Patrimoine et inventaire de Nouvelle-Aquitaine

Près de Châtellerault, le cimetière de Naintré conserve un monument érigé en l'honneur de l'adjudant Albert Réau, mort, avec trois autres membres d'équipage, dans l'accident du dirigeable La République le 25 septembre 1909. A la suite de cette tragédie aérienne et aux funérailles nationales célébrées trois jours plus tard en la cathédrale de Versailles, des monuments commémoratifs ont été érigés à la fois sur le lieu de la catastrophe et dans plusieurs communes d'où étaient originaires les victimes. C'est le cas du mémorial d'Albert Réau à Naintré.

Né à Naintré le 31 décembre 1879 (et non en 1880 comme l'indique par erreur le monument lui-même), Albert Réau est le fils d'un ancien ouvrier mécanicien de la manufacture d'armes de Châtellerault, Jules Réau, et de Joséphine Raffarin, domiciliés à Domine. En 1898, il s'engage au 20e régiment d'artillerie de Poitiers et rejoint, en 1906, le parc d'aérostation militaire de Chalais-Meudon (Hauts-de-Seine). C'est là que débute son histoire avec les dirigeables, notamment La République. Ce dernier, construit en 1907-1908 dans les ateliers des frères Bebaudy à Moisson (Yvelines) sur les plans de l'ingénieur Julliot et du mécanicien Juchmès, résulte de l'invention du premier aérostat construit en 1852 par Henri Giffard et à ceux qui lui ont succédé, souvent à des fins militaires, comme le Zeppelin en Allemagne ou La Patrie en France. Participant à la course aux armements entre les deux pays et préludant à la guerre 1914-1918, il est mis en service le 24 juin 1908. C'est un dirigeable militaire de 60 mètres de long, de type semi-rigide, d'un volume de 3 650 m3 et doté d'un moteur Panhard-Levassor permettant d'atteindre la vitesse de 35 km/h. A son époque, par ses capacités techniques, il fait la fierté de toute la France. Il survole notamment Paris et accompagne le défilé du 14 juillet à Longchamps en 1909, avec le dirigeable Ville-de-Nancy. Son image a été popularisée par de nombreuses cartes postales et estampes.

Mais les techniques de fabrication des aérostats et autres dirigeables n'étant pas complètement fiables, des accidents pouvaient se produire. C'est ce qui est arrivé avec La République à la suite de la rupture d'une hélice qui a crevé l'enveloppe du ballon. Le 25 septembre 1909, le dirigeable s'écrase à Trévol (Allier) en rentrant d'une expédition reliant Lapalisse à Meudon. Il provoque la mort des quatre membres d'équipage, le commandant de bord, le capitaine Lucien Marchal, âgé de 47 ans, le commandant en second, le lieutenant Jean Chauré, 28 ans, et les deux mécaniciens, les adjudants Albert Réau, 29 ans et Henri Vincenot, 33 ans.

Des funérailles nationales sont décrétées et rendues à la cathédrale de Versailles par le président du Conseil, Aristide Briand, le ministre de la Guerre, le général Brun, le ministre des Travaux publics, Alexandre Millerand, et le sous-secrétaire d’État à la Guerre, Albert Sarraut. A Trévol, le lieu de la catastrophe a fait l'objet d'un imposant monument sculpté commandité par l’État, tandis que les communes dont sont originaires les victimes de l'accident font construire des monuments plus modestes comme à Oucques (Loir-et-Cher) pour Henri Vincenot et à Meudon (Hauts-de-Seine) pour le lieutenant Chauré. A Paris, quatre rues du 20e arrondissement sont rebaptisées à leurs noms et quatre dirigeables construits dans les années suivantes reçoivent, comme le veut la tradition militaire, les noms de capitaine-Marchal, lieutenant-Chauré, adjudant-Vincenot et adjudant-Réau.

À Naintré, le mémorial dédié à l'adjudant Albert Réau est érigé en 1910 grâce à une souscription publique et l'aide du Souvenir Français. Il est réalisé sur les plans de l'architecte de la ville de Châtellerault, Théophile Martin, qui fait intervenir le statuaire (et aussi photographe) Jules César Robuchon, auteur des bas-reliefs en bronze, le sculpteur Fernand Dudoit, auteur du décor sculpté en pierre, et l'entrepreneur Narcisse Bordeaux pour l'érection du monument lui-même.

Pour réaliser le portrait d'Albert Réau figurant sur le médaillon, Jules Robuchon a choisi de le représenter de profil, portant la moustache et les cheveux tirés en arrière. Pour le bas-relief montrant les aérostiers dans la nacelle du dirigeable, le même Robuchon s'est visiblement inspiré d'une photographie prise peu avant le décollage. On peut vraisemblablement reconnaître, de gauche à droite, le lieutenant Chauré, le capitaine Marchal, Albert Réau et Henri Vincenot. Ceux-ci sont figurés debout dans la nacelle et tenant pour certains des cordages. Robuchon a également reproduit la plupart des détails visibles sur la photographie comme les pièces du moteur, l'hélice, les cordes reliant la nacelle au ballon, les malles ou les sacs de ballast entreposés à l'avant de l'aérostat. Il a aussi ajouté, dans la partie inférieure, une représentation plus ou moins fidèle du château d'Avrilly, près duquel le dirigeable s'est écrasé.

Le monument a été inauguré le 2 octobre 1910, devant une foule de près de 5 000 personnes, par de nombreuses personnalités, non seulement locales ou départementales, mais aussi nationales. Cette inauguration a été longuement relatée dans L'Avenir de la Vienne du 3-4 octobre 1910 et dans le Journal de la Vienne du 4-5 octobre 1910.