Ferme dite Cigogne

France > Nouvelle-Aquitaine > Charente-Maritime > Saint-Jean-de-Liversay

La métairie de Cigogne faisait partie de ces petits établissements mi-religieux mi-agricoles créés en plein coeur des marais dès le Moyen Âge, bien avant le dessèchement de ces derniers (qui n'eurent lieu autour de Cigogne qu'au milieu du 17e siècle). Etablie sur un îlot portant le même nom, Cigogne appartient à la fin du Moyen Âge (et sans doute avant) au monastère Saint-Gilles de Surgères, une aumônerie fondée au 11e siècle. En 1326, la liste des contributions levées par le pape Jean XXII sur la province de Bordeaux et le diocèse de Saintes, mentionne le "prior de la Cigonghe", dépendant de l'archiprêtré de Surgères. En 1554, Jehan de Chasteaubriant, prieur de Saint-Gilles, arrente la "maison de Cigougnes avec toutes ses appartenances de maisons, terres, prés, bois, marais, pêcheries" et aussi la chapelle qui s'y trouve, à Nicolas Babin, laboureur qui y demeure déjà, successeur de Jehan Babin, son père, qui avait passé la même baillette en 1528. La baillette est passée en échange du paiement de quatre livres, quatre chapons et un demi-millier d'anguilles par an. Pendant les guerres de Religion, Cigogne n'échappe pas aux combats et sans doute aux destructions. Le 23 octobre 1572, un capitaine catholique du nom de du Vigean est attaqué par des protestants "dans sa retraite du hameau de Cigogne". En juillet 1586, l'île de Cigogne est mentionnée comme l'une des bases des troupes catholiques préparant le siège de Marans.

Après le siège de La Rochelle de 1627-1628, l'aumônerie Saint-Gilles de Surgères et tous ses biens sont donnés par le roi Louis XIII aux minimes de La Rochelle. La paix revenue, ces derniers profitent des dessèchements de marais lancés au milieu du 17e siècle pour valoriser leur bien. Dès avant le début des travaux dans les marais de Saint-Jean-de-Liversay, ils font venir de nouveaux colons à Cigogne. Le 10 juin 1652, un "Flamand de nation", c'est-à-dire un Hollandais, Piter-Corneille Hocbon est mentionné comme fermier de la métairie de Cigogne. Ne sachant pas parler français, il s'exprime "par la bouche et organe" de son fils. L'exploitation de Cigogne est confiée quelques années plus tard à Louis Blanchet dont la fille, Bastienne se marie en 1657 à Marans avec Louis Guérin. Louis Blanchet demeure encore à Cigogne en 1678. Le 3 octobre 1663, les minimes de Surgères s'entendent avec la Société des marais desséchés de Taugon-La Ronde-Choupeau-Benon pour pouvoir dessécher leurs marais de Cigogne en utilisant le canal de la Banche dont ils autorisent en échange le passage sur leur propriété. Placée à l'extrémité d'un des principaux canaux de Cigogne, une vanne ou bonde permettra l'écoulement de l'eau dans ledit canal, en échange d'une participation financière à son entretien. Les minimes pourront aussi établir par-dessus le canal de la Banche un pont permettant d'accéder à leurs marais (pont de Cigogne).

Quant à la chapelle de Cigogne, site d'un pèlerinage rendu à saint Guinefor ou Gunifor (martyrisé au 3e siècle et fêté le 22 août) et à saint Gilles (vivant au 8e siècle et célébré le 1er septembre), et dont l'origine n'est pas connue, elle est mentionnée le 8 février 1718 dans une déclaration de biens rendue par les minimes de Surgères. Ce document indique "la maison de Sigogne où il y a une chapelle fondée de Saint Guinefor". A la même époque, en 1720, l'île de Cigogne et sa chapelle apparaissent sur la carte de la région par Claude Masse. L'accès s'effectue alors via la digue qui relie Cigogne et Thairé-le-Fagnoux. C'est aussi en ce début du 18e siècle que s'élève un contentieux entre les minimes de Surgères, propriétaires de Cigogne, et la Société des marais desséchés de Taugon-La Ronde-Choupeau-Benon au sujet de l'utilisation du canal de la Banche. Entre 1719 et 1740, quatre arrêts du Parlement de Paris viennent condamner les minimes à payer leur dû à la Société (ce type de contentieux se répète à plusieurs reprises aux 18e et 19e siècles). Dans les années 1770, Jean-Charles-Thomas Becquet, bourgeois, époux de Catherine Texier, est mentionné comme demeurant à Cigogne. Il en est le fermier pour le compte des minimes de Surgères, et en sous-afferme l'exploitation à des cultivateurs, comme Simon et Pierre Albert, en janvier 1776. En 1785, sa fille, Marie-Antoinette-Victoire Bequet, demeurant à Cigogne, épouse Augustin Texier, marchand et fermier à Marans.

Les minimes de Surgères se défont finalement de Cigogne en 1784, après des siècles de possession. La "cabane de Cigogne", qui comprend des "bâtiments, cours, jardins, chapelle, marais desséchés et non desséchés", est alors acquise par Luc-René Denfer du Clouzy (1736-1807), demeurant à Fontenay-le-Comte, un notable dont la famille est déjà bien implantée à Vix et dans les environs (sous la Révolution, il est commandant de la garde nationale de Fontenay-le-Comte et directeur de la Société des marais desséchés de Vix-Maillezais). Peut-être est-ce lui qui fait agrandir la partie nord-est du logis dont le style architectural accuse la seconde moitié du 18e siècle, quand le reste, au sud-ouest (avec porte en plein cintre), paraît plus ancien (17e siècle ?). Au cadastre de 1811-1813, Cigogne appartient à son fils, Pierre-Marie Denfer du Clouzy (1769-), officier sous la Révolution, époux de Jeanne Gallot des Orières. Le plan cadastral (comme la carte par Claude Masse en 1720) montre le logis avec une courte aile en retour d'équerre au nord, et la chapelle au nord de l'ensemble, ainsi qu'un autre bâtiment (dépendance ?) au nord-est de celle-ci (à l'emplacement de la seconde ferme aujourd'hui observé sur le site). Le reste des bâtiments actuels (dépendances au nord-est de la cour) n'existe pas encore.

Au cours du 19e siècle, Cigogne est, comme auparavant, confiée à des fermiers successifs. En 1838, l'inventaire après décès des biens de Marie-Anne Plaire, épouse de Jean-Louis ou François Filloneau, fermier à Cigogne, mentionne la chapelle comme "une simple chambre" n'accueillant plus de culte mais abritant des roues de carrioles. Au recensement de 1846, François Fillonneau, remarié avec Marie-Anne Mandineau, y est toujours cabanier avec ses quatre enfants et six employés. Lui succède son fils, Jean-François Fillonneau, époux de Rose Clavurier. La famille Fillonneau reste à la tête de l'exploitation pendant tout le 19e siècle. En 1901, Jules Filloneau, fils des précédents, né en 1863 à Cigogne, époux de Marie-Louise Renaud et qui exploite des machines agricoles, fait construire un entrepôt dans le bourg de Saint-Jean-de-Liversay. Mais selon les recensements de l'époque, il n'habite déjà plus à Cigogne. Au recensement de 1906 et jusque dans les années 1920, la ferme est exploitée par Pierre Guenon et Marie Manteau, puis par leur fils Léandre Guenon. Dans les années 1940, elle appartient à M. Roulet et à M. Coyreau des Loges.

Quant au culte rendu dans la chapelle à saint Gilles et saint Gunifor, il est réhabilité dans les années 1940 par l'abbé Raud, curé de Saint-Jean-de-Liversay, et prend alors la forme d'un pèlerinage à la Vierge, ici dénommée Notre Dame de Cigogne ou Marie reine de la Plaine et du Marais. Le pèlerinage, célébré fin août-début septembre, est actif jusqu'aux années 1960 (avec une interruption pendant la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle Cigogne est réquisitionnée par les troupes allemandes). On vient prier les deux saints en faveur des infirmes et des malades, les enfants notamment. Selon la tradition, il convient de brûler trois cierges devant le tableau représentant les deux saints afin d'obtenir leur intercession, mais aussi de placer la tête de l'enfant malade (ou "le mettre en boîte") dans une niche placée dans le mur à côté de l'autel. Ce pèlerinage tombe en désuétude dans les années 1960-1970. La tempête de décembre 1999 endommage une partie des bâtiments, notamment la chapelle, depuis lors en ruines.

Périodes

Principale : 17e siècle, 2e moitié 18e siècle

La ferme, encore en activité, est située sur un îlot calcaire, à quelques centaines de mètres à l'ouest du hameau de Thairé-le-Fagnoux. Les bâtiments sont rassemblés au nord d'une vaste cour dans laquelle se trouve un puits à l'usage indéterminé (départ de souterrain que la tradition orale assure relié au moulin Etien, à Thairé-le-Fagnoux ?). Sur le côté nord-est de la cour se trouve une vaste grange-étable-écurie à façade en partie sur le mur pignon.

Le logis s'élève en face, sur le côté nord-ouest de la cour. Il est constitué de deux corps de bâtiments dans le prolongement l'un de l'autre. Le corps ouest est en simple rez-de-chaussée avec grenier. Il présente six travées d'ouvertures, dont une porte avec arc en plein cintre et clé de linteau saillante sur laquelle est gravée une forme géométrique (disque traversé de rayons et inscrit dans un carré). Le corps de bâtiment oriental est, lui, haut d'un étage et d'un étage en surcroît (lequel semble résulter d'un abaissement possible du bâtiment, avec suppression d'un second étage). La façade de ce second corps, caractéristique du 18e siècle, présente trois travées d'ouvertures, avec pleins de travées appareillés. Les baies, larges, possèdent chacune un linteau en arc délardé et un appui saillant. Une corniche couronne l'élévation.

A l'arrière de ces différents bâtiments, au nord, se trouve l'ancienne chapelle, lieu de l'ancien pèlerinage. A l'état de ruines, il s'agit d'un corps de bâtiment avec toit à longs pans, prolongé au sud par un autre en appentis.

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Charente-Maritime , Saint-Jean-de-Liversay

Milieu d'implantation: isolé

Lieu-dit/quartier: Cigogne

Cadastre: 1811 A 1, 2019 ZY 88, 90

Localiser ce document