quart 18e siècle (incertitude) , 1er quart 21e siècle
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Protection : inscrit au titre objet (1966/12/16)
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Localisation : Vienne , Availles-Limouzine , $result.adressePrincipale
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Date d'enquête : 2019
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Auteur du dossier : Allard Thierry , Favreau Myriam , Maisonnave Jean-Philippe
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Copyright : (c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel
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