Tissage (usine de tapis) dit manufacture royale Sallandrouze de Lamornaix (détruite)

France > Nouvelle-Aquitaine > Creuse > Aubusson

En 1789, avec la Révolution, le secteur de la tapisserie entra, à Aubusson, dans une période de crise profonde. De ce marasme, qu´il vécut, Jean-François Meaulme (1773-1863), auteur d'une Notice historique sur la ville d'Aubusson (1788), écrivit : « plusieurs à qui il restait quelques ressources se mirent à transporter dans les marchés, foires et ballades du département et communes environnantes du tabac et de l´indigo. D´autres firent du jardinage, surtout la culture du plant qu´ils transportèrent dans les mêmes lieux. D´autres se livrèrent à la pêche. Les plus malheureux prirent la pelle, la pioche et la hotte dans les ateliers de charité ». La relance du travail fut longue à venir car les modèles et les commandes manquaient cruellement.

C'est alors qu'en 1801, Jean Sallandrouze de Lamornaix (1763-1826), établi depuis 1785 à Paris et issu d'une ancienne famille felletinoise de fabricants de tapis, ouvrit une fabrique de tapis façon de Turquie dans les bâtiments de l'ex-hôtel de Trudaine, rue des Vieilles Audriettes . Il avait compris la nécessité d'une présence permanente dans la capitale pour toucher une clientèle aisée et obtenir des commandes de l'Etat. Il s'associa avec l´Aubussonnais Guillaume Rogier, possesseur d´un magasin rue de la Huchette, pour développer ses ateliers et en créer de nouveaux. D´emblée, l´établissement de Paris obtint le soutien du ministre Chaptal qui invita la Savonnerie à fournir à Sallandrouze deux ouvriers « pour assurer le succès de cette entreprise ». La sollicitude du ministre, le 7 nivôse an X (28 décembre 1801), se manifesta à nouveau, cette fois au profit de la Creuse : ordre fut donné à la Savonnerie de confier à Rogier « les tableaux inutiles aux Gobelins et à la Savonnerie » afin de les envoyer à Aubusson, où ils pourraient servir de modèles. C'est ainsi que se créa à Aubusson la manufacture Sallandrouze de Lamornaix et Rogier, spécialisée dans la fabrication de tapis de pied au point noué, façon de Turquie.

Cet établissement industriel apparaît sur le cadastre napoléonien de 1812, aux parcelles 1041, 1042 et 1043. Seule la parcelle 1042 est alors bâtie d'une maison et d'une écurie organisées autour d'une cour, "solides, construites en pierre et couvertes en tuiles", prolongées en direction du pont des Récollets par une longue aile de plan rectangulaire, qui abritait peut-être des ateliers de tissage.

Toutes ces constructions sont qualifiées de "vieilles" dans la matrice - ce qui tendrait à conforter l'hypothèse selon laquelle, dans un premier temps, la manufacture Sallandrouze de Lamornaix se serait implantée dans des bâtiments n'ayant aucune vocation industrielle à l'origine et datant peut-être du 17e ou du 18e siècle.

La parcelle 1043 constituait, quant à elle, un jardin, sur lequel s'élevait un petit cabinet. Quant à la parcelle 1041, située en bordure de Creuse et qualifiée de "grand pré propriété de MM. Rogier et Sallandrouze", elle était encore vierge de toute construction à cette date.

La manufacture de tapis connut un essor rapide : en 1819, un rapport du sous-préfet de l'arrondissement d'Aubusson, M. Rémy, la mentionne comme la plus importante fabrique de la ville. Son ouverture occasionna une reprise significative de l'activité de tissage puisque selon l'Album de la Creuse de 1802, 250 ouvriers tapissiers étaient de nouveau employés à Aubusson, ainsi que 60 femmes velouteuses. Cette embellie fut marquée par la création d'une Chambre consultative des manufactures, fabriques, arts et métiers d'Aubusson, dont Guillaume Rogier devint tout naturellement l'un des membres les plus actifs. Les commandes affluèrent, notamment en provenance des palais impériaux des Tuileries, de Fontainebleau, Compiègne et du Trianon.

Ce succès, ajouté au percement de la route départementale de Tulle à La Châtre, qui modifia profondément l'aspect du quartier Saint-Jean, engendra une reconstruction de la manufacture de tapis. Vers 1840, les Sallandrouze firent édifier de nouveaux bâtiments sur des terrains leur appartenant entre la route départementale et la Creuse. Cet ensemble apparaît sur deux plans datés de 1848-1850, l'un conservé aux Archives Nationales, et l'autre aux Archives départementales de la Creuse, ainsi que sur une gravure extraite du Guide pittoresque du voyageur en France de Girault de Saint-Fargeau (1844).

D'après cette illustration, l'usine comprenait une teinturerie avec des ouvertures cintrées, un long édifice perpendiculaire à la rivière et surmonté d'un clocheton, qui abritait peut-être les ateliers de tissage et un autre corps de bâtiment doté d'une façade ordonnancée, avec deux ailes en retour enserrant une cour. Désigné sous le terme de "maison" dans les plans, ce dernier constituait vraisemblablement le logement patronal de l'entreprise, construit vers 1850 (voir notice IA23000487).

A Jean Sallandrouze de Lamornaix succéda son fils, Charles-Jean (1808-1867), député et président du Conseil Général de la Creuse, puis son petit-fils Charles-Octave Théodore (1834-1897), qui prirent chacun la direction de la manufacture de tapis et en défendirent les productions aux différentes expositions (en particulier l'exposition des produits de l'industrie de 1844, durant laquelle la manufacture remporta une médaille d'or et l'Exposition Universelle de 1851, à Londres, dont Charles-Jean Sallandrouze fut le commissaire général).

Vers 1860, l'arrivée de la vapeur entraîna une mécanisation du travail, qui se fit peut-être à l'aide de métiers à tisser de type Jacquard. L'usine se lança aussi dans la production de "moquette anglaise" - d'où son appellation de "manufacture anglo-française" dans plusieurs sources.

Sans doute concurrencée par la manufacture de tapis Sallandrouze Frères fondée par une autre branche de la famille dans les hauteurs du quartier Saint-Jean, la société Sallandrouze de Lamornaix fut déclarée en faillite en 1872. En règlement d'une dette qu'il avait contractée auprès d'un certain M. Maymat, Charles-Octave Sallandrouze fut contraint de lui vendre "sa maison d'habitation, les fabriques d'Aubusson et de Felletin, ainsi que les droits sur le matériel de l'ancienne société anglo-française" (AD 23 / 9 M 38). Le dépôt de bilan intervint en 1878, date à laquelle Charles-Octave quitta définitivement la ville d'Aubusson, renonçant également à ses mandats de maire (il occupait cette fonction depuis 1861) et de conseiller général (qu'il était depuis 1867).

La manufacture Sallandrouze de Lamornaix fut alors détruite, à l'exception de trois de ses bâtiments : son ancien logement patronal, cédé en 1873 à la Banque de France (voir notice IA23000487) et deux de ses ateliers, rachetés en 1883 par la famille Hamot pour constituer, avec d'autres édifices, leur propre manufacture (voir notice IA23000548).

En 1844, la manufacture de tapis Sallandrouze de Lamornaix employait 60 hommes, 42 femmes, 25 enfants et faisait fonctionner 15 métiers à tisser et six fourneaux.

Périodes

Principale : 17e siècle, 18e siècle (incertitude)

Secondaire : 2e quart 19e siècle

Toits
État de conservation
  1. détruit

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Creuse , Aubusson , rue Saint-Jean

Milieu d'implantation: en ville

Cadastre: 1812 (D 1041, 1042, 1043), 2007 (AK 343, 414, 415)

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