1985 : l'atelier de Gabriel Albert révélé par les photographies d'André Escard et Michel Salentey
Le Jardin de Gabriel, jardin composé de 400 statues en ciment armé situé à Nantillé (Charente-Maritime), a été largement étudié depuis les années 1970 par les amateurs d’art brut qui ont publié de nombreux articles dans les revues spécialisées. Le Service Patrimoine et Inventaire a également mené une étude d’inventaire complète en 2009-2010. Peu d’environnements créés par des artistes autodidactes sont connus avec autant de précision. Pourtant, chaque année, de nouveaux éléments repérés sur le site, des documents ou des témoignages enrichissent notre connaissance sur l’œuvre de Gabriel Albert. Ainsi, des photographies prises en 1985 par André Escard et Michel Salentey, redécouvertes récemment, nous apportent de précieuses informations sur l’atelier et le processus de création du sculpteur-modeleur.
Carnet du patrimoine
Publié le 16 juin 2025

# Charente-Maritime, Nantillé
# Jardin sculpté de Gabriel Albert
# 20e siècle, 21e siècle
# Jardin, Sculpture, Statue
Le premier atelier
Lorsqu’il s’installe vers 1940 dans le hameau de Chez-Audebert, Gabriel Albert abandonne son métier de laitier et devient menuisier-ébéniste. Il construit alors son atelier à l’arrière de sa maison. En 1969, à 65 ans, il prend sa retraite et commence à réaliser ses premières statues en ciment armé dans ce même atelier. Jusqu’en 1985, il y conçoit plus de 300 œuvres. Gabriel évoque cependant rarement cet espace essentiel à sa création et il y fait à peine allusion dans l’entretien accordé à l’ethnologue Michel Vallière en 1991.
Les photographies d’André Escard
En 1985, André Escard découvre le Jardin de Gabriel. Ce passionné d’art brut et d’art singulier rend visite à Gabriel Albert et réalise de nombreuses photographies des statues, de l’atelier et du sculpteur, pour enrichir l’immense documentation qu’il rassemble sur les artistes autodidactes en France. Après le décès d’André Escard en 2008, sa documentation est donnée au LaM, musée de Villeneuve-d’Ascq, qui la diffuse sur son site Internet.
Ce qu’elles nous apprennent
Les photographies d’André Escard sont les seules qui illustrent l’intérieur du premier atelier de Gabriel Albert, juste avant son transfert dans un second atelier. Gabriel prend la pose, détendu et souriant. Il lit avec attention un article de la revue Gault et Millau présentant ses créations. De nombreux éléments préfabriqués, meubles et objets, visibles sur les photographies, seront ensuite transférés dans le second atelier et y sont encore présents. Il entrepose aussi beaucoup de têtes sculptées en attente. On reconnait ainsi la tête de la future statue représentant un officier allemand, probablement Adolf Hitler.
Deux photographies permettent de voir une même sculpture, posée au centre de l’atelier, en cours de création. Elle représente un jeune homme, couvert d’une casquette, chaussé de bottes à lacets et vêtu d’une culotte courte. La couleur foncée du ciment au niveau du tronc du personnage indique que cette zone est en cours de séchage, alors que la tête, de couleur claire, a été fabriquée en amont et vient d’être jointe au corps de la statue. Les membres supérieurs n’ont pas encore été réalisés et seules quatre tiges métalliques, destinées à devenir l’armature des bras, sortent de chaque épaule. Ces « instantanés » nous permettent de comprendre plus précisément les étapes de la création des statues, avec des parties préfabriquées, puis assemblées.
Le transfert dans le second atelier
En 1985, Gabriel Albert transfère son atelier dans un autre abri, en tôle et charpente métallique, qu’il élève à l’arrière de son jardin de statues. Les raisons de ce déménagement ne sont pas connues précisément. Le premier atelier est détruit peu de temps après. Jusqu’en 1989, année où il stoppe sa création à l’âge de 85 ans, le sculpteur modèle encore une centaine de sculptures dans ce nouvel abri, en plus des 300 faites précédemment.
Les photographies de Michel Salentey
Pendant l’été 1985, quelques mois après André Escard, Michel Salentey visite le Jardin de Gabriel et réalise à son tour une série de photographies du site. Près de 40 ans plus tard, lors d’une visite du Jardin de Gabriel, la petite-fille de Michel Salentey et son conjoint évoquent ces photographies en leur possession et transmettent les fichiers numérisés.
Ce qu’elles nous apprennent
Sur les photographies de Michel Salentey, le second atelier est encore vide et ne semble pas terminé. Deux photographies sont particulièrement intéressantes. Sur l’une, on aperçoit à l’arrière-plan Gabriel Albert qui vient de poser sa brouette pour discuter avec deux visiteuses. Au premier plan, à droite, la statue de jeune homme en cours de création quelques mois plus tôt est achevée. Les bras ont été fléchis vers l’avant pour porter deux oiseaux, tandis qu’un troisième oiseau a été fixé sur la casquette du personnage. Des détails vestimentaires ont également été ajoutés – bretelle, boutons, col – et la statue a été peinte. Cette statue a été volée en 2004.
Sur une autre photographie, on distingue, sous la treille et derrière les bustes du général de Gaulle et d’un personnage asiatique, une grande quantité de têtes sculptées en ciment posées sur des piédestaux. Certaines de ces têtes étaient visibles sur les photographies d’André Escard. Gabriel Albert a donc décidé, lors du transfert de son atelier de création, d’exposer provisoirement dans son jardin ces statues inachevées avant de les terminer ; la place manquait peut-être dans ce nouvel abri, plus petit que le précédent. Dans les années qui suivent, Gabriel Albert remploie ces visages modelés pour réaliser des statues en pied qu’il positionne à divers endroits du jardin, essentiellement sous la treille ou à proximité.
Auteur : Yann Ourry.
Remerciements au LaM, à Michel Leroux, à Elsa Fauconnet et à Antoine Liebaert.
Pour en savoir plus :
- la vidéo de présentation du Jardin de Gabriel
- le dossier d'inventaire du Jardin de Gabriel
- la documentation d'André Escard sur le site du LaM