Une industrialisation des moulins de la vallée de la Gartempe dans la Vienne au 19e siècle
La Gartempe, dans sa traversée à l’est du département de la Vienne, présente un débit très variable avec des périodes d’étiage très bas ou des crues soudaines et importantes. De nombreux moulins ont cependant été aménagés sur son cours dès le Moyen-Âge. Certains ont disparu, d’autres ont été industrialisés ou destinés à un usage d’habitation.
Carnet du patrimoine
Publié le 11 septembre 2025
# Vienne : Lathus-saint-Rémy, Saulgé, Montmorillon, Pindray, Jouhet, Leignes-sur-Fontaine, Angles-sur-l’Anglin, La Roche-Posay, Saint-Savin, Saint-Germain, Saint-Pierre-de-Maillé, Nalliers, Antigny, La Bussière, Vicq-sur-Gartempe
# Opération d'inventaire : vallée de la Gartempe
# Moulin, scierie, minoterie, usine de pâte à papier, brasserie, forge, distillerie, centrale hydroélectrique
# Temps modernes, Époque contemporaine
Utiliser la force hydraulique d’une rivière au cours capricieux
Longue de 200 km, la Gartempe traverse les départements de la Creuse, de la Haute-Vienne et de la Vienne. La Gartempe prend sa source à Peyrabout, dans le département de la Creuse, à une dizaine de kilomètres au sud de Guéret. Après avoir parcouru une centaine de kilomètres d'est en ouest à travers les terres granitiques de la Creuse et de la Haute-Vienne, elle infléchit son cours vers le nord à Peyrat-de-Bellac. Elle entre dans le département de la Vienne par les "Portes d'Enfer" ou "Roc d'Enfer", sur la commune de Lathus-Saint-Rémy. En aval de cette zone, sur la zone granitique, les barrages sont composés d’amoncellements de blocs de granite ; ceux de la zone calcaire, au-delà des Portes d’enfer, sont composés d’une base en maçonnerie, de terre stabilisée avec des pièces de bois et de fagots de bois.
Le débit de la Gartempe est faible en période d’étiage, mais cette rivière connaît des crues brutales et par le passé était soumise à des gels importants suivi de débâcles qui pouvaient emporter les ponts comme les barrages voire les moulins eux-mêmes.
L’écluse d’Antigny est endommagée par les glaces et les crues et réparée en 1954. En juillet 1757, une brèche de 70 pieds causée à l'écluse du moulin de Saint-Savin par les glaces l'hiver précédent est réparée.
Le grand hiver 1788-1789 provoque des dégâts à la plupart des moulins de la vallée et a failli emporter le moulin de Jouhet, ainsi qu’en témoigne Jean de Moussy. Le gel avait commencé fin novembre, il « dura jusqu’au 8 janvier suivant, fut si excessif qu’il glaça, ou pour mieux dire, pétrifia la Gartempe, fit fendre le tronc des plus gros chênes, gela les vignes, et les plantes, fit périr les oiseaux, le gibier et même quelques hommes […] Tandis que cette terrible débâcle se faisait à Montmorillon, l’effroi était au comble sur toute la partie de la rivière qui coule de cette ville vers ma maison de la Contour ; deux moulins que j’y possède et qui n’ont que des écluses en bois courraient les plus grands risques » (Archives départementales de la Vienne, 2E Suppl. 24, Transcription B. Poussard et B. Joyeux).
Le dernier grand épisode de gel remonte à l’hiver 1984-1985. Son débit peut également être insuffisant en été.
La Gartempe est une rivière non flottable et non navigable mais elle est néanmoins administrée par les Ponts-et-Chaussées à partir du début du 19e siècle.
À la veille de la Révolution
Sous l’Ancien Régime, les moulins sont documentés dans les biens des domaines civils (châteaux) ou religieux (abbayes) dont ils dépendent, à l’occasion de travaux, de mise en fermage, de conflits. Plusieurs rapports détaillent les travaux à réaliser au milieu du 18e siècle pour les biens de l’abbaye de Saint-Savin, avec description de plusieurs moulins, maisons de meunier et barrages et les travaux à réaliser.
En 1761 et 1762, Jean-Baptiste Parent, ingénieur de la province de Poitou, est chargé par le sénéchal de Montmorillon d’évaluer les travaux réalisés récemment et ceux à faire urgemment sur les biens de l'abbaye de Saint-Savin. Ainsi, à Antigny, « nous avons trouvé la dite maison du meunier complètement culbutée à l'exception d'une partie du mur adossée contre le coteau », une partie du barrage avec sa levée en moellons est totalement ruinée, soutenue par un batardeau fait de bois de fagots d'une longueur de 20 toises 3 pieds et de 5 toises de largeur. Une partie des bois nécessaires à la réparation de la roue sera pris parmi les vieux bois de la maison du meunier. Il faut également un arbre (axe) de 6 pieds 14 pouces et refaire à neuf les quatre bras de la roue. Il faut reconstruire les murs, les planches autour des meules (Archives départementales de la Vienne, 1 H 7/7).
Si les productions sont principalement tournées sur la mouture du blé, le moulin des Roches, paroisse de Leigne aujourd’hui sur les communes d’Antigny, Leignes-sur-Fontaine et Jouhet, est cité comme forge à fer dans un acte de l’abbaye de Saint-Savin daté de 1566.
Maîtriser le débit de l’eau, gérer les conflits d’usage
De nombreux moulins sont cédés comme biens nationaux à la Révolution, reconstruits ou agrandis avant d’être abandonnés ou industrialisés en minoteries au début de la deuxième moitié du 19e siècle. La gestion du niveau de l’eau est une préoccupation constante tant pour l’alimentation du moulin que pour les ouvrages situés en amont ou en aval, notamment les risques d’accentuation des crues.
Les autorisations administratives, règlements d’eau ou autorisation de travaux, doivent limiter les conflits d’usage. C’est pourquoi, au cours du 19e siècle, elles font l’objet d’enquêtes publiques et de visites des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées. À chaque modification de hauteur de chute d’un barrage, autorisée ou non, ils réalisent des notes de calculs et régulièrement des relevés des moulins situés en amont et en aval pour voir l’influence de la modification envisagée. Les conflits sont encore plus vifs lorsque deux moulins partagent un même barrage sur les rives opposées ou même sur la même rive.
Les rares nouvelles implantations du 19e siècle sont souvent contestées. En 1843, un projet de moulin est présenté par M. Demay sur ce terrain dit du Pré de la Croix-Ronde, sur la rive droite de la Gartempe, commune de Saint-Germain. Une première enquête publique menée en mars 1845 soulève l'opposition de l'usinier situé en amont (moulin de la Promenade à Saint-Savin), de notables et de riverains qui craignent des inondations des bourgs de Saint-Savin et Saint-Germain en amont. En 1847, il est préconisé de construire un barrage est " à rehausses mobiles lors des crues, sur cinquante centimètres de hauteur et sur toute l'étendue de son couronnement. Ces rehausses mobiles seront construites comme le sont celles des barrages de la partie canalisée de la rivière de l'Isle entre Périgueux et la Dordogne ". Le même système est encore utilisé pour les barrages à aiguilles que l’on peut encore voir sur le Cher. M. Demay renonce à son projet le 30 juillet 1848, avant le lancement d'une nouvelle enquête d'utilité publique.
Quelques années plus tard, entre 1855 et 1859, le projet de moulin à la Gassotte, commune de Saint-Savin, provoque des pétitions pour et contre ce moulin. Le barrage s’implante en diagonale, et aboutit sur la rive droite presque au même endroit que le projet abandonné à la Croix-Ronde. Les habitants qui sont favorables soulignent la baisse du prix pour la farine avec une mise en concurrence avec le moulin du bourg. Les opposants sont menés par les meuniers de ce dernier et les habitants les plus proches du vieux pont qui craignent des inondations. Cette question est à nouveau soulevée lorsque le moulin, transformé en minoterie, est reconstruit en 1878.
Certains propriétaires choisissent des techniques anciennes par la hausse de leur barrage par des fagots et fascines de bois, en période d’étiage. Des conflits peuvent alors survenir avec d’autres usagers : protestations des usagers du gué voisin du moulin à Saint-Pierre-de-Maillé en 1825 ou du passeur du bac de Nalliers en 1865, d’un voisin dont le champ a été inondé en raison de la mise en place de fascines en 1892 au moulin de l’Epine à Antigny, plainte du propriétaire de la minoterie des Grands-Moulins à Montmorillon à cause de la pose de hausses en bois encore en 1944 à la Brasserie de Saulgé ou, pour la même usine, des habitants du hameau des Mâts pour l’alimentation de leur fontaine et de leur lavoir notamment en 1929, 1931 et de 1945 à 1947. Cette pratique est encore attestée par l’autorisation de mise en place de hausses en bois en période d’étiage sur le barrage du moulin de Guillerand à Saulgé en 1957. D’autres usines choisissent de palier au manque d’eau en été en mettant en place des machines à vapeur, en 1902 pour la scierie de Fosse-Blanche ou dans les années 1920 à la brasserie de Montmorillon à Saulgé.
Dès les années 1930, la remontée de la Gartempe et notamment des saumons devient une préoccupation des ingénieurs, qui exigent l’aménagement ou le réaménagement de passes à poisson. Un plan plus strict entraîne des prescriptions au milieu des années 1980, avant les lois actuelles sur la continuité écologique des cours d’eau. Ces passes peuvent désormais aussi être empruntées occasionnellement par des canoës-kayaks.
Les productions : de l’artisanat à l’industrialisation au 19e siècle
Les moulins qui n’ont pas passé la phase d’industrialisation avec une production exportée au-delà de la limite du canton sont restés modestes, parfois en ruine ou détruits. Il ne subsiste parfois que le barrage.
La grande variété des productions et des usages passés et actuels des moulins et usines installées en bord de Gartempe se reflète en partie dans les formes et l’architecture de ces édifices : moulins à froment, à blé, à trèfle, à tan, à huile, minoteries, scieries, brasserie, malterie, forge, usine de construction de machines agricoles, usine de décolletage et de chromage, papeterie – moulins à foulon, usine de pâte à « papier de paille ». En 1912, le moulin des Dames à Saulgé est autorisé à produire des papiers d'emballage à partir de « pâte de bois mécanique broyée, pâte de paille macérée à froid ou à chaud en vases clos, vieux papiers d'administration refondus en vases clos » (Arrêté préfectoral du 13 juillet 1912, Archives départementales de la Vienne, 7 S 246).
Le matériel, roues, mécanismes ou encore machines de production sont parfois conservés.
Plusieurs moulins sont transformés en usine de production hydro-électrique. L'éclairage public électrique est assuré dans la commune dès 1892 grâce au baron Demarçay, député-maire de la commune, et Léon Édoux, ingénieur, copropriétaires du moulin. La production du moulin du bourg de Saint-Savin est concédée le 16 novembre 1892 pour 15 ans à la compagnie Wells et Cie à Poitiers, qui installe la centrale hydroélectrique dans le moulin et doit fournir gratuitement l'électricité nécessaire à l'éclairage public de la commune. La minoterie de la Roche-à-Gué à Saint-Pierre-de-Maillé est transformée en centrale hydroélectrique en 1922 et celle de Nalliers en 1932 ; elles sont toujours en activité.
Un projet de barrage hydroélectrique abandonné
En 1910, Monsieur Fernand Tribot, banquier à Montmorillon, obtient un règlement d'eau pour la construction d'un barrage hydroélectrique au lieu-dit le Châtelard, commune de Lathus. La société est transmise en 1912 à Monsieur Marc Chauvaud et Compagnie, constructeur demeurant 23 quai des Queyries à Bordeaux, qui demande à remplacer la maçonnerie de moellons granitiques par du béton de chaux hydraulique et cailloux de roches granitiques avec parements en moellons. Les travaux sont interrompus par la Première Guerre mondiale, le concessionnaire est mis en demeure d'achever les travaux en octobre 1921, mais le barrage reste inachevé.
En mars 1961, un nouveau projet est déposé pour la Gartempe, comprenant la construction de trois barrages pour une production annuelle de 26 millions de Kwh à la limite de la Haute-Vienne et la Vienne mais n’aboutit pas.
Auteure : Véronique Dujardin
Ressources documentaires - Dossiers d'inventaire
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Présentation de l'étude du patrimoine de la Vallée de la Gartempe, de Lathus à La Roche-Posay
DossierDossier d'aire d'étude
Ce dossier rassemble tous les éléments constituant de la vallée de la Gartempe, de la Préhistoire à nos jours.Les trois vallées de la Gartempe, de la Charente et de la Sèvre Niortaise sont des éléments structurants du territoire régional et de son développement touristique ...
Présentation de l'étude du patrimoine de la Vallée de la Gartempe, de Lathus à La Roche-Posay
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Titre : Présentation de l'étude du patrimoine de la Vallée de la Gartempe, de Lathus à La Roche-Posay
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Localisation : Vienne , Angles-sur-l'Anglin , $result.adressePrincipale
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Date d'enquête : 2015
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Auteur du dossier : Dujardin Véronique
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Copyright : (c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel
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Notre sélection
Bibliographie
Archives départementales de la Vienne, sous-séries 7 S, notamment 7 S 46, 7 S 47, 7 S 100, 7 S 211, 7 S 246