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Ecluse du canal de Marans à la mer ou canal maritime, maison éclusière
France > Nouvelle-Aquitaine > Charente-Maritime > Charron
Historique
Des projets successifs
Le site des écluses du Brault est envisagé comme point d'arrivée du futur canal de Marans à la mer dès le début du 19e siècle au moins, notamment en 1806 par l'ingénieur en chef des Ponts et chaussées Pierre Tréton-Dumousseau, puis par son successeur, François Mesnager. Leurs cartes, en particulier celle de Mesnager, en 1818, placent bien une écluse juste au nord des portes des canaux de dessèchement qui existent là, pour certaines, depuis le Moyen-Age. Mesnager prévoit une écluse à quatre pertuis avec vannes et portes, surmontée d'une passerelle levante en deux parties.
Le projet est relancé en 1840 lorsque le creusement d'un canal de Niort à La Rochelle est abandonné. L'ingénieur Dor reprend à son compte l'idée d'un canal de Marans à la mer et d'une écluse à son embouchure. Le principe est acté par la loi du 26 juillet 1845 sur l'amélioration des ports de France (dont celui de Marans) et, le 28 décembre 1846, l'ingénieur Marchegay présente les plans du projet d'écluse, ouvrage à sas précédé d'un large bassin à flot. La Révolution de 1848 vient en suspendre l'exécution, pourtant entamée (des pierres sont acheminées sur place, des fouilles de fondations sont commencées).
En 1856, l'ingénieur en chef Maire, dans son grand projet d'aménagement du bassin de la Sèvre Niortaise, prévoit à son tour la construction du canal avec cette fois, à son embouchure, de simples portes à flot, à l'image des canaux de dessèchement voisins. Présenté les 12 août 1865 et 30 mai 1866, un autre grand programme de travaux élaboré par l'ingénieur en chef Evrard consiste à former un nouveau bassin à flot en aval du port, fermé par trois ouvrages : en amont, un barrage éclusé au Carreau d'Or ; en aval, un barrage éclusé aux Enfreneaux à créer sur le vieux cours principal de la Sèvre ; également en aval, une écluse à la tête du futur canal de Marans à la mer. L'affaire se perd encore dans les méandres administratifs. Les fortes inondations de 1869 relancent le projet de canal et, le 25 février 1870, l'ingénieur en chef Detzem présente les plans d'une véritable écluse à sas à construire à l'embouchure du canal, ouvrage plus adapté à la navigation que les portes envisagées par Maire.
La construction du canal et de son écluse n'est pourtant déclarée d'utilité publique que le 2 mai 1881. Les plans et devis estimatif de l'écluse, montant à 615 000 francs, sont présentés le 26 novembre par l'ingénieur Modelski. Le projet, approuvé le 17 janvier 1882, prévoit, outre la construction de l'écluse, celle d'une maison éclusière à proximité. Pour les deux ouvrages, on utilisera de la pierre de taille et de parement de Crazannes et les moellons des carrières du pays ; les moellons smillés (équarris) proviendront quant à eux des carrières du canal de la Bridoire où l’on a déjà pris les matériaux du barrage du Carreau d’Or, à Marans. Le chantier se déroulera en trois étapes : terrassements de la tête aval de l'écluse, mise en place des pieux de fondations, exécution d’une partie des terrassements du sas et de la tête amont, et construction de la maison éclusière ; puis maçonneries de la tête aval, mise en place de pieux de fondations de la tête amont et commencement des maçonneries, fondations des perrés du sas ; enfin, achèvement des maçonneries et mise en place des portes. L'écluse reposera sur des pieux de fondations en bois de sapin du Nord de 7 mètres de long, réunis par d’autres bois pour former une grille, noyée dans un massif en béton sur lequel reposera le radier. Ce système de fondations a déjà été utilisé à l’écluse de la pointe aux Herbes, sur le canal de Luçon. La maison éclusière sera construite dès la première phase du chantier de manière à loger le conducteur et les surveillants du chantier. Elle sera en simple rez-de-chaussée, "comme la plupart des habitations en bord de mer, pour résister à la force du vent". Elle sera par ailleurs établie sur un terrain surélevé de 45 centimètres au-dessus du niveau du couronnement des bajoyers de l’écluse. Elle comprendra deux logements identiques, pour deux éclusiers, chacun ayant trois chambres, un vestibule et une cuisine.
Un chantier difficile
Le 22 mars 1882, le chantier de construction de l'écluse est adjugé à Louis Bonnin, entrepreneur à La Couarde (île de Ré), pour 446 972 francs. Le chantier, ouvert le 21 avril, va durer six ans (au lieu des trois années prévues), tant les conditions de sa réalisation sont difficiles. En juin, le battage des pieux de fondations de la tête aval de l'écluse commence. Dès le mois de mai, un contentieux s'élève avec les riverains du chantier. Le chemin venant de Richebonne, au sud, et franchissant les canaux de dessèchement par des ponts, est en effet la seule voie d'accès charretière au site (la route D9 n'existe pas encore). Or, pendant un an, les syndicats de marais propriétaires des canaux et des ponts s'opposent à l'utilisation de ces derniers par l'entrepreneur, tout comme le propriétaire de Richebonne refuse l'utilisation d'une digue longeant la Sèvre et lui appartenant. L'entrepreneur n'a d'autre choix que la voie d'eau (la Sèvre Niortaise) pour acheminer matériels, matériaux et ouvriers, chargés sur une gabarre au passage du Brault. L'obstacle n'est levé qu'en mai 1883.
Plus grave encore, l'entrepreneur et ses ouvriers se heurtent rapidement et fréquemment aux éboulements et glissements de terres. Les ouvriers s'enfoncent à mi-jambes dans une vase noirâtre et sans liaison, voire dans de la boue liquide, et peinent à manoeuvrer le matériel de traction et de battage des pieux de fondations. L'extraction des terres à déblayer se fait tout aussi difficilement, l'établissement de rails pour faire passer des wagons étant rendu compliqué par les mêmes raisons d'inconsistance du sol. S'y ajoute la nécessité de trier les pierres acheminées sur le site dès 1847 et éparpillées depuis lors, ainsi que de retirer les pieux de fondations fichés dans le sol à la même époque et dégradés par le temps. De même, d'importants éléments de maçonnerie retrouvés en terre (sur une longueur de 20 mètres, une largeur de 2 et une épaisseur de 1,50) doivent être évacués. De plus, l'utilisation trop intensive d'une sonnette (machine à enfoncer les pieux) à vapeur entraîne la détérioration de nombreux pieux. Les difficultés sont aussi liées à une certaine inconséquence de la part de l'administration des Ponts et chaussées, par exemple pour l'approvisionnement en ciment de Portland. Pendant tout l'opération, l'entrepreneur doit s'adapter aux exigences de l'administration et à ses changements d'options, par exemple lorsqu'il est décidé de revêtir les perrés du sas et ceux en amont de l'écluse non pas en simples pierres sèches et moellons du pays, mais en moellons de Saintonge taillés à 4, 5 ou 6 pans et disposés en mosaïque.
En octobre 1882, malgré tous ses efforts, l'entrepreneur Bonnin se voit signifier un arrêté préfectoral ordonnant l'accélération des déblaiements, alors que des pluies diluviennes s'abattent encore sur le chantier. En décembre 1882 puis en juin 1883, plusieurs éboulements importants et successifs, notamment dans la partie aval, rendent impossible les débarquements de matériaux, acheminés par bateaux (notamment les moellons, venus de Rochefort), à l'appontement créé à cet effet, d'où la construction en urgence d'un autre appontement. Ces éboulements menacent aussi de faire entrer l'eau de la Sèvre Niortaise et du canal de la Banche dans le chantier, sans oublier les risques d'effondrement sur les ouvriers. A l'été 1883, c'est cette fois la sécheresse qui rend plus difficile la tâche des ouvriers, en durcissant la surface du sol à creuser. Dans la nuit du 1er au 2 septembre, une violente tempête abat la sonnette à vapeur, la brise et la précipite au fond de la fosse du chantier. Durant l'hiver 1883-1884, des pluies continuelles viennent entraver les travaux de fondations des maçonneries des deux têtes de l'écluse. Les éboulements se succèdent encore tout le printemps 1884... En octobre 1885, par une forte marée, la mer envahit le chantier, précipitant les terres dans les fosses creusées pour les fondations... Dès 1884, l'administration, à court de crédits, demande à l'entrepreneur de suspendre le chantier, mais Bonnin préfère continuer avec du personnel réduit. Logeant sur place avec ses employés, dans des conditions extrêmes, notamment l'hiver, il achève le chantier en 1888, en avançant l'argent sur ses propres finances qui enregistrent au final un déficit de 70 000 francs.
Entre temps, le 2 avril 1887, une décision ministérielle approuve le projet de portes à ossature métallique à placer dans les têtes de la nouvelle écluse. Leur construction est adjugée le 11 mai à la société des Ateliers et chantiers de la Loire, à Nantes. Les portes sont préalablement créosotées (enduites de créosote, huile obtenue par distillation du bois ou de la houille et utilisée pour empêcher la putréfaction du bois) dans un atelier de l'Etat aux Sables-d'Olonne. Enfin terminée, l'écluse est, semble-t-il, mise en service le 21 avril 1888, et le canal est ouvert et inauguré le 22 juillet suivant. Depuis le 22 mai, plus aucun bateau ne rentre plus dans le port de Marans par la Vieille Sèvre et les Enfreneaux, dont le barrage éclusé est en cours d'achèvement. Pour achever le chantier, les déblais du batardeau établi en aval de l'écluse sont évacués en janvier-mai 1889. La réception définitive des travaux a lieu en décembre.
La gestion et l'entretien d'un ouvrage stratégique pour Marans et le Marais poitevin
Dès 1888, deux éclusiers sont nommés par l'Etat et viennent habiter à la nouvelle maison éclusière avec leurs familles : Aimé Duprez-Nemours, né en 1848 à L'Aiguillon-sur-Mer, ancien patron de bateau, chef éclusier ; son adjoint, M. Cuisinier, auquel succèdera vers 1900 Jules Soulisse, né à Taugon en 1862. En 1911, au départ en retraite de Durpez-Nemours, Pierre Poitevineau, qui avait participé au chantier du Brault et était devenu éclusier des Enfreneaux, est nommé chef éclusier, poste qu'il occupe jusqu'à son propre départ en retraite en 1921. Dès lors, et pour plusieurs décennies, l'éclusier adjoint devient chef au départ en retraite de son supérieur : Jules Soulisse en 1921, Jean Brunet, de Saint-Michel-en-l'Herm, en 1929, Georges Jamot en 1935, Jean Grangeaud en 1941, René Vinsonneau en 1950, Georges Plaire de 1971 à 1981.
Consacrée à la navigation, l'écluse est régie par un règlement adopté en 1892 et élaboré par Charles Voyes, conducteur des Ponts et chaussées qui a dirigé le chantier. Mais l'écluse est pointée du doigt lors des grandes inondations qui frappent le Marais poitevin en amont. Sous la pression des syndicats de marais notamment, l'écluse et le canal sont ouverts à l'évacuation de l'eau lors de la grande crue de février 1904, suspendant le trafic des navires. Ce rôle évacuateur en cas de fortes inondations est ensuite conservé, obligeant à ménager et réguler les passages des bateaux. Certains d'entre eux s'aventurent à passer l'écluse lorsqu'elle est grande ouverte pour l'évacuation de l'eau, au prix de manoeuvres délicates.
Des travaux de restauration des portes de l'écluse sont réalisés en 1925 et 1930. En 1927 et 1933, des enrochements en béton et un perré en pierres sèches viennent renforcer la protection de la tête aval de l'écluse du côté Sèvre. Le 15 janvier 1945, les troupes allemandes détruisent le pont tournant qui est reconstruit par l'entreprise Pointreau, de Rochefort, et mis en service le 21 février 1947. En 1956, les portes de la tête aval de l'écluse sont remplacées. Outre la dégradation des portes par vieillissement, l'utilisation de l'écluse pour évacuer l'eau entraîne l'érosion du fond du sas et endommage les perrés. Entre 2001 et 2006, une importante campagne de restauration est menée sur l'ouvrage par l'entreprise ISL Ingénierie : réparation du fond du sas et des perrés en 2001, remplacement des portes en 2004, remplacement des crics électriques de manoeuvre des vantelles par des vérins hydrauliques. Une nouvelle intervention sur les portes aval a lieu à l'été 2016.
Détail de l'historique
Périodes |
Principale : 4e quart 19e siècle |
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Dates |
1888, daté par source |
Description
L'écluse se trouve à l'embouchure du canal de Marans à la mer ou canal maritime, longue ligne droite qui relie le port de Marans à l'anse du Brault et à la baie de l'Aiguillon. Elle constitue l'un des exutoires de la Sèvre Niortaise en aval de Marans (avec les barrages des Enfreneaux et du canal évacuateur).
L'ouvrage est précédé d'un large bassin d'évitement, d'environ 150 mètres de long sur 70 de large, dont les côtés, en pente douce, sont revêtus, au plus près de l'écluse, de moellons équarris, formant des perrés en S. Les rives du bassin sont aussi ponctuées de bornes d'amarrage en fonte, dont certaines portent la signature "C. Lacour La Rochelle".
L'on entre dans l'écluse par un passage de 11 mètres de large, commandé par une double paire de portes, en métal, entre des parois en pierre de taille : une porte d'èbe (pointée vers l'amont) et une porte de flot (pointée vers l'aval). Auparavant manoeuvrées par des crics électriques, les portes le sont désormais par des vérins hydrauliques. Des cabines de manoeuvre et de guidage sont situées de part et d'autre. Des passerelles métalliques fixées au sommet des vantaux, permettent d'aller d'une rive à l'autre. Derrière ces premières portes se situe un pont tournant, à tablier et garde-corps en métal, et culées en pierre de taille. Le quart tournant du pont est situé sur la rive droite.
S'ouvre alors, derrière le pont, le sas de l'écluse, bassin octogonal long de 104 mètres et large, au plus haut, de 45 mètres. Ses bords, en pente douce, sont revêtus de moellons équarris et ponctués de bornes d'amarrage, à l'image du bassin précédant l'écluse. Des escaliers permettent d'accéder aux bateaux. Le sas conduit aux portes aval de l'écluse, constituées, comme les portes amont, d'une double paire de portes (porte d'èbe et porte de flot), en métal, avec là aussi des cabines de manoeuvre de chaque côté. Outre le rôle de l'écluse pour la navigation, ces portes aval sont utilisées pour réguler le niveau de l'eau du bassin de la Sèvre Niortaise : en cas de fort débit, la porte d'èbe fermée et la porte de flot ouverte, l'eau est évacuée à travers des vannes ou vantelles aménagées dans les vantaux de la porte ; si le débit est encore plus important, la porte d'èbe est ouverte. Au contraire, si l'on a besoin de retenir de l'eau en amont (notamment pour les opérations de dévasage), l'on effectue des prises d'eau de mer via les vantelles de la porte de flot, fermée, tandis que la porte d'èbe est ouverte.
A proximité de l'écluse, sur sa rive droite, se trouvent différents bâtiments qui servaient de logement d'éclusier, désormais de locaux administratifs et techniques. En rez-de-chaussée, ils se distinguent par leur décor en brique (corniches, bandeaux, encadrements des ouvertures). Sur la façade sud du bâtiment le plus proche de l'écluse, au-dessus d'une ouverture, une plaque en métal porte cette inscription : "Sèvre Niortaise / canal de Marans au Brault / Ecluse du Brault / 1882-1887" (l'écluse a pourtant été achevée et mise en service en 1888).
Détail de la description
Murs |
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Toits |
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Informations complémentaires
Type de dossier |
Dossier d'oeuvre architecture |
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Référence du dossier |
IA17047301 |
Dossier réalisé par |
Suire Yannis
Conservateur en chef du patrimoine au Département de la Vendée et directeur du Centre vendéen de recherches historiques à partir de 2017. |
Cadre d'étude |
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Aire d'étude |
Vallée de la Sèvre Niortaise, Marais poitevin |
Phase |
étudié |
Date d'enquête |
2018 |
Copyrights |
(c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel, (c) Centre vendéen de recherches historiques |
Citer ce contenu |
Ecluse du canal de Marans à la mer ou canal maritime, maison éclusière, Dossier réalisé par Suire Yannis, (c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel, (c) Centre vendéen de recherches historiques, https://www.patrimoine-nouvelle-aquitaine.fr/Default/doc/Dossier/584e7287-66c9-4b1c-81d9-cf7463ea00b7 |
Titre courant |
Ecluse du canal de Marans à la mer ou canal maritime, maison éclusière |
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Dénomination |
écluse |
Parties constituantes non étudiées |
logement remise |
Statut |
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Intérêt |
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Localisation
Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Charente-Maritime , Charron
Milieu d'implantation: isolé
Lieu-dit/quartier: Ecluses du Brault (les)
Cadastre: 2016 OB 192, 193