L'opération de la coupe des gants proprement dite, n'est que le tiers tout au plus du travail des ouvriers et ouvrières pour les confectionner Les diverses opérations du gantier ont lieu sur une table de bois dur, matériellement établie et solidement assise. Elle est de grandeur proportionnée au nombre d'ouvriers qui y travaillent et de la hauteur d'environ deux pieds et demi.
La peau doit être débordée avant d’être dolée. DOLER une peau est en enlever une partie dans son épaisseur, du côté de la chair, afin de la rendre plus douce, plus fine et d'en embellir la fleur ; on dole encore quelquefois des peaux du côté de la fleur; mais alors ce sont des peaux destinées à être employées du côté de la chair, et ce n'est uniquement que pour les égaliser autant que possible en souplesse et en épaisseur.
Cette opération se fait au moyen d'un outil que l'on nomme couteau à doler, dont le manche est en bois (fig. 6). On a, en outre, pour cette opération, besoin d'un marbre d'environ 18 pouces de large sur 24 de long, garni à l'une de ses extrémités, dans sa partie inférieure, d'un tasseau en bois dans sa largeur, d'un pouce d'équarrissage fixé par trois broches ou chevilles. Ce marbre est mis à plat sur la table du coupeur, de manière à en déborder juste de la largeur du tasseau que les ouvriers nomment le talon du marbre, parce que souvent il se trouve formé par le marbre même. (Voy.fig. 7.)
La peau que l'on a à doler se place dans sa longueur et à plat sur ce marbre : elle y est fixée par une de ses extrémités, en la faisant descendre sous ce même tasseau que nous avons aussi nommé le talon du marbre. La peau ainsi fixée sur le plateau du marbre, y est soigneusement élargie. Elle y est étendue le plus possible, au moyen de la main gauche. Dans cet état, armé de son couteau à doler, qu'il tient fixé dans sa main droite, au moyen d'un mouvement horizontal en avant de son corps, l'ouvrier enlève avec son tranchant les grosses chairs, jusqu'à la partie voisine de la fleur que nous avons nommé le corps capillaire. Ce travail doit se faire sur toutes les parties de la peau jusqu'à ce qu'elle soit bien également fine (fig 8). Cette opération, une des plus pénibles et des plus difficiles de l'art du gantier, ne s'effectue pas fort souvent sans accident. Une ordure ou un morceau de dolage, arrivant sous la peau, y occasionne un trou : un coup de couteau donné à faux peut causer une irrégularité et affaiblir la peau au point de ne pouvoir supporter la couture ; ou bien y faire une ouverture plus ou moins large. Tous ces accidents fâcheux nuisent au rapport de la peau. Ces deux derniers défauts sont ce que les ouvriers appellent des chats. Ces chats sont ordinairement le fait des mauvais doleurs ; mais considérés sous ce point de vue, on peut dire qu'il y en a peu de bons ; car il suffit d'une distraction pour que cet accident arrive au meilleur ouvrier.
DÉPECER signifie mettre en pièces : l'opération à laquelle nous allons nous livrer consiste donc à réduire la peau dont on veut faire des gants, en morceaux de longueur et largeur proportionnées à la taille de la peau même, ou à celle des gants que l'on se propose d'y faire, si cela se peut, sans nuire à son rapport. Pour arriver à ce but il faut, au préalable, mettre sa peau à l'humide, soit au moyen d'une toile mouillée, soit en la mettant dans un lieu frais. La peau blanche est la plus promptement pénétrée d'eau, à cause de la présence du sel commun qui lui a été donné en mégie ; la peau mise en couleur, qui a perdu ce sel dans la purge, l'est moins vite, surtout lorsqu'il est entré dans la teinture quelque substance astringente.
Lorsque votre peau est pénétrée d'une humidité convenable pour la travailler, le premier soin que l'on ait à prendre consiste à la sonder dans sa longueur et sa largeur pour juger de sa taille, de sa force, de ses défauts, et user de la connaissance que vous en avez prise, afin que les gants que l'on va en tirer soient, non seulement de force égale, mais que les défauts soient placés de manière à pouvoir disparaître dans les opérations ultérieures, soit du dépeçage, soit de la coupe des gants, soit enfin dans celles de leur broderie et de leur couture.
La largeur d'une paire de gants se calcule ordinairement par la mesure de l'empan de la personne pour qui elle est destinée (fig- 9) Un gant pour homme peut avoir de 8 à 11 pouces de largeur; sa hauteur de 9 à 10 au plus. La largeur du gant est, autant que possible, prise dans le sens de la largeur de la peau, et par conséquent sa hauteur, de tête en queue. Voilà ce que nous appelons le sens de la peau. Des raisons d'économie seulement peuvent y faire déroger (fig. 10).
Le dépeçage des pouces se fait ordinairement en même temps que celui des gants ; leur longueur et leur largeur doivent également être calculées et proportionnées à la taille de ceux-ci : à peu près de 5 à 5 pouces et demi de long, sur 4 ou 4 et demi de large dans la partie supérieure que nous nommons empature, et seulement 3 ou 3 et demi pour l'autre extrémité que nous nommons le bout.
Après avoir sondé la peau, si les gants que l'on se propose de faire sont des gants passe-coudes ou mi-longs, on commencera par la mettre au large et à la déborder, afin d'en bien connaître tout le développement, et de la dépecer en deux parties égales dans la direction du dos, si rien ne s'y oppose. Dans cet état la peau devant donner lieu à une paire de gants, les doigts et la main seront fournis par le côté voisin de la tête, et la partie supérieure du gant, que nous nommons le rebras, sera formée par la culée (fig. 11). Le débordage est une opération qui se renouvelle nombre de fois dans le cours des opérations qui ont lieu pour la coupe des gants ; elle est même en usage pour sonder entièrement une peau lorsqu'elle a été mise au large. Nous allons nous en occuper.
Déborder une peau, c'est attirer et allonger ses extrémités, qu'on peut nommer les arêtes ou bords, et que dans la ganterie nous nommons bordage. Cette opération a lieu au moyen d'un couteau sans tranchant, un peu matériel, et à peu près de la forme d'un couteau de table pointu. L'ouvrier prend ce couteau dans la main droite, et le place de telle sorte que le dos se trouve renversé, c’est-à-dire dans la partie inférieure. Dans cet état il rapproche d'abord de la table le plat de la lame, en l'appuyant vers sa peau qui y est placée de manière à déborder un peu ; puis il saisit successivement chacune des parties des bordages de la peau, entre le pouce et la lame du couteau ; et par un mouvement alternatif de pression et de reculement de son pouce, à qui il fait, en quelque sorte, décrire un arc de cercle sur l'axe de son poignet, il allonge de proche en proche toutes les extrémités de sa peau.
Ces mouvements, qui ont lieu de gauche à droite, s'exécutent avec une très-grande vitesse et facilité (fig. 12). Cette opération est indispensable pour sonder entièrement une peau et faciliter l'opération du dolage que nous avons décrite. Elle est aussi utile pour bien effectuer le dépeçage.
Nous avons vu quelles étaient les grandeurs ordinaires des morceaux de peaux destinés à faire des gants d'hommes. Ces morceaux, je les nommerai étavillons. Celles des deux tranches destinées à faire nos gants passe-coudes, ont de 22 à 24 pouces. Les mi-longs doivent en avoir de 18 à 19. Les largeurs des mains peuvent varier entre 7 à 8, pour les mains ordinaires.
Le dépeçage est une des opérations les plus importantes de l'art du gantier. Tel ouvrier inexpérimenté ou peu capable ne trouvera que deux douzaines de paires de gants, je suppose, dans une douzaine de peaux qu'il aura dépecées ; tel autre plus adroit, plus soigneux, en aura une ou deux paires de plus, et quelquefois plus belles et de mêmes grandeurs.
Les morceaux résultants du premier dépeçage ne sont que des tranches qui contiennent assez ordinairement de quoi faire deux gants; quelquefois trois, mais parfois aussi un seul, suivant leur grandeur et leur beauté. Les peaux sont donc dépecées en tranches, et les tranches en morceaux, que, fort improprement, on appelle gants, et que je crois devoir désigner sous le nom d'étavillons. Pour obtenir ces étavillons il faut remettre chacune de ces bandes au large ; c'est-à-dire allonger ces mêmes tranches en faisant rentrer le cuir dans un sens opposé à celui où il était concentré (fig. I3 C'est avec ces mêmes étavillons, fournis de leurs morceaux pour faire leurs pouces, que, au moyen des diverses opérations qui vont avoir lieu, nous allons confectionner nos gants.
La première des opérations subséquentes se nomme étavillonnage. ETAVILLONNER est donner à un étavillon la forme qu'il doit avoir pour devenir gants.
L'étavillon doit d'abord être ouvert et débordé dans le sens de sa largeur. C'est ce qu'on entend par mettre au large : au moyen de cette opération on régularise la largeur de sa paire de gants. (fig. 14). Votre étavillon mis au large est saisi par les mains du coupeur pour le faire glisser vers le bord de la table dans le sens de sa longueur, de manière à concentrer le cuir en sens inverse de ce qu'il est, et de lui donner une forme longitudinale dans le sens de la longueur de la main (fig. 15). Cette action, qui a lieu au moyen des deux mains, demande un grand soin pour que la portion de l'étavillon, que l'on destine à faire la partie supérieure du gant, ait une plus grande quantité de cuir. Cet excédent est nécessaire pour donner au poignet la facilité de se fermer : car, au moyen de ce mouvement, comme on peut le voir, la peau d'un gant est toujours tendue dans la partie supérieure, tandis, au contraire, que dans l'intérieur de la main dans cet état, il y a superflu. Votre étavillon étant convenablement disposé, ou votre gant étant étavillonné, comme disent nos coupeurs, vous le pliez en deux dans le sens de sa longueur ; puis, au moyen d'un peu de salive, lorsque son pareil est aussi disposé, vous les collez du côté destiné à former les dessus de mains; vous les ajustez avec soin, de manière à ce qu'ils ne débordent en aucun sens; puis vous les placez auprès de vous sur une planche en carré long et à ce destinée (fig. 16).
Vos deux étavillons, ainsi disposés et dressés en quatre feuillets, ont besoin de leurs morceaux destinés à faire leurs pouces : ils doivent être restés à côté de vous; vous les prenez et les dressez comme il vient d'être indiqué pour vos étavillons de gants. Dans cet état vous les placez sur leurs gants respectifs pour attendre que d'autres viennent les y joindre (fig. 17).
Vous continuez donc à passer en revue tous vos étavillons, afin de leur donner la même préparation et de les mettre en pile dans le même ordre. Vos étavillons ainsi disposés, ont besoin, avant d'être soumis aux ciseaux du coupeur pour devenir gants, d'être un peu raffermis au moyen d'une pression quelconque.
Il faut se rappeler que nous avons prévu, lorsqu'il a été question de dépecer, que nous pouvions avoir des défauts à placer et à faire disparaître. Il y en a souvent un assez grand nombre pour nécessiter une grande sagacité de la part du coupeur, et il ne faut rien moins, pour se tirer d'affaire, qu'une grande expérience et un grand jugement pour obtenir un affranchissement de tous. C'est au travail de l'étavillonnage que ces soins ont dû être donnés d'une manière spéciale. Dans la fente des étavillons il faut encore veiller à ce que chaque destination soit parfaitement remplie.
Fendre des étavillons c'est leur donner, lorsqu'ils sont étavillonnés et établis comme on vient de le voir, au moyen d'une paire de forts ciseaux, la forme convenable pour envelopper les mains le plus parfaitement possible, c'est-à-dire pour en développer complètement toutes les formes et devenir gants.
Les étavillons de chaque paire de gants tels que nous les avons vus placer sur la planche, forment quatre doubles de peaux. Autrefois ces mêmes étavillons étaient dépecés de telle manière que les rebras (la partie opposée aux doigts) étaient un peu plus larges : depuis que l'on a généralement adopté pour la belle ganterie l'usage de resserrer ce même rebras vers le poignet, au moyen d'un bouton et d'une boutonnière, cette partie du gant est, au contraire, un peu étranglée.
Nous allons nous occuper de la fente des étavillons. Pour cette opération l'ouvrier est assis en face de sa table, sur un tabouret élevé à sa convenance. Je suppose un étavillon me présentant à peu près 6 pouces et demi de largeur dans la partie inférieure, celle où les doigts doivent être formés ; ce qui peut représenter une largeur réelle de 9 pouces et demi avant que d'être étavillonné. Supposons juste 80 lignes ; mes étavillons étant pliés en deux, il m'en reste 4o. Pour procéder à la confection de ma paire de gants, je place mon étavillon parallèlement à ma face ; je prends l'un des feuillets mobiles, et lui procure dans sa longueur un pli qui sert de première ligne de démarcation pour la fente; cette fente devant s'opérer d'abord sur les quatre doubles de peau de mes deux étavillons, et dans une largeur de 40 lignes, comme nous avons vu; ma première ligne de démarcation est faite de manière à laisser, savoir : pour les deux plus gros doigts 22 12, et pour les deux autres 17 lignes 12. Il s'agit d'opérer cette division au moyeu de mes ciseaux : je commence par en déterminer la longueur; elle est celle du plus long doigt d'une main d'homme, puisque ce sont des gants d'hommes ; mais, en raison de ce que la peau est appelée à prêter lorsqu'on se gantera, il faut donc y ajouter quelque chose de
plus : ce quelque chose est de trois à quatre lignes, 6uivant ce qu'on a vu que le cuir avait été concentré. Le coupeur se guide donc sur la longueur de son médius ou grand doigt (Fig. 18). Cette première division faite, il faut en former deux autres.
Pour déterminer nos deux plus gros doigts, le médius, que nous nommons grand doigt, et l'index, que nous nommons maître doigt, je prendrai pour le premier 10 lignes l/i, et pour le second 12 1/4. Le coup de ciseaux au moyen duquel j'opère cette première division, sera poussé d'une bonne ligne plus haut que celle du milieu. Les proportions pour la largeur des doigts ne sont pas indiquées par la nature, mais parce que, comme on le verra, l'index est appelé à recevoir une seule demi fourchette, tandis que le médius en aura deux, c'est-à-dire une demi-fourchette de chacun de ses côtés.
Il reste à diviser la seconde partie pour avoir la forme de mes deux petits doigts, l'annulaire que l'on nomme doigt inférieur, et le petit doigt, qui conserve ce nom. Mon coup de ciseaux passera par la ligne d'intersection entre huit et neuf lignes, de manière à laisser la partie la plus forte au petit doigt par le même motif indiqué pour le gros doigt. Ce troisième coup de ciseaux sera porté encore deux lignes plus haut que le second, et par conséquent de quatre en tout plus haut que celui de la fente du milieu.
Cette différence, qui existe dans la longueur des doigts, à leur origine, n'est rien auprès de celles de leur extrémité. La seule conformation de nos doigts, que l'on peut consulter, détermine ces proportions. Il est question de les déterminer au moyen de trois coups de ciseaux ; c'est ce que nous entendons par les mots étaler les doigts (fig. 19), Comme ces proportions peuvent être prises sur notre propre main, je ne m'y arrêterai pas autrement. Les morceaux à enlever sont à peu près dans les proportions de 3, 6 et 12 lignes. Il suffira de placer ses gants sur le bord de la table de manière à en laisser déborder les doigts. Cette opération faite, il est question de s'occuper des pouces. L'ouverture que l'on doit pratiquer aux gants pour recevoir les pouces se nomme empaume.
Cette ouverture, surtout depuis quelques années, varie beaucoup de forme, suivant les ouvriers; mais celle qui est la plus généralement déterminée dans les bonnes fabriques, est à peu près celle représentée (fig. 20). Pour faire l'empaume on prend les deux morceaux mobiles de sa paire de gants, et on leur imprime un pli en arrière, de manière à arriver à peu près à la moitié de l'annulaire, mais un peu en biaisant, de telle sorte que la partie des doigts se rapproche, tandis que celle du rebras s'éloigne du point fixé pour le milieu (fig. 21). Ces deux morceaux ainsi pliés sur eux-mêmes, il vous reste toujours une épaisseur de quatre peaux.
Les deux parties ainsi allongées et qui font le prolongement de la partie déjà collée, sont fixées au point même où doit se pratiquer l'empaume, avec un peu de salive : nonobstant, vous assujettissez ces parties en les pinçant au moyen du pouce et de l'index de la main gauche : puis, après avoir désigné la hauteur de votre empaume, c'est-à-dire la distance où elle doit être de la naissance de l'index, vous procédez à cette ouverture. Cette distance, calculée à peu près de la longueur des deux dernières phalanges de notre plus long doigt, doit avoir, pour homme, environ deux pouces. Cette distance étant prise (fig. 22), vous dirigez un coup de la pointe des ciseaux, de manière à former une languette de près d'un pouce de profondeur dans une obliquité d'environ trois lignes à partir du pli en descendant (fig. 23) : puis, sans vous arrêter, et en plaçant entre le pouce et l'index la partie de la peau qui doit être enlevée, en enfonçant le tranchant de vos ciseaux jusqu'auprès du clou (fig. 24), et dans une position indiquée par le mouvement que vous allez leur faire faire, vous enlevez, en arrondissant et en gagnant la partie supérieure, un morceau de peau que nous nommons enlevure, et dont la forme détermine celle de l'empaume même, comme nous l'avons vu.
Sans abandonner votre paire de gants, qui est censée devoir vous échapper (car vous la teniez des deux doigts, par ce seul point nommé enlevure), vous faites une petite ouverture en bas de votre languette, d'environ dix lignes, au moyen d'un coup de ciseaux (fig. 25). Ce coup de ciseaux doit être dirigé de telle sorte que, en le prolongeant d'une ligne de plus, on aurait fait tomber la languette en forme de losange. Ce coup de ciseaux forme deux ouvertures à chacun des bas côtés de notre languette. Ces deux ouvertures auxquelles on ne donne pas de nom dans la ganterie, et que je vais baptiser glisse-longuettes, sont destinées à recevoir deux languettes que l'on forme aux pouces, et qui, une fois enclavées dans ces glisse-languettes, sont destinées à faciliter l'écartement du pouce de l'index dans les divers mouvements de la main lorsque l'on est ganté. Le coup de ciseaux que l'on pratique dans les pouces pour obtenir ces languettes, doit être juste de la longueur des languettes, dites losanges, pratiquées aux gants; cette partie des pouces étant destinée à y être accolée exactement au moyen de la couture, comme on le verra : ces deux languettes des pouces se trouvent donc être de la même longueur que celles pratiquées aux gants. En s'arrêtant un instant sur ces proportions, on voit que les deux glisse-languettes pratiquées aux gants pour recevoir les deux languettes du pouce, devraient avoir le même prolongement, ce qui n'a pu avoir lieu pour ne pas détacher tout-à-fait du gant notre languette losange ; ce prolongement pourtant eût été à désirer pour fournir le plus d'ampleur possible dans l'une des parties du gant la plus appelée à être fatiguée.
Malgré cette observation résultante de la conformation de la main et du calcul de ses diverses articulations, nombre de fabricants n'en persistent pas moins à faire de plus petites ouvertures dites glisse-languettes, dans des directions variées, sous prétexte de leur donner un sens plus convenable pour faciliter l'écartement du pouce; comme si la peau ne prêtait pas en tous sens ! C'est une augmentation d'ampleur que l'on recherche, donc que la perte d'une portion de la languette éloigne du but que l'on se propose. Dans l'origine on ne faisait point usage des languettes que nous laissons aux pouces; on enlevait ces deux morceaux pour déterminer les places où devait s'accoler la grande languette du gant. Un peu plus tard on y plaça celle de l'intérieur de la main ; mais en 1824, ayant eu occasion de faire l'essai d'une seconde languette de l'autre côté du pouce, et d'en reconnaitre les bons effets, j'en envoyai des modèles à Grenoble, Milhaud et Niort, où je fus bientôt imité. La maison Janvin est la première à Grenoble, qui ait fait des gants à doubles languettes. Maintenant que nos étavillons ouverts nous présentent à peu près la forme d'un gant, il faut déterminer la hauteur des broderies et en fixer la direction. Donner les arrières-fentes, arrondir les bouts des doigts. Cette opération, que nous nommons, est la dernière des façons de la coupe des gants proprement dite, celles des pouces et des fourchettes pouvant être considérées comme accessoires.
La broderie d'un gant doit commencer à partir de la naissance des doigts jusqu'à la hauteur, à six lignes près, de la partie supérieure de l'empaume. Le couteau qui a servi à déborder les peaux, que nous nommons ici couteau à piquer, sert à en prendre la direction et à en fixer la hauteur en le plaçant comme une règle dans la direction de la fente du milieu du gant, et en marquant le point d'arrêt au moyen d'un petit trou ; plus un second, plus un troisième dans des directions calculées pour les autres fentes, de telle sorte que ces trois lignes idéales se prolongent comme les baleines d'un éventail en se rapprochant de bas en haut (fig. 26). Les arrières-fentes se donnent dans cette seule partie des doigts appelée dessus de main : elles doivent avoir près de douze lignes pour les gants d'homme, et s'obtiennent par un simple coup de ciseaux donné dans la direction de ceux de la fente de l'étavillon (fig. 27). L'arrière-fente est destinée à faciliter le mouvement du poignet; sans elle la main serait en quelque sorte emmaillotée, et le poignet ne pourrait se fermer sans briser son gant. Il s'agit maintenant du raffilage. Raffiler c'est diminuer l'extrémité des doigts en lés arrondissant et les affilant à leur pointe. Cette opération, qui a lieu maintenant au moyen des ciseaux ordinaires (fig. 28), n'a pas besoin d'être décrite : c'est une des premières occupations que l'on donne à faire aux apprentis, il suffit de jeter les yeux sur une paire de gants fabriquée. Arrivé à ce point, nos étavillons sont de véritables gants.
Nous allons maintenant nous occuper de leur accessoire. Le pouce doit avoir une longueur qui a été déterminée au dépeçage. La forme de la partie supérieure que l'on nomme empatture est déterminée par celle de l'empaume. Pour l'obtenir, il n'y a que quelques irrégularités à faire disparaître. Les languettes doivent avoir douze lignes de long, puisque la partie d où vous les détachez doit recevoir à la couture, comme On s'est servi dans quelques fabriques, autrefois, pour fendre les gants, d'un outil que l'on nomme forces, espèce de grands ciseaux à deux tranchants dont on se sert pour tondre les moutons. Alors le raffilage commençait du haut en bas. Nous l'avons déjà fait observer, la grosse languette du gant que l'on doit se rappeler être de cette longueur.
Quant à la longueur du pouce, elle est toujours déterminée par celle du gros doigt (l'index), qui lui sert de mesure. Cette longueur est prise à partir de la naissance des deux languettes. Toutes ces diverses façons relatives aux pouces ont .lieu immédiatement après la fente des gants et avant celle du raffilage dont nous n'avons parlé d'avance, que pour ne pas quitter nos étavillons avant qu'ils ne fussent mis en gants. Le pouce a donc, comme on vient de le voir, pour taille, la longueur de l'index de son gant; plus la hauteur de l'empatture et deux à trois lignes pour la main que nous avons pour modèle; en tout, environ 57 lignes (fig. 29). Nos gants étant achevés, il reste une opération à faire dépendante de l'art du coupeur: il faut qu'il fasse ce qu'on nomme sa fourniture, ce sont les débris provenant de la coupe des gants, que l'on nomme de ce nom, et qui sont destinés à faire ses fourchettes. Ou appelle fourchettes dans la ganterie les diverses pièces longitudinales qui sont placées dans l'intervalle de chaque doigt des gants pour en augmenter l'ampleur. Le nom de fourchette leur est donné par rapport à la forme qui leur est affectée.
Pour tirer un meilleur parti de la fourniture, on fait aussi des demi-fourchettes. Le travail au moyen duquel on obtient les morceaux propres à ces fourchettes est encore un dépeçage (fig. 3o). Le dépeçage de la fourniture demande beaucoup de soins ; on doit en tirer le meilleur parti possible, en être extrêmement avare : quelques fourchettes de moins peuvent entrainer la perte d'une paire de gants, qu'il faudrait sacrifier pour les remplacer: aussi a-t-on soin, lorsque l'on craint que cela n'arrive, de faire ses fourchettes avant que de fendre ses gants. La taille des gants doit servir à déterminer celle des fourchettes au moyen du grand doigt mesuré à partir de l'arrière-fente. Les morceaux destinés à faire les fourchettes doivent être débordés et affermis comme pour les gants et les pouces : ils doivent avoir la nuance des gants auxquels on les destine pour en faciliter l'assortiment ; il est donc bon d'en avoir quelques unes de plus que le nombre fixé que nous avons vu être de 6 pour une paire, et par conséquent de soixante-douze pour une douzaine. Les fourchettes une fois fendues (voyez-en la forme fig. 3t), sont mises par paquet dans chaque douzaine respective, en y faisant entrer les demi-fourchettes en nombre proportionnel à ce qu'il y en a.
Ce sont les diverses opérations dont je viens de donner connaissance dans ce chapitre qui constituent l'art de l'ouvrier coupeur-gantier.