Vieil établissement thermal

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1780 : la nécessité d'un établissement d'envergure

Entre les 16e et 18e siècles, l'exploitation des sources aux Eaux-Chaudes, qu'il s'agisse de bains ou de buvettes, est assurée par la communauté de Laruns et des loueurs privés au sein de cabanes, types de construction qui caractérise la naissance des stations thermales pyrénéennes. Les traitements sont principalement pratiqués dans les cabanes de bains de l'Esquirette et du Rey. Mais ces bâtiments s'avérent trop précaires au regard de la fréquentation grandissante et des prestations attendues à partir de la seconde moitié du 18e siècle. Le médecin thermal Minvielle, qui se plaint de la vétusté et du faible nombre d'équipements en 1774, propose un projet général comprenant des bains, des logements et des jardins afin de satisfaire le confort des malades.

En 1780, suite au refus des États de Béarn de gérer les sources des Eaux-Chaudes, la communauté décide d'investir dans un véritable établissement thermal moderne. C'est pourquoi, tout d'abord, 90 habitants réunissent 27.000 livres en vue de construire de nouveaux bâtiments conformes aux recommandations du docteur Minvielle. Dans cette optique, l'ingénieur des Ponts et Chaussées Desfirmins dresse, cette même année, un plan du hameau des Eaux-Chaudes où il présente l'état des lieux de l'organisation urbaine - encore très embryonnaire - de la station tout en faisant figurer l'emprise de l'établissement thermal envisagé et un projet de parcellaire constructible visant à accroître l'offre d'hébergements et favoriser l'essor de l'activité thermale. C'est également Desfirmins qui projette les plans du nouvel établissement, implanté sur le site des anciennes cabanes de bains. Au lieu des quatre cuves originelles, le nouveau bâtiment doit compter quatorze baignoires réparties dans les pavillons de l'Esquirette et du Rey, eux-mêmes réunis par un corps central doté d'un promenoir avec arcades. L'augmentation du nombre de baignoires est rendue possible grâce aux travaux des ingénieurs qui ont réussi à accroître le débit des deux sources. Le devis de cet ambitieux projet, présenté à l'Intendant d'Auch le 15 octobre 1780, s'élève à 56.384 livres, mais est largement dépassé.

L'exécution du projet est adjugée à Jean Sallenave le 15 janvier 1781. Trois ans plus tard, Desfirmins estime que les travaux sont suffisamment avancés pour octroyer au maître d’œuvre un acompte de 12.000 francs, qui s'additionne à ceux déjà versés en 1781 et 1783. En 1785, confronté aux travaux qui se prolongent et dont la fin était initialement fixée au 1er juin 1782, Péborde de Pardies demande à ce que les entrepreneurs, en situation difficile, soient rémunérés. Durant la construction, l'Intendant d'Auch, qui inspecte le chantier en 1782, impose de doter d'un niveau supplémentaire les pavillons latéraux du Rey et de l'Esquirette pour atteindre deux étages d'hébergement, plus commodes car plus proches des bains. Aussitôt les deux pavillons achevés, les jurats de Laruns les mettent en ferme, de même que la cabane nouvellement construite appelée le Château, plus tard divisée en quatre propriétés (Ambielle, Henri IV, Les Tilleuls, Mounaix).

Le nouvel établissement thermal est vraisemblablement achevé en 1785 ou 1786, mais dès 1788, les États de Béarn présentent un rapport inquiétant : hormis la galerie formée par des arcades au rez-de-chaussée, ils indiquent que la distribution des deux pavillons latéraux est en tous points similaire et que les bains, situés en soubassement dans des souterrains peu éclairés, sont disposés "autour du réservoir dans des cabinets étroits et incommodes et qui n'ont presque pas de jour". Les baignoires sont en bois et les plafonds non voûtés sont déjà endommagés par l'humidité ambiante (certaines parties sont tombées ; les planchers sont pourris et étayés à plusieurs endroits...). Cette description rend également compte des dispositions de l'édifice, soulignant que "ce qui est fait est sans goût et paraît être sans solidité". A cette date, les dépenses ont doublé le devis initial, atteignant un montant de 100.000 livres. C'est pourquoi, avant même l'achèvement du chantier, la communauté de Laruns s'empresse de procéder à son affermage, qui est fixé à un montant de 9.300 livres pour neuf saisons, obligeant le concessionnaire à fournir de surcroît les meubles et les ustensiles. C'est le début des premières critiques relatives à cette construction récente, qui pointent notamment du doigt la dépendance incommode entre les bains et les logements. Les États de Béarn recommandent alors de réserver l'établissement à la fonction de bains et de vendre le Château, inachevé, les anciennes cabanes et les parcelles constructibles, et ce, afin de permettre à la communauté d'honorer ses dettes et d'édifier un établissement supplémentaire au-dessus de la nouvelle source découverte en 1784 (source du Clôt).

Une gestion difficile et mouvementée

La situation ne semble cependant pas évoluer jusqu'en 1805. D'ailleurs, le 23 brumaire de l'an III (1795), la communauté émet une interdiction de bâtir sur le site afin de ne pas nuire aux intérêts du fermier des eaux. Un bail à ferme est adjugé à Joseph Glandine, demeurant à Pau, le 15 pluviôse de l'an IV (1796). L'année suivante, des travaux de charpenterie sont exécutés par Raymond Lafond au sein des cabanes et des pavillons de bains de l'établissement thermal, lequel menace ruine seulement une dizaine d'années après son achèvement. Compte-tenu du contexte révolutionnaire, la communauté mène ces travaux car elle estime qu'il convient d'anticiper la fin de la campagne d'Italie menée par Bonaparte et, partant, l'accueil "des défenseurs de la patrie et de la liberté" qui y trouveront "des secours et du soulagement pour leurs blessures et leurs infirmités", comme ce fut le cas durant la guerre contre l'Espagne monarchiste en 1793. Divers inventaires du mobilier sont dressés ensuite dans le cadre des changements d'adjudicataires entre 1796 et 1806.

Malgré les espoirs placés en lui, la gestion de l'édifice ne trouva jamais aucune stabilité, les concessionnaires restant en général entre un et trois ans, cinq ans dans les meilleurs des cas ; les propriétaires se succédant également régulièrement.

Échouant dans ses tentatives de redresser la situation, la communauté, dépossédée de l'exploitation des bains suite à un décret de l'an XIII (1804), est contrainte de mettre le bâtiment aux enchères en 1805. L'adjudication, qui revient à Jules (ou Julien) Darrieu, originaire de Laruns, pour la somme de 49.141 francs avec pour cautionnaire Jean Lassalle-Gassiole, livre une description de l'établissement : 56 m de longueur, 10,50 m de largeur, construit en maçonnerie, chaux et sable, élevé sur deux étages, couvert d'ardoises, "en assez bon état". Il contient en outre 4 boutiques, 8 chambres au premier étage, 16 au second et 13 chambres au-dessus du promenoir. Une clause imprescriptible stipule que la commune conserve la jouissance des bains, du promenoir et de trois chambres au rez-de-chaussée. Néanmoins, dès le 23 novembre 1809, c'est Marie Stéphanie de Choiseul, divorcée du duc et pair de France Claude Antoine de Choiseul - étroitement lié au pouvoir avant et après la Révolution -, qui entre en possession des pavillons du Rey et de l'Esquirette "sur folle enchère" pour 40.000 francs. Elle est représentée par Jean-Baptiste Couture, percepteur à vie de contributions, par procuration retenue auprès du notaire impérial Mathieu Brescou. L'ancien régisseur du bâtiment, dénommé Camahort, lui transmet l'ensemble du mobilier et des effets détaillés dans le procès-verbal de saisie du 15 mai 1809, établi par Louibos, huissier à Bielle.

En 1812, l'adjudication des bains est confiée une nouvelle fois à Joannès Camahort, leur ancien régisseur. Ce contrat d'affermage "provisoire" est renouvelé le 23 juin 1814 et validé par le préfet l'année suivante. Ces documents indiquent que seules deux chambres appartiennent à la commune, dont celle du rez-de-chaussée de l'Esquirette accueillant le logement du fermier et celle du Rey réservée aux baigneurs (au sens d'employés des bains). De plus, le cahier des charges contraint le fermier à assurer la conservation de tous les arbres, ce qui témoigne des nouvelles préoccupations paysagères dans le contexte d'émergence des théories hygiénistes. L'état des lieux réalisé l'année suivante par Jean Filhine, maire adjoint de Laruns, et Jean Lamaysore, le nouvel adjudicataire, signale que les baignoires sont en marbre ou en verre et que les bains sont dépourvus des cordons et sonnettes qui les équipaient autrefois.

Entre 1817 et 1822, l'architecte départemental Jean Latapie effectue de nombreux travaux à l'établissement. Mais l'édifice est très rapidement vendu, le 17 avril 1820, pour moitié à Laccassin et Roux, et pour autre moitié à Abbadie-Tourné, pour un montant total et dérisoire de 20.850 francs. Abbadie-Tourné, après avoir acheté la part de son copropriétaire, revend l'établissement à Thomas Bayle, domicilié à Bielle, dans les années 1830.

En 1826, l'établissement est affermé au dénommé Pujalet. Cependant, l'année suivante, l'adjudication, dont le cahier des charges mentionne encore le projet de construction d'un bâtiment sur la source du Clôt, est de nouveau confiée à Camahort, mais elle change rapidement puisque le bail est renouvelé au profit du dénommé Barès en 1831 pour une durée de cinq ans. En plus des bains historiques du Rey et de l'Esquirette, la concession comprend désormais les bains du Clôt, finalement construits à la fin des années 1820 et qui sont également dotés de dix chambres. L'inventaire réalisé pour cette procédure indique que chaque cabinet de bains est équipé d'une cuve en marbre, de robinets en cuivre et d'une chaise. Deux ans plus tard, le fermier Barès se plaint auprès de la préfecture au sujet de la déviation de la source de l'Esquirette qui, selon lui, cause des pertes de débit et, donc, de quantité de bains.

Des nouveaux thermes au "Vieil établissement": désuétude, procès, démolition

A la fin des années 1830, l'édifice se trouve dans un si piètre état que les autorités conviennent de bâtir un nouvel établissement de bains sur un terrain communal attenant, dont l'exécution des travaux est adjugée en 1841. Thomas Bayle, le dernier acquéreur du Vieil établissement, décède peu de temps après son opération immobilière, laissant six héritiers qui, six ans après le début du nouveau chantier, en 1847, intentent un procès à la commune arguant que l'acte de vente du Vieil établissement impose de ne pas déplacer les sources. En raison du nouveau chantier, ils exigent donc un dédommagement de 80.000 francs. Le 10 juin 1848, le tribunal d'Oloron, confirmé par la cour d'arrêt de Pau le 5 février 1850, condamne la commune à verser une indemnité aux héritiers Bayle pour réparation du préjudice causé par l'éloignement des sources du Rey et de l'Esquirette. L'indemnité est fixée à 22.950 francs, auxquels s'ajoutent des intérêts de 5% à compter de 1846. Mais un arrêt du 15 mai 1854 annule cette décision pour incompétence et renvoie les parties devant l’autorité administrative. Les héritiers Bayle assignent donc de nouveau la commune au tribunal le 25 juillet 1854 et demandent 109.400 francs d'indemnités. Les experts désignés sont l'ingénieur des Ponts et Chaussés Cailloux et le conseiller honoraire de la cour de Pau, Ferrier. Cette fois, la sentence irrévocable impose aux héritiers la vente de l'établissement à la commune "avec la garantie de tout privilège, hypothèque, surenchère et éviction quelconque" pour la somme de 60.000 francs. La commune doit prendre possession de l'immeuble, mobilier excepté, à compter du 1er novembre 1856.

Une délibération du 23 mai 1858 statue finalement sur la mise en ferme de l'édifice "connu sous le nom de Vieil établissement" jusqu'en 1865, mais la commune n'en exclut pas une éventuelle démolition. "Le preneur sera tenu de vider les lieux à la première réquisition de l'autorité municipale", est-il inscrit dans le cahier des charges. Dans ce contexte, le 1er juillet 1860, le Vieil établissement et l'écurie du médecin sont mis en adjudication au profit de Pierre Sempé, maître d'hôtel, pour la somme de 520 francs, avec pour garant Jean-Pierre Casabonne.

Malgré ces tentatives de redynamisation économique, la démolition du Vieil établissement avant même la fin du contrat de concession est inéluctable, suivant ainsi les préconisations du médecin thermal Izarié qui, dans ses rapports des saisons 1852 et 1854, juge l'édifice "hideux" et propose de "le raser au niveau de la route" pour "démasquer" le nouvel établissement. Le projet de démolition établi par l'architecte départemental Gustave Lévy le 2 février 1863 prévoit une réappropriation du niveau inférieur en conservant notamment le promenoir et le coiffant d'une terrasse afin de le transformer en marché couvert durant la saison thermale. La démolition intervient en définitive entre le 18 et le 20 mai 1863. Elle est suivie par une vente de l'intégralité des matériaux. Selon l'état de ventes signé par l'entrepreneur de la démolition Abbadie fils le 25 septembre, la vente inclut : ardoises, lattes, bois de construction, bois à brûler, planches, placards en noyer, placards peints, portes emboîtées, banquettes, briques à cloisons etc., en somme des composantes qui donnent une idée de la matérialité et des équipements de l'édifice détruit.

Gustave Lévy propose en septembre 1863 un nouveau projet de réappropriation du site, comprenant un aménagement paysager et viaire direct entre l'hôtel de France, le nouvel établissement et l'hôtel Baudot. L'architecte départemental préconise en outre de réutiliser la pierre pour la construction d'une petite halle, d'un perron sur la voie publique, d'un mur de soutènement et de remblais devant l'établissement thermal, ainsi que d'un pavillon buvette sur la source de l'Esquirette. Si ce projet n'a pas été exécuté dans son intégralité, il laisse place à un troisième projet de Lévy, consistant en la construction d'un perron à double-volée unissant les édifices du niveau de l'église et la partie basse du bourg menant aux thermes. Dès lors, le Vieil établissement, omniprésent dans l'iconographie abondante de la première moitié du 19e siècle, ne subsiste plus que dans le remploi économique de ses matériaux et dans les canaux souterrains bâtis sur les résurgences des sources historiques au 18e siècle.

Périodes

Principale : 4e quart 18e siècle

Dates

1781, daté par source

Auteurs Auteur : Desfirmins

Ingénieur en chef du Roy et des Ponts et Chaussées, en poste à Auch et actif dans les années 1780.

, ingénieur des Ponts et Chaussées (attribution par source)
Auteur : Latapie Jean

Architecte municipal de Pau (1810-1837), ayant œuvré à d'autres chantiers (Eaux-Bonnes, Eaux-Chaudes...).

Fils de Guillaume Latapie, maçon de Jurançon, et frère aîné de Vincent Latapie, architecte départemental des Basses-Pyrénées, avec lequel il est parfois confondu.

, architecte départemental (attribution par source)
Auteur : Lévy Gustave

Architecte départemental des Basses-Pyrénées, en poste entre 1856 et 1879. Il travailla notamment pour les églises de : Garlin (reconstruction, 1856-1864), Rontignon (achèvement, 1857-1861), Arzacq (construction, 1857-1868), Eaux-Bonnes (temple protestant, thermes, mairie, écoles..., 1857-1861), Aubertin (construction, 1859-1867), Bougarber (clocher, 1861-1868), Bilhères (agrandissement, 1863-1867), Eaux-Bonnes (église, 1862-1869), Saint-Palais (deux projets de construction refusés, 1863 et 1864), Lamayou (construction, 1864-1876), Maucor (reconstruction, avant 1867), Beuste (construction, 1864-1869), Bordes (construction, 1864 puis 1872-1885), Saint-Faust (construction, 1866-1867), Arbus (reconstruction, 1867-1868), Portet (reconstruction, 1867-1870), Abère (projet de reconstruction non exécuté, 1868), Ponsons-Dessus (construction, vers 1868), Saint-Vincent (projet de construction d'un clocher, non exécuté, 1868), Soumoulou (projet de construction non exécuté, 1870), Boeil-Bezing (reconstruction, 1871), Arrien (projet de reconstruction non exécuté, 1872), Esquiule (reconstruction, 1874-1879).

Plusieurs travaux et équipements importants lui sont attribués à Pau : réaménagement de l'ancien asile d'aliénés départemental et construction d'un nouveau (Saint-Luc, 1865-68) ; hôtel de ville-théâtre (1862) ; prison départementale (1863) ; Grand Hôtel (1862)...

, architecte départemental (attribution par source)
Auteur : Abbadie fils

Entrepreneur domicilié aux Eaux-Chaudes dans les années 1860 et 1870.

, entrepreneur (attribution par source)

L'emplacement du vieil établissement est occupé par la voie publique, par une plate-bande gazonnée où sont implantés des captages d'eau thermale (Rey 1, Rey 2, Esquirette) et par un perron à double volée en pierre d'Arudy reliant les parties haute et basse du bourg. De l'édifice, subsistent les canalisations souterraines en terre installées en 1780 pour le captage des sources du Rey et de l'Esquirette et encore visibles dans les profondeurs de l'actuel établissement thermal.

Murs
  1. Matériau du gros oeuvre : pierre

    Mise en oeuvre : moellon

    Revêtement : enduit

Toits
  1. ardoise
Étages

étage de soubassement, 2 étages carrés, étage de comble

Élévations extérieures

élévation à travées

Couvertures
  1. Forme de la couverture : toit à longs pans

Escaliers
  1. Emplacement : escalier dans-oeuvre

État de conservation
  1. détruit

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Pyrénées-Atlantiques , Laruns , Place des Thermes

Milieu d'implantation: en écart

Lieu-dit/quartier: Eaux-Chaudes

Cadastre: 2018 BE 10

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