Maison, dite la Commanderie

France > Nouvelle-Aquitaine > Gironde > Saint-Émilion

Cette maison que la tradition locale nomme "la Commanderie", bien qu'aucune implantation templière ou hospitalière ne soit attestée dans la ville, est l'une des plus dessinées de Saint-Emilion. Cette imposante bâtisse édifiée dans la deuxième moitié du 12e siècle connut une seconde campagne importante à la fin du 15e siècle. Elle faisait à l'origine partie d'un îlot plus vaste puisqu'elle était reliée à la maison 320, dite "de la Cadène", avant que le percement de la rue Guadet au début des années 1870 ne vienne éventrer cet ensemble. La façade occidentale de la maison a entièrement disparu suite à ces travaux mais elle nous est connue par plusieurs dessins de Drouyn (qui fournissent l'état le plus ancien), Piganeau et Marquessac ainsi que par deux photos.

Périodes

Principale : 2e moitié 12e siècle

Principale : limite 15e siècle 16e siècle

Avant les destructions de la fin du 19e siècle, ce bâtiment, édifié en pierres de taille de moyen appareil soigneusement assisées, conservait l'intégralité de son enveloppe médiévale. Il présentait alors un plan massé, presque carré, avec une élévation de deux étages carrés surmontés d'un niveau de comble, probablement ajouté lors des travaux du 15e siècle. Implanté sur la rupture de pente entre ville haute et ville basse, ce bâtiment renferme un haut étage de soubassement rattrapant l'importante différence de niveau entre l'actuelle rue Guadet à l'ouest et la rue de la porte Brunet à l'est. Seuls les pignons, au nord et au sud, ainsi que les soubassements du gouttereau oriental conservent des éléments médiévaux, la façade occidentale ayant été amputée puis reconstruite suite au percement de la rue Guadet au début des années 1870. La façade orientale, sur la rue porte Brunet, fut également entièrement reconstruite, soit au même moment, soit quelques années plus tôt, une photographie attestant de travaux sur cette maison durant les années 1860.

La partie la mieux conservée est le pignon sud dont le parement est cependant très usé et présente de nombreuses reprises. Cette façade est divisée verticalement par un fin pilastre semblable à ceux décrits sur les maisons romanes formant l'enceinte de la ville. Le niveau de soubassement est aujourd'hui masqué par une escalette reliant les rues Guadet et de la porte Brunet. Le premier étage, qui correspond au rez-de-chaussée sur la rue de la Porte Brunet, semble n'avoir jamais eu d'ouverture sur ce pignon sud. Ici, le décor se concentre sur le deuxième étage, souligné par un cordon d'appui régnant sur l'ensemble de la façade et orné d'une double frise de dents de loup. De part et d'autre du pilastre central, le mur est ajouré de deux fenêtres romanes géminées. Leurs baies sont couvertes d'un tympan composé de deux dalles, dont le champ est évidé, à l'exception d'une bande à l'extrados qui simule une archivolte. Du fait de l'état très dégradé de la pierre, cette disposition d'origine n'est aujourd'hui presque plus visible mais elle se devinait encore sur les cartes postales anciennes, signe de la dégradation rapide des parements. Les tympans de ces baies sont découpés d'arcs en plein cintre, aux arêtes vives, qui retombent sur une colonnette centrale et des colonnettes engagées dans les piédroits (composées avec les assises de ces derniers). Les bases de ces colonnettes sont profilées d'un mince tore, d'une scotie et d'un gros tore cantonné de griffes en volutes aux angles. Seuls les chapiteaux des colonnettes centrales sont intacts. Sur la corbeille du chapiteau occidental, deux feuilles grasses issant d'un mince astragale torique recourbent leurs pointes sous les angles d'un abaque nu ; le tailloir a disparu, alors que le cordon d'imposte oriental, en place, est profilé d'un bandeau chargé d'une frise de petits triangles sur la pointe, au-dessus d'un large biseau décoré de fleurs à quatre pétales séparées par de grosses perles. Le chapiteau de la baie occidentale présente un épannelage plus sommaire : il a dégagé, sous chaque angle de la face antérieure, une protubérance ovoïde entourée d'un galon perlé ; les deux galons se poursuivent jusqu'au milieu de l'abaque, ici découpé, pour esquisser deux dés aux angles (ce détail était plus visible sur les photos anciennes). Le bas de la corbeille est à peine aminci et la silhouette est lourde. Les cordons d'imposte présentent le même profil que celui du cordon de la fenêtre voisine. Le tailloir de la colonnette centrale présente également le même profil, mais sans décor. Au-dessus de ces fenêtres, une corniche en quart-de-rond forme un encorbellement qui porte la galerie sommitale, terminée dans l'angle sud-est par une échauguette de plan circulaire, portée par 3 assises en quart de rond, sur un culot. Ce dispositif appartient à une campagne du 15e siècle, qui a également remonté le pignon, apparemment en retrait par rapport au nu extérieur du mur roman. Deux cheminées y ont été adossées au 19e siècle, ce qui a conduit à murer les fenêtres géminées romanes de l'étage inférieur. Le mur est cantonné dans son angle sud-ouest par une tourelle de plan carré, reconstruite à la fin du 19e siècle mais qui reproduit la silhouette de la tourelle qui existait avant l'aménagement de la rue Guadet. Les dessins anciens et la description faite par Drouyn indiquent qu'il s'agissait d'une tour de latrines desservant tous les étages.

La façade occidentale, entièrement détruite par le percement de la rue Guadet, est bien connue grâce à la documentation ancienne. Outre la tourelle carrée dans l'angle sud-est, cette façade était épaulée par un fin pilastre implanté au nord. Le rez-de-chaussée forme le haut niveau de soubassement qui occupe près de la moitié de la façade. Il était percé de deux portes et d'une petite fenêtre probablement récentes ; mais à l'origine, ce niveau n'était doté que de petites fentes d'éclairages percées très haut. Le premier étage présentait un cordon d'appui régnant, englobant le pilastre, partiellement conservé sur la moitié nord mais il ne reste aucune ouverture médiévale, les deux fenêtres percées au sud étant modernes. Comme sur la façade sud, c'est le deuxième étage qui concentrait le décor; Il conservait une partie des cordons d'appui et d'imposte qui à l'origine, devaient régner sur toute la longueur. Au nord, une petite fenêtre romane, prenait place entre l'angle et le pilastre. Couronnée d'une archivolte en plein cintre, cette fenêtre semble d'un type assez proche de la baie barlongue conservée sur la maison 385-1 et pourrait n'avoir jamais eu de colonnette. Au centre de la façade, une large fenêtre à meneau fut percée au 15e siècle ; aménagée assez haut, elle était couverte d'un linteau sculpté d'une grande accolade retombant sur des culots, peut-être sculptés de visages. Immédiatement au sud prenait place une baie romane condamnée par l'implantation de la fenêtre du 15e siècle qui a fait disparaitre le piédroit nord de cette baie primitive. Cette dernière semble légèrement plus étroite que celle située à l'autre extrémité de la façade ; elle paraît également plus élancée et son imposte se trouve à un niveau plus élevé que le cordon qui occupe le reste de la façade. Cette baie était surmontée d'une archivolte en plein cintre, ornée de deux rangs de bâtons brisés, retombant sur un cordon d'imposte nu (formé d'un bandeau et d'un cavet) porté par une colonnette à chapiteau feuillagé. Un dessin de Piganeau représente dans le tympan une rosace figurant une fleur à six pétales ; cette dernière n'est pas centrée sur le tympan comme s'il s'agissait d'un pierre insérée après coup. Une gravure de Turner en donne le détail (pétales en fuseaux allongés, fleur doublement inscrite dans un hexagone aux pans concaves, puis un cercle que dessine un galon chargé de petits triangles posés sur la pointe) mais ici, la rosace est sculptée au centre d'un tympan découpé de deux arcs en plein cintre, comme sur la façade nord alors que ni Piganeau, ni Drouyn ne dessinent cette disposition pour la fenêtre concernée ici. Turner a probablement recomposé une fenêtre regroupant les caractéristiques de plusieurs baies romanes de cette maison voire de plusieurs maisons. La photographie de la façade avant destruction, prise de loin, ne permet pas de distinguer la rosace mais elle semble cependant infirmer l'hypothèse d'une baie géminée avec colonnette centrale et tympan évidé, du moins pas telle que Turner l'a représentée. Deux dessins de Drouyn réalisés en 1849 et 1858 donnent l'état le plus ancien de la toiture, elle retombait alors sur une ligne de corbeaux implantés juste au-dessus des fenêtres du deuxième étage selon une disposition similaire à celle observée sur le mur nord de la maison 25 ("maison gothique"). Peu après, cette toiture fut surélevée pour créer une galerie, bien visible sur les dessins de Piganeau comme sur les photos.

Le mur nord de la maison est en grande partie masqué par le bâtiment accolé. Seul est visible le tiers supérieur dont l''appareillage de grande dimension, soigneusement assisé, pourrait indiquer une origine romane. A noter la présence d'une assise mince et un peu plus haut, d'une ligne d'empochements réguliers, percés après coup et qu'il faut probablement mettre en relation avec plusieurs corbeaux implantés en partie haute du mur. Peut-être s'agit-il là d'un système de fortification, ou du moins de circulation haute complétant les aménagements de la face nord. Au nord-est, ce pignon conserve la trace d'une haute ouverture bouchée (fenêtre ou porte) suivie d'un fin pilastre qui semblait empâter l'angle de l'édifice côté nord.

Le gouttereau oriental a été entièrement reconstruit, peut-être lors de la reprise de la toiture dans les années 1860 ou bien lors des travaux consécutifs au percement de la rue Guadet peu après. Il ne reste rien des croisées mentionnées par Drouyn et qui, d'après lui, remplaçaient des fenêtres romanes.

A l'intérieur, seul le niveau de soubassement conserve des éléments médiévaux. Il se présente comme une grande salle de plan carré avec en son centre, une imposante colonne à tambours, très blanche, avec chapiteau de type cubique, à épannelage bas seulement, orné sur chaque face d'un feston ondé ; c'est seulement sous ce motif que la corbeille s'amincit en calice. Trois assises plus bas, le tambour est élargi de deux corbelets qui reçoivent des jambes de force soulageant la poutre maîtresse. Cette colonne est aujourd'hui posée sur un cube rocheux qui indique que le sol de cette pièce a depuis été surcreusé d'environ un mètre. La pièce était éclairée dans la moitié orientale du mur sud par trois fentes de jour très ébrasées. Percées très haut dans le mur, elles sont partiellement excavées dans le rocher mais sont aujourd'hui invisibles depuis l'extérieur. Drouyn indique que deux fentes similaires étaient ménagées en partie haute du mur occidental. Côté est, le fond de la pièce est principalement formé par le rocher prolongé de deux assises dont la dernière accueille six gros corbeaux sur lesquels repose le plancher de l'étage. Dans sa partie nord, ce mur est entaillé d'un passage, depuis agrandi en carrière, qui menait sous la rue de la porte Brunet à une large porte, couverte d'un arc brisé et dotée d'une arrière-voussure segmentaire, qui communiquait avec la cave de la maison 33-3. Drouyn précise que ce rez-de-chaussée ne devait pas à l'origine avoir de porte sur l'extérieur et qu'on y accédait par un escalier droit rampant contre le mur (sans indiquer le côté). Le même auteur écrit que les étages étaient desservis par un escalier du 15e siècle et qu'ils étaient constitués d'une seule salle avec pilier central en bois (disparus) reposant sur la colonne en pierre du niveau de soubassement. Drouyn datait ces piliers en bois du 15e siècle tout comme la charpente, supprimée lors de récents travaux mais connue par des photos réalisées peu avant. Aujourd'hui, seuls les revers des pignons nord et sud sont visibles depuis l'étage sous comble ; l'angle nord-est porte la trace d'un large conduit conique de ce qui devait être une imposante cheminée, peut-être médiévale.

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Gironde , Saint-Émilion , 32 rue Guadet

Milieu d'implantation: en ville

Lieu-dit/quartier: Ville haute

Cadastre: 1845 C 336, 2010 AP 32

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