L’apparition de la notion de patrimoine au 19e siècle s’est accompagnée d’une prise de conscience de sa nécessaire protection. Mais ce patrimoine n’a longtemps renvoyé qu’à des éléments monumentaux. Dans la deuxième moitié du 20e siècle, sous l’impulsion d’André Malraux et d’André Chastel, le champ patrimonial s’est étendu bien au-delà des cathédrales. Et le travail de l’Inventaire - ce n’est pas la moindre de ses vertus - a favorisé la connaissance et la mise en lumière d’une vision à la fois élargie et affinée du patrimoine, qui peut être rural, industriel ou paysager.
Des kilomètres parcourus à travers villes et campagnes, des liasses d’archives dépouillées ont permis de constituer une documentation unique, quantitativement et qualitativement reconnue pour sa valeur scientifique et solidement assise sur son socle normatif. Cette qualité et cette rigueur des documents produits par les chercheurs de l’Inventaire en font aujourd’hui une ressource originale et appréciée.
Du statut de ressource au rang de patrimoine
De la même manière qu’un manuscrit ou qu’une plaque photographique ancienne sont reconnus comme objets patrimoniaux en tant que tels, la photographie du patrimoine, comme l’avance Michel Melot : « n’est pas une reproduction, c’est un nouveau patrimoine […]. Les archives de l’Inventaire sont entrées dans notre patrimoine »[1]. Aussi, si l’on estime que ces photographies, dossiers, notices ou relevés d’architecture constituent un pan de notre patrimoine, l’urgente nécessité de leur préservation s’impose-t-elle à nous. Pourtant, cette nécessité ne va pas forcément de soi. D’une part, économiquement cette préservation a un coût. D’autre part, elle implique également de convaincre des décideurs non-initiés que la suppression, pure et simple, d’un fonds de négatifs photographiques, sous prétexte de numérisation, ne peut constituer une solution raisonnable.
Parce qu’elle permet une consultation plus aisée pour tous, la documentation électronique – le dossier électronique[2] – s’affirme comme une évolution impérative, irréversible et adaptée à une communication moderne comme à la volonté revendiquée de diffusion et de valorisation des travaux de l’Inventaire. Cependant, elle requiert la capacité et le choix d’une réactivité perpétuelle aux nouvelles technologies. Et même si cette réactivité doit rester empreinte de vigilance, face à l’évolution des supports de stockage et au regard de l’expérience de l’obsolescence des cartes perforées et des disquettes, seules la numérisation et l’inlassable migration des données garantiront leur sauvegarde.
Le monument est conçu pour durer mais sa régénération passe par des restaurations régulières et sa pérennité reste soumise à des aléas. « Grâce à la protection ˝symbolique˝ de l’Inventaire, par les mots et les images, l’élément physiquement détruit conserve au moins une fonction de témoin »[3]. C’est la fonction du document d’accompagner et d’orienter l’action. Mais s’il devait arriver que ne subsiste que le document, n’attendons pas que les ressources documentaires viennent à se tarir pour prendre conscience de leur fragilité et nous donner les moyens d’assurer leur intégrité et leur conservation.
Christophe RAMBERT, documentaliste au service régional du patrimoine et de l’Inventaire, Région Aquitaine.