Lorsque Claude Masse, ingénieur du Roi sous Louis XIV, est chargé d’établir la cartographie « des costes du Bas Poitou, pays d’Aunis, Saintonge et partie de Médoc », il perpétue une longue tradition française d’inventaires du territoire, essentiellement à des fins politiques et militaires. Mais derrière le prodigieux travail de cartographie réalisé par l’ingénieur, une autre se fait jour dans les commentaires l’accompagnant, moins scientifique, plus intuitive, une sorte de géographie affective– pas toujours élogieuse à l’égard des habitants – décrivant les us et coutumes des territoires traversés. En se livrant à cette collecte, il préfigure celle de ce que nous appelons aujourd’hui le patrimoine immatériel, une photographie de l’époque qui ne dit pas son nom et que peintres et graveurs se chargeront de fixer : scènes du quotidien, peinture « marine » brossant l’ambiance des ports... C’est dans cet héritage historique de cartographie affective ou sensible que se situe le travail du photographe Sébastien Sindeu. Depuis vingt ans, il arpente les côtes françaises, et notamment, depuis 2014, la côte néoaquitaine, en s’intéressant au phénomène d’érosion du littoral, mais aussi à notre rapport à ce territoire, aux éléments, aux vacances, à la mémoire… Son protocole de travail est résolument protéiforme. Photographies, vidéos, témoignages, objets-souvenirs et cartes-postales dialoguent les uns avec les autres, dessinant cette carte sensible de notre rapport au trait de côte et à l’immensité de l’océan.

Précisons-le tout de suite : nous ne vivons pas tous le littoral de la même façon, que l’on se situe sur terre ou en mer, que l’on observe la côte des hauteurs de Guéthary, dans les marais de Brouage sous le niveau de la mer, à bord d’un chalutier ou sur le front de mer à Mimizan, serviettes et seau à la main. Le point d’observation en dit long sur la nature du rapport que nous entretenons avec cet océan, tantôt fascinés, tantôt méfiants. Littérature et contes populaires sont d’ailleurs là pour le rappeler, de la figure des naufrageurs au XVIIIe siècle à, plus prosaïquement, la carte-postale envoyée un jour de pluie un 15 août au bistrot du port de Saint-Denis-d’Oléron.

En interrogeant ces différents rapports au territoire, Sébastien Sindeu cherche à saisir toute la richesse et la diversité du patrimoine culturel immatériel de cet espace géographique singulier et de ses usages, mais aussi à faire émerger un récit de territoire commun.

Ce travail de collecte s’organisera à partir des trois lieux d’observations proposés par le service du patrimoine et de l’Inventaire, lieux qui justement proposent et concentrent des topographies très différentes de ce littoral – marécageuse, sableuse ou rocheuse.

Extrait de la proposition artistique de Sébastien Sindeu, Ce que charrie la mer, novembre 2023.