Tissage (usine de tapisserie et de tapis) dit manufacture Braquenié, actuellement établissement administratif communal appelé Pôle Enfance

France > Nouvelle-Aquitaine > Creuse > Aubusson

A l´origine de la manufacture Braquenié, on trouve le marchand de linge Pierre-Jean Demy, né en 1763 et établi rue de Buci, à Paris. En 1821, son fils Pierre-Antoine lui succède à la tête de l´affaire familiale, à laquelle il adjoint la vente de literie et de tapisseries. Après son mariage avec Louise Désirée Doineau, il transfère le siège social de l´entreprise, en 1823, au 16 rue Vivienne, dans l´hôtel Tuboeuf, à l´enseigne de « La maison du page ». Dans ces nouveaux locaux sont exposées les plus belles réalisations françaises de l´époque en matière de textile d´ameublement : tapis de pied et de table d´Aubusson, moquettes et velours d´Amiens, tapis de Nîmes, percales et toiles imprimées, soieries de Lyon et de Tours. Ainsi naît la maison Demy-Doineau. En 1840, elle rachète les fonds de la manufacture « Paris » à Aubusson, possédant dans son importante collection de documents et cartons anciens des œuvres de l´atelier du peintre animalier Jean-Baptiste Oudry. La raison sociale de l´entreprise devient en 1842 « Demy-Doineau et Braquenié, Manufacture Royale de Tapis et de Tapisseries », après l´association des Demy-Doineau avec Alexandre Braquenié, fils du contremaître de la manufacture de tapis du Baron Lefèvre, basée à Tournai (Belgique) et lui-même fondateur, quelques années plus tard (1857) de sa propre manufacture à Ingelmuster, toujours sur le territoire belge, en Flandre.

L´entreprise prospère rapidement. En 1843, elle acquiert, lors de la liquidation de la Manufacture de Jouy créée par Oberkampf, un grand nombre de planches d´impression et de documents de travail, permettant d´élargir la gamme des modèles. En 1844, deux médailles d´or récompensent la présentation de tapis et de tapisseries de la société Demy-Doineau et Braquenié à l´Exposition Universelle de Paris, entérinant ainsi son succès grandissant.

En 1845, Alexandre Braquenié fait venir à Paris son frère Henri-Charles pour le seconder. Les expositions se succèdent, toujours couronnées par des prix et la société fournit la maison de l´Empereur et meuble les palais nationaux (Tuileries, Saint-Cloud). En 1858, elle obtient la médaille d´or de la Société pour le progrès industriel.

La même année, âgée de soixante et un ans, Madame Demy-Doineau décide de se retirer des affaires. La maison-mère change à nouveau de raison sociale le 8 mai 1858, lorsque Alexandre Braquenié et son frère Henri-Charles s´associent sous le nom de « Braquenié Frères ». Quelques mois plus tard, ce dernier épouse Marie-Esther Demy-Doineau.

En 1859, le désir de fonder un établissement de grande ampleur à Aubusson prend corps. Jusqu´alors, les frères Braquenié n´y possédaient qu´un simple atelier : les cartons étaient créés à Paris pour leurs clients - leur tissage à façon étant sous-traités à de nombreux artisans aubussonnais.

Le 9 septembre 1859, ils achètent devant maître Blanchon, notaire à Aubusson, un terrain sis sur la route impériale de Clermont-Ferrand à Saintes (future avenue de la République), appartenant à M. Bussière, qui y avait déjà implanté une fabrique de tapis et une teinturerie avant 1857 (AD 23, 89 S 2). Dans le même temps, les frères Braquenié achètent un métier de huit mètres de long et une chaudière pour la teinture. Ils font dresser les plans d´une nouvelle manufacture le 8 novembre 1859 et la construction débute le 26 août 1860.

Les cartes postales témoignent de l´aspect de la manufacture Braquenié à la fin du 19e siècle. Elle comportait alors, en plus des bâtiments qui en subsistent aujourd´hui, un logement de gardien, une aile perpendiculaire à la rue, d´environ 22m de long, bâtie sur deux niveaux et doublée entre les deux guerres, et, dans son prolongement, un hangar. Ces trois édifices ont été détruits lors de l´installation du Pôle Enfance. Quant à l´aile parallèle à la rue et située en fond de cour, elle comportait à l´origine quatre niveaux, dont un étage de comble sous un toit à pente brisée recouvert d´ardoises et percé de hautes lucarnes à chevalet, frontons et jouées en bois.

Une fois la construction achevée, en 1862, Alexandre Braquenié laisse la gestion de l´établissement parisien à son frère et s´installe à Aubusson. Pour diriger les ateliers, il fait appel à un Tournaisien, J. Peemans et décide de renouer avec la tradition des tapisseries à l´aiguille, dites tapisseries au point, pour tapis de table, ciels de lit, lambrequins et sièges. Cette activité, essentiellement féminine, permet de donner du travail à de nombreuses ouvrières creusoises, dont les productions alimentent le rayon des « ouvrages de dames » du magasin de la rue Vivienne. Au plus haut de leur ascension, Braquenié Frères fournissent toute la haute société mondaine : la marquise de Païva leur commande dix fauteuils, un grand tapis et des tapis d´escalier tissés en velouté pour son hôtel des Champs-Élysées. La notoriété de la maison dépasse bientôt les frontières de la France et s´étend à une clientèle fortunée issue d´Espagne, d´Italie, du Mexique et surtout de Russie. A ces débouchés s´ajoutent les commandes officielles (palais du Luxembourg, chœur de Notre-Dame de Paris, décor du wagon de l´Empereur en 1853 et d´un wagon de la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée en 1868). Les Braquenié participent à toutes les expositions nationales ou internationales pour promouvoir leur savoir-faire : en 1867, ils présentent à l´Exposition Universelle, entre autres réalisations, un panneau de tapisserie d´après Mazerolle, intitulé l´Industrie et deux panneaux d´après Galland, la Guerre et la Paix et obtiennent la médaille d´or pour leur manufacture d´Aubusson.

Dans le même temps, les techniques se perfectionnent : de nouveaux métiers, avec les lisses et les lames placées sous la chaîne, remplacent les traditionnels métiers à barre, et facilitent ainsi le travail des ouvriers, en leur rendant plus lisible leur ouvrage, au fur et à mesure de son tissage. Des tabourets individuels à clavettes, adaptables à la taille du lissier et autorisant davantage de mobilité, se substituent aux inconfortables bancs de bois fixés aux métiers.

L'année 1876 marque la fin de l'association des frères Braquenié, laissant place à la Société Braquenié et Cie, constituée par Charles-Henri et ses deux gendres, Edgar Defosse et Philippe Dautzenberg. Malgré un ralentissement de la production avec la guerre de 1870, les commandes continuent d´affluer de toute l´Europe et même des Etats-Unis : en 1873, Théodore Roosevelt commande à la manufacture Braquenié un tapis velouté. En 1877, les ateliers d´Aubusson, associés aux deux autres sites de Malines et d´Ingelmunster (Belgique), confectionnent les tapisseries pour le trône du pape Pie IX.

En 1881, la maison Braquenié participe, tout comme les autres grands industriels aubussonnais de la tapisserie, à la création de l´Ecole d´art décoratif, en offrant à la ville « un métier, des laines et divers accessoires, ainsi que le local pour l´installation d´une école professionnelle » (AD 23, 4 T 36). Charles-Henri Braquenié est également l´un des membres fondateurs de la société à l´origine de la création du musée d´Aubusson, dans les ruines du Chapitre, en 1885 (AD 23, 4 T 39). Il offre à cette nouvelle institution l´une des pièces-phares de sa collection, la tapisserie de l´Industrie, en souvenir du prix remporté en 1867.

A la mort de Charles-Henri Braquenié, le 26 janvier 1897, sa veuve, Marie-Esther Demy, prend la relève de la société, avec son fils Charles-Louis. Pour réduire les difficultés de transport du personnel d´Aubusson, venant parfois d´assez loin, l´entreprise acquiert en juillet 1898 un terrain à Felletin (ancien pré des Récollets), sur la route d´Ussel, sur lequel sont édifiés une maison de gardien et des ateliers (voir étude sur Felletin, notice IA23000437), permettant de centraliser une partie de la production jusque alors sous-traitée par des tapissiers felletinois. La première guerre mondiale porte un coup à la société Braquenié : la production souffre de l´absence de créateurs, de clients et d´ouvriers pour exécuter ses commandes. Une légère reprise s´esquisse dans les années 1920, grâce à une collaboration avec des artistes tels que Jane Levy ou Raymond Charmaison. L´Exposition des Arts Décoratifs de 1925 consacre cette relance, avec la réalisation par la maison Braquenié de tapisseries pour le pavillon de l´Elégance et le pavillon du VIIe groupe économique, sur des cartons de style Art Déco novateurs.

Le 12 octobre 1926 se produit un incendie, qui ravage l´aile principale de la manufacture, située en fond de cour. Détruite jusqu´au rez-de-chaussée, elle est reconstruite, en 1927, sur ce premier niveau préservé. Mais les dégâts sont incalculables et l´entreprise, peinant à retrouver sa situation d´antan, est frappée de plein fouet par le krach boursier de 1929. La crise économique la contraint à licencier plus d´une centaine d´ouvriers, malgré l´obtention de commandes prestigieuses (moquettes d´après Ruhlmann pour le paquebot Normandie en 1935).

La Seconde Guerre Mondiale isole la manufacture d´Aubusson, située en zone libre, de ses consœurs belges et du siège parisien : en 1945, elle fait travailler une cinquantaine de lissiers (vers 1875, elle en employait 200). De 1945 à 1963, elle bénéficie régulièrement des commandes de l´Etat, pour des tapis d´artistes, ras ou au point noué, ou pour la réalisation de répliques anciennes. L´entreprise tente de relancer la production en s´appuyant sur le renouveau de la tapisserie murale, dans le sillage de Jean Lurçat et de ses émules. Elle tisse ainsi des œuvres de Gromaire, Lucien Courtaud, Picart Le Doux ou encore Saint-Saëns. Parallèlement, elle ranime la production de tissu imprimé inspiré des indiennes ou des toiles de Jouy. Dans les années cinquante, les ateliers d´Aubusson s´orientent vers l´abstraction, faisant jouer la matière dans des reliefs subtils et usant parfois d´autres matériaux que la laine et la soie traditionnelles. Mais l´activité ralentit inexorablement ; l´atelier de Felletin est fermé en 1958-1959.

Face à l´engorgement du marché des tapisseries contemporaines, la société Braquenié s´engage alors dans la réédition de modèles anciens et contribue à la restauration de grands ensembles mobiliers et immobiliers, tout en déménageant son siège au 111 boulevard Beaumarchais, à Paris. La conjoncture restant chaotique, les manufactures de Malines et d´Aubusson ferment respectivement leurs portes en 1987 et 1992. En 1991, l'entreprise Braquenié est rachetée par la société Pierre Frey, qui lui conserve son nom et s´installe 47 rue des Petits-Champs et 22 rue Jacob à Paris. S´appuyant sur les archives, la production puise dans le passé de quoi relancer l´esprit de la maison Braquenié.

Lors de la clôture du site d´Aubusson, en 1992, les archives et le matériel existants sont confiés au Musée départemental de la tapisserie d´Aubusson. En 1996, les bâtiments reviennent à la commune, qui décide d'y implanter un pôle Enfance, dans les anciens locaux administratifs donnant sur l´avenue de la République. Elle fait alors détruire, pour des raisons de salubrité et de sécurité, le logement du concierge, l'aile perpendiculaire à la rue et le hangar adjacent Les ateliers, la teinturerie et la chaufferie, laissés à l´abandon, sont dans l´attente d´un nouveau projet.

Périodes

Principale : 3e quart 19e siècle

Secondaire : 2e quart 20e siècle

Dates

1860, daté par source

1927, daté par source

Le site de la manufacture Braquenié est aujourd'hui constitué de quatre bâtiments, regroupés autour d'une cour centrale.

A front de rue se trouvent deux maisons contiguës, qui accueillaient les bureaux administratifs de la manufacture et ont été reconverties par la commune en établissement administratif. Bâties sur un niveau de soubassement permettant de rattraper, depuis la rue, la dénivellation du terrain descendant en pente vers la Beauze, elles présentent chacune un plan rectangulaire régulier et un toit à longs pans recouvert de tuiles mécaniques. La première se développe sur cinq travées, couronnées par un fronton triangulaire percé d'un œil de bœuf. Corniche moulurée, bandeau d'appui filant et chaînages d'angle harpés en pierre de taille constituent les seuls éléments décoratifs de sa façade. La seconde se développe sur trois travées, percées de baies à linteaux et piédroits en brique. Son rez-de-chaussée est ouvert d'une porte cochère cintrée.

En fond de cour, parallèle à l'avenue de la République, s'élève le bâtiment des ateliers de tissage, comportant deux étages carrés sous un toit à longs pans recouvert de tuile plate. Le traitement de son rez-de-chaussée (moellons de granite enduits et pierre de taille pour les encadrements des baies et les chaînages d'angles) contraste avec celui de ses deux niveaux supérieurs, reconstruits en brique après l'incendie survenu en 1926. Un escalier tournant à retours, avec jour, en maçonnerie, y dessert les étages, qui ont conservé leurs aménagements intérieurs et une partie de leur mobilier d'origine. Au rez-de-chaussée se trouvent les ateliers de confection des tapis dits de La Savonnerie. Le premier niveau accueille les ateliers de tissage en basse lisse. Le second étage comporte un magasin des laines et l'atelier des peintres cartonniers. L'ensemble du bâtiment se caractérise par une architecture sobre et fonctionnelle, conçue pour faire pénétrer largement la lumière dans les espaces de travail, bandeaux de larges baies et orientation est / ouest assurant un éclairage maximal tout au long de la journée.

Le long de la Beauze, à l'arrière des ateliers de tissage, se trouvent deux édifices partiellement ruinés : la teinturerie et la chaufferie. De plan rectangulaire régulier, la teinturerie se démarque par sa toiture à deux pans, avec une partie centrale surélevée et à claires-voies, conçue pour évacuer les émanations chimiques et la vapeur issues du processus de coloration. A l'intérieur, quoique très remaniée, elle a conservé une partie de son mobilier d'origine (barges en bois). La chaufferie a conservé sa chaudière à combustion.

Murs
  1. Matériau du gros oeuvre : granite

    Mise en oeuvre : moellon

  2. Matériau du gros oeuvre : granite

    Mise en oeuvre : pierre de taille

  3. Matériau du gros oeuvre : brique

    Revêtement : enduit

Toits
  1. tuile mécanique, tuile plate
Plans

plan rectangulaire régulier

Étages

étage de soubassement, 2 étages carrés, étage de comble

Élévations extérieures

élévation à travées

Couvertures
  1. Forme de la couverture : toit à longs pans

Escaliers
  1. Emplacement : escalier intérieur

    Forme : escalier tournant à retours avec jour

    Structure : en maçonnerie

État de conservation
  1. établissement industriel désaffecté
  2. menacé

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Creuse , Aubusson , 8 avenue de la République

Milieu d'implantation: en ville

Cadastre: 2007 AH 135, 136, 2009 AH 359

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