"Désormais l'idée dominante est l'agrandissement de l'église, la construction d'un groupe scolaire et la mise en valeur des communaux. [...] De jour en jour, la population augmentait. Elle comptait 1.200 âmes pendant la Révolution et 1.332 en 1824. Subitement, elle avait presque doublé, et atteignait, en 1861, au chiffre de 2.263 âmes. L'église paroissiale devenait insuffisante. En vain, M. le doyen Lestage, appuyé par Monseigneur l'évêque d'Aire, demandait la construction d'un bas-côté, au midi de l'édifice religieux. Le conseil municipal promettait toujours et n'exécutait jamais. Enfin, le 21 février 1864, il tint séance et rédigea une délibération dans laquelle, prenant acte des réclamations de l'autorité ecclésiastique et des désirs de la population tout entière, il s'exprime en ces termes : "L'accroissement considérable de la population qui est survenu depuis l'établissement du chemin de fer, a fait constater l’insuffisance de l'église principalement les jours de dimanche et de fêtes." Et l'on déclare la construction d'un bas-côté parallèle à celui qui existe déjà [note : Mairie de Rion, D. I, p. 168, verso] [...].
Peu à peu, le projet se précise. D'ailleurs, le clocher en bois menace ruine. Dès lors, pas d'hésitation : on commence par l'église. En session de mai 1867, le conseil municipal de Rion émet un vote de 90.000 francs, suivant un plan et cahier des charges présentés par M. Alaux, architecte [note : Ibid., D. I, p. 14]. Un entrepreneur de Tartas, Jules Lespessailles, se rend adjudicataire des travaux qui commencent sans retard et sont en pleine effervescence le 27 mai 1868. L'ancien maître-autel est détruit. L'architecte en présente un nouveau, dont le prix s'élève à 3.500 francs. Le conseil accepte et ajoute à cette somme celle de 2.390 francs pour les vitraux du chœur. L'enthousiasme fut tel que l'on décida le vote d'une plaque de marbre sur laquelle furent gravés les noms des conseillers municipaux qui méritent certainement de passer à la postérité. Cette plaque, apposée au mur intérieur de la sacristie, porte l'inscription suivante : / Cette église a été restaurée et agrandie en 1868, étant conseillers municipaux : MM. Bougue (Auguste). Loubère (Jeantet). Tartas (Guillaume), maire. Callède (Guillaume). Poisson (Victor). Poudenx (Louis), adjoint. Seguine (Jean). Barbasse (Pierre). Castets (Pierre). Loubère (Jean). Barbasse (Augustin). Callède (Jacques). Bellegarde (François). Maisonnave (Pierre). Maisonnave (Dominique). Lassalle (Laurent). G.ve Alaux, architecte. Lespessailles, entrepreneur.
Il est bien rare qu'une entreprise considérable n'offre pas de difficultés dans le règlement des comptes. L'adjudication des travaux de restauration de l'église St-Barthélemy de Rion avait été faite sur la mise à prix de 80.343 francs 39 centimes. M. Lespessailles, qui avait consenti un rabais de 10 pour cent, soit une adjudication de 72.308 francs 97 centimes, porta une note de 86.016 francs. [note : Mairie de Rion, p. 72] L'écart était énorme et d'autant plus sensible que les finances municipales étaient engagées dans un emprunt de 11.000 francs "pour l'habillement, l'équipement, l'armement et la solde de trois mois pour la garde nationale mobilisée". On était au cœur même de la guerre avec la Prusse. Un emprunt par obligations de 250 francs, à 6 pour cent d'intérêt, avait été décidé le 30 octobre 1870. Que faire en cette douloureuse occurrence ? [...] Le conseil choisit, en qualité d'expert, M. Gustave Dupérier, entrepreneur à Dax, qui devait décider si les travaux, exécutés en dehors du cahier des charges, présentaient un caractère d'urgence suffisant. Un premier décompte du 5 février 1871, remis au conseil, portait les dépenses à 91.404 fr. 58 c. Un second décompte du 4 août suivant arrêtait les dépenses à 94.241 fr. 20 c. Pourquoi cette différence de 2.836 fr. 62 c. dont l'architecte ne s'était pas aperçu ? [...] Comme toujours, l'affaire traînait en longueur, lorsque le conseil de préfecture, sur le dire des experts, porta à 72.712 fr. 94 c., la valeur des travaux exécutés à l'église. Jules Lespessailles, entrepreneur malheureux, accepta la décision du conseil de préfecture (17 novembre 1872) et implora la pitié du conseil municipal qui lui alloua 3.000 fr. de gratification.
Des abats-jour (sic), dont le plan fut dressé par M. Ozanne, ornèrent et garantirent les baies du clocher en pierre. Callède, entrepreneur, réalisa le plan dont le devis s'élevait à 1.200 francs.
Le moment nous semble venu de décrire l'église ancienne et l'église nouvelle.
Avant sa restauration, l'église Saint-Barthélemy de Rion était ogivale à l'intérieur, reconstruite vers le XVIe siècle sur une église romane du onzième. "Comme toutes celles de la contrée, dit M. Dufourcet, elle a été romane avant d'être ogivale. Il ne reste de roman qu'un portail très remarquable, auquel un architecte bordelais, M. Minvielle, a jouté un porche et un clocher dont le style, chose rare, est en parfaite harmonie avec celui de la partie ancienne." [note : M. Dufourcet fait erreur. M. Alaux fut l'architecte du porche, en même temps que de la restauration ou transformation complète de l'église. M. Minvielle fut l'architecte de la tribune qui occupe toute une travée, à l'entrée, et pèse d'un poids énorme sur l'élégance parfaite de l'église.] [...]
Cette vieille église possédait cinq autels dédiés à saint Barthélemy, patron principal, Notre-Dame, saint Michel, saint Jean et saint Roch. Une chapelle spéciale abritait l'autel Notre-Dame, et saint Roch se trouvait dans une abside ou rotonde sous le clocher, vis-à-vis du chœur, avec les fonts baptismaux. [...]
La porte d'entrée se trouvait au nord, près de la base du clocher. Le clocher, dont la flèche était en bois, jouissait de la renommée d'une élévation peu ordinaire, soit environ 36 mètres. Trois sacristies, dont les traces ont disparu, accostaient l'église qui, suivant l'antique usage, était entourée du cimetière. [...]
Décrivons l'église actuelle. Tout d'abord un porche roman de 7 mètres au carré précède le portail roman primitif. La voûte du porche, en pierre de taille de petit appareil, est soutenue par six colonnes de marbre, placées sur piliers de 1 mètre, y compris la base de la colonne qui mesure 31 centimètres. Les chapiteaux ont 60 centimètres de hauteur ; ils sont foliés excepté les deux chapiteaux du nord qui restent inachevés. La clef de voûte porte : "Alaux, architecte, 1868". Le plan de l'église à trois nefs est embrassé par un compas et un stylet.
Aux encoignures, 4 fûts de colonnes en pierre, mesurant 1 mètre, 8 centimètres de hauteur comme les colonnes de marbre. Une colonnade superposée, formant cinq niches, orne l'intérieur du porche au nord, au midi et à l'ouest. La niche centrale de l'ouest est plus haute que les autres et percée d'une baie oblongue qui éclaire le porche. Une simple baie existe aux niches centrales du nord et du midi. Une croix de pierre, dans le style de l'édifice, surmonte le porche à l'ouest. / Ce porche, vaste et harmonieux, auquel on accède par trois marches de pierre de taille, protège heureusement le portail roman d'une belle venue, sans avoir les proportions grandioses des vieilles cathédrales. Le lecteur nous saura gré de céder la plume à M. Dufourcet pour en dire la valeur et la signification. / "Le portail saint Barthélemy de Rion (sic) est d'un type très en honneur au commencement du XIIe siècle, peut-être même un peu avant. Trois rangées de pieds-droits séparés par deux colonnes, de chaque côté, supportent un égal nombre de voussures ornées de torsades, de bandelettes, d'étoiles et de tores. Toutes ces moulures classiques entourent un tympan plus classique encore. Ce tympan, à lui seul, est une date. On y voit en effet, dans un médaillon central, la représentation du Christ, docteur, entouré des quatre évangélistes, figurés par les quatre animaux symboliques si en honneur à la fin du XIe et au commencement du XIIe siècles... [...] Ces quatre animaux - il est convenu de les appeler ainsi, après l'Apocalypse, quoiqu'il y ait parmi eux un ange - sont nimbés et s'appuient sur le livre des Évangiles. On retrouve le même sujet sur le tympan de l'église de Soustons.
Le soubassement et les bases des colonnes sont conformes aux règles architecturales de l'époque et les quatre chapiteaux sont des plus remarquables. Leur tailloir est formé par une corniche qui sert d'appui aux voussures, des deux côtés du tympan, et qui est ornée de rinceaux. La première des corbeilles, à gauche en regardant le portail, représente Daniel dans la fosse aux lions. Ce sujet est plus finement traité à Rion qu'à Œyreluy où nous l'avons signalé sur le portail mérovingien de l'église. La seconde nous offre le massacre des innocents et la fuite en Égypte, que nous retrouvons à Arthous et à Sorde. Les deux corbeilles de droite sont encore plus artistiquement sculptées que celles que nous venons de décrire, mais leur interprétation n'est pas aussi facile. Sur l'une, M. Taillebois voyait la Présentation au temple, avec le vieillard Siméon et Anne la prophétesse. Sur l'autre, se trouve un personnage assis sur un banc, rompant une galette et s'apprêtant à manger ; à sa droite, deux jeunes gens semblent s'enfuir, poursuivis par une bête féroce ; à sa gauche, une femme assise tient sur ses genoux un vase ; un dragon lui parle à l'oreille. M. l'abbé Beaurredon a vu, avec raison croyons-nous, dans ce groupe, le prophète Élisée, les enfants qui l'insultaient dévorés par des ours, et la femme de Sunam qui lui donne à manger et dont il renouvela miraculeusement la provision d'huile. M. l'abbé Pédegert croyait y voir une scène de la vie de Tobie.
Pour le R. P. Labat, l'ensemble des sujets devait s'interpréter de la façon suivante : on va à Dieu (à droite 4e corbeille) 1° par la vertu, c'est à dire la PRUDENCE, qui sedens computat, dit Notre Seigneur ; la TEMPÉRANCE qui, de sa main, réprime ses passions (geste employé ailleurs) ; la FORCE qui, de son poing, arrête l'ennemi ; la JUSTICE accompagnée du lion son symbole : justus est leo, etc. ; 2° en suivant l'exemple de Notre-Dame allant au temple avec l'offrande de son Fils et de ses présents : non apparebis in conspectu meo vacuus, dit le Seigneur. En quittant Dieu (à gauche) 1° on partage le sort de Notre-Dame fuyant en Égypte ; on rencontre le monde et on a peine à fuir les séides d'Hérode ; on quitte Dieu surtout par le vice ou bien c'est au moins lui qu'on rencontrera ; mais on résiste à l'orgueil, à la concupiscence et à l'avarice au moyen de la parole de Dieu et des sacrements, remède puissant que présente la Religion."
En réalité, si la lecture des deux chapiteaux de gauche est facile, celle des deux chapiteaux de droite est difficile soit dans le sens naturel, soit dans le sens mystique. Les scènes sont certainement bibliques ; les deux premières sont du nouveau testament et les deux autres paraissent appartenir à l'ancien. [...]
Entrons dans l'église. Une tribune, qui occupe l'espace d'une travée, vole de son harmonie à la voûte élégante de l'église ogivale. Cette tribune a été ajoutée en 1894 [note : L'architecte en fut M. Minvielle, de Bordeaux, qui liquida les comptes à 4.724 francs.] pour remédier à l'insuffisance de l'église devant l’accroissement de plus en plus sensible de la population, sur la proposition de M. Albert Poisson, maire.
La nef principale se compose de quatre travées. La première supporte la tribune. Les murs de l'église primitive ont été arrondis pour former colonne avec pilier à pan coupé accolé et supportant la naissance des nervures de la voûte. Contre le premier pilier à droite, en entrant, statue de Saint-Antoine de Padoue ; contre le deuxième pilier grand Christ faisant face à la chaire. Contre les piliers de gauche, statue de Saint-Roch et chaire en bois du XVIIIe siècle, remarquablement sculptée. Les cinq panneaux représentent Notre Seigneur debout entre les quatre évangélistes. Quelques-uns de ces panneaux forment tableau avec paysage. Dans le coin des travées au chœur, à droite, statue du Sacré-Cœur ; à gauche, statue de Notre-Dame du Sacré-Cœur.
Les clefs de voûte de la nef principale sont unies sauf une qui porte les initiales du patron de l'église S.-B Sanctus Barthomœus (sic), séparées par un large couteau. On sait que Saint-Barthélemy, apôtre, subit le martyre et qu'il se vit enlever la peau. De là, l'expression gasconne autrefois en usage partout : Sen Bertoumiu / Pelat tout biu.
Dans le chœur, un bel autel en pierre, dont le retable est orné de 12 colombes becquetant un olivier, auquel on accède par trois marches de pierre. Trois vitraux géminés avec trèfle à l'ogive représentant, à gauche : Saint-Mathieu et Saint-Luc, avec Dieu le Fils, dans le trèfle ; au centre : Saint-Pierre et Saint-Paul, avec Dieu le Père, dans le trèfle ; à droite, Saint-Jean et Saint-Marc, avec Dieu le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe, dans le trèfle. Au-dessus de la porte des deux sacristies latérales, une grisaille géminée.
A droite et à gauche, deux anges posés sur un socle et portant un candélabre de 7 bougies, s'adossent au mur et complètent l'ornementation de l'autel. Six nervures de pierre ogivent la voûte du chœur. Une boiserie sculptée comprend trois fauteuils pour célébrant de chaque côté du chœur. Les sculptures du pupitre pour lutrin méritent une mention spéciale : le pied est en colonne torse.
Dans le bas-côté nord, qui est ancien, un autel en marbre, surmonté d'une statue dorée de Notre-Dame de Lourdes, est plaqué contre le mur et forme la chapelle de la Sainte-Vierge. A droite et à gauche, contre le mur, statuettes de Sainte-Marie Madeleine et de Sainte-Monique. Contre le mur, vers le premier pilier, statue de Saint-François d'Assise, confessionnal et statue du bienheureux J. Gabriel Perboyre.
Les clefs de voûte, en partant de l'autel, supportent la 1re une fleur de lys, la 2e une étoile, la 3e un cœur, la 4e un épanouissement de feuilles. Sur la large porte de sortie à deux battants dans le fonds (sic) même de l'église, en forme de clef de voûte faisant face à l'autel, les attributs de maçon-compagnon avec l'exergue : Jos. Lespessailles, entrepreneur.
Dans le bas côté midi, qui date de l'agrandissement de l'église en 1868, contre le mur, autel en marbre de St-Joseph, surmonté d'une statue de ce saint. Toujours contre le mur, à droite et à gauche, statuettes de St Louis et de Ste Élisabeth. Contre le mur extérieur, en allant vers le fond de l'église, statue de St Vincent de Paul, banc de l'œuvre, confessionnal, statue de St Barthélemy, fonts baptismaux avec tableau représentant le baptême de Notre-Seigneur par St Jean-Baptiste. Comme clefs de voûte, en allant de l'autel vers la porte du fond : 1° initiales enlacées de St Barthélemy ; 2° armoiries de Pie IX ; 3° armoiries de Mgr Epivent ; 4° attributs sacerdotaux entourés du nom du curé, au moment de la restauration, Théodore Étienne Destribats. Sur la porte de sortie, à deux battants, une clef de voûte portant le marteau et le ciseau du sculpteur.
A l'intérieur des piliers, sous les travées : 1er pilier, statue de Jeanne d'Arc. Trois petits lustres dorés sont suspendus sous l'ogive de chaque côté entre la nef et les bas côtés. Le chemin de croix est peint sur toile et d'assez bon goût.
Un clocher monumental à larges assises, et en pierres de taille jusqu'au sommet, s'élève au-dessus de la première travée de l'église, à l'ouest, et abrite trois cloches dont deux sont de belle dimension. Sur la grande cloche, on lit : Sanctus Bartholomœus. M. Lestage Dominique, curé. M. Tartas, maire, 1847. Parrain : M. Maque Jacques ; marraine : Mme Lasserre Jeanne, à Chambret. Sur la seconde cloche, ont lit : Sancta Maria. M. Lestage Dominique, curé. M. Tartas Guillaume, maire, 1847. Parrain : M. Boré Jean, à Chambret ; marraine : Mme Bonnan Marguerite, à Pinache. Augustin Martin, fondeur. On sait que ces deux cloches furent fondues au pied même du clocher de Rion. La troisième cloche, au son argentin, au bronze un peu fruste, est de petite taille, mais elle a bravé les ans puisqu'elle porte en caractères du XVe siècle les mots : Ave Maria gratia plena Dns. Cette cloche est certainement une des plus anciennes, sinon la plus ancienne du diocèse d'Aire. M. Dufourcet, qui en parle dans son Aquitaine historique et monumentale, a mal lu la fin de l'inscription. Ce qu'il croit les trois initiales S.N.C. n'est autre chose que la continuation de la salutation angélique, c'est à dire Dominus, ou Dns suivant l'abbréviation (sic) usitée au Moyen Age. Une lecture attentive faite sur place ne nous laisse aucun doute à cet égard.
[...] Un revenant, M. Alaux, suscita un gros procès en 1877. Il réclamait 1335 fr. 80 c. d'honoraires. Le conseil déblatéra copieusement contre cet architecte qui, sur les 87.624 fr. 54 c. qu'avait coûtés l'église, avait déjà reçu 4.500 fr. d'honoraires, soit 138 fr. de plus qu'il ne lui était dû. Pourquoi mettre 4 ans à réclamer ? On lui propose 600 fr. à titre de transaction. L'affaire fut portée au conseil de préfecture et, de là au Conseil d’État. Ce dernier condamna la commune de Rion à payer 2.203 fr. 93, en ce compris les intérêts et les frais de procédure, tant il est vrai qu'un mauvais arrangement vaut mieux que le meilleur des procès, au dire d'un proverbe gascon. Le 8 novembre 1881, le conseil votait la somme sans mot dire."
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