Le portrait sculpté d’Adrien Dubouché à Jarnac : une œuvre du limougeaud Adolphe Thabard
On le sait peu, Adrien Dubouché (1818-1881), l’un des principaux directeurs et mécène du musée national de la céramique de Limoges (qui porte aujourd’hui son nom) est enterré en Charente. Marié à Ermance Bisquit, héritière des cognacs Bisquit, Adrien Dubouché est inhumé dans la chapelle funéraire de la famille de son épouse, à Jarnac.
Carnet du patrimoine
Publié le 06 décembre 2024
# Charente / Jarnac
# Opération d'inventaire : Statuaire historique
# Monument funéraire ; sculpture ; médaillon
# 4e quart 19e siècle
Adrien Dubouché, un Limougeaud devenu Charentais
François-Louis Bourcin du Bouché (ou du Bouchet), dit Adrien Dubouché, est né le 2 avril 1818 à Limoges d’un père négociant en draps, Léonard Bourcin Dubouché, et de Léonarde Sophie Thévenin. Associé très tôt avec son père au commerce, il développe un sens des affaires qui lui est utile lorsqu’il se marie en 1846 à Jarnac avec Jeanne Françoise Ermance Bisquit, fille de Jean Alexandre Bisquit, négociant en vin et en cognac. Travaillant auprès de son beau-père pour le développement de l’entreprise, il développe parallèlement un goût prononcé en faveur des arts, notamment la céramique. En 1862, il achète à Verneuil-sur-Vienne le château de Lespinasse où il s’adonne à sa passion et il y entrepose des pièces uniques qu’il acquiert ici et là, notamment à Paris. Reconnu pour ses compétences historiques et artistiques, il devient président de la Société des Amis des arts du Limousin.
Un passionné de céramique
En 1865, Adrien Dubouché est nommé directeur du musée de la céramique de Limoges fondé vingt ans plus tôt et il lui fait don d’environ 400 pièces. Il y créé également une école afin que les artistes s’inspirent des œuvres exposées. À la mort de l’un de ses amis, Albert Jacquemart, spécialiste de la céramique orientale, il rachète sa collection et en fait don au musée en lui apportant 600 nouvelles pièces. Par la suite, en acquérant la collection d’un autre spécialiste de la céramique, Paul Gasnault, il porte à plus de 4000 objets supplémentaires ses dons en faveur du musée. À la demande de la ville de Limoges (dont il a été maire en 1870), le Conseil d’État décide en 1876 que le musée porterait le nom de son généreux mécène. Antérieurement à cette date, en 1873, il reçoit le titre de Baron de la part de l’empereur autrichien François-Joseph Ier pour avoir organisé la section française des Beaux-Arts à l’Exposition universelle de Vienne (Autriche).
En 1878, Adrien Dubouché participe à l’Exposition universelle de Paris, dont il est membre du jury pour la section céramique. A cette occasion, il est qualifié d’« homme de France, et peut-être du monde, le plus compétent en la matière ».
Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1876, puis nommé officier le 30 octobre 1880.
Adrien Dubouché inhumé à Jarnac
Malheureusement, l’ascension d’Adrien Dubouché est brusquement stoppée, car il décède le 24 septembre 1881 d’une attaque d’apoplexie (on dirait aujourd’hui un AVC) en son domicile de Jarnac. Probablement à la demande de son épouse, il est inhumé dans le cimetière des Grands-Maisons de la ville (et non dans le cimetière Louyat à Limoges où une chapelle au même nom existe). Cette inhumation intervient au moment où la Grande Chancellerie lui envoie (un an après la parution du décret) sa croix d’officier de la Légion d’Honneur, croix qui est ensuite déposée sur son cercueil par son épouse. Cependant, afin de rendre un hommage à la hauteur du prestige d’Adrien Dubouché, Jean Alexandre Bisquit (1799-1886) décide de construire en 1883 une chapelle familiale digne de son nom, et aussi pour sa propre famille, comme l’indique l’inscription portée sur le frontispice de la chapelle : « Sépulture de la famille Bisquit ». Le corps d’Adrien Dubouché y est déplacé deux ans plus tard, et on installe à son sommet son portrait sculpté par Adolphe Thabard.
Adolphe Martial Thabard : un sculpteur limougeaud très actif
Selon son acte de naissance, Thabard est né avec le seul prénom de Martial (celui de son père), auquel il a lui-même ajouté par la suite celui d’Adolphe. Il voit le jour à Limoges le 13 novembre 1831 dans une famille de porcelainiers. Comme beaucoup d’enfants de son âge, il commence à travailler à 14 ans dans l’une des fabriques de porcelaine de la ville, celle de Valin. Il y reçoit là ses premières leçons de modelage.
Curieux et volontaire, il s’ouvre à d’autres disciplines, comme la musique et la médecine. En effet, il apprend la musique et devient second violon dans l’orchestre du théâtre de Limoges sous la direction de Pierre Farge, et aussi dans la Société Philharmonique de la ville. Il fréquente également l’école de médecine où il reçoit des cours d’anatomie de la part du professeur Bouteilloux. Son habileté à reproduire les modèles qu’il a sous les yeux est remarquée par son oncle, l’abbé Texier, archéologue réputé dans tout le Limousin. Ce dernier lui fait notamment dessiner le tombeau de saint Etienne à Obazine (Corrèze). Engagé dans la société de son temps, il devient en 1850 gérant d’une association ouvrière (Capet-Thabard), mais il délaisse rapidement cette activité.
Attiré par Paris et son milieu artistique, il entre à l’école nationale des Beaux-Arts et devient l’élève de Francisque-Joseph Duret (1804-1865). Rêvant de devenir statuaire et désirant élargir ses compétences, il part en Amérique où il est employé comme modeleur-ciseleur dans une maison d’orfèvrerie située dans le Rhode-Island, puis en Angleterre où il travaille à Birmingham. De retour à Paris, il exerce son talent auprès des bronziers du Marais et des porcelainiers de Limoges. En 1863, il expose sa première œuvre au Salon des artistes français où il présente une « Jeune fille portant un vase ». L’année suivante, il visite l’Italie afin de parfaire ses connaissances.
Thabard, une carrière pas uniquement parisienne
S’adonnant principalement à la sculpture décorative, il travaille à Paris à la restauration du Palais-Royal incendié par la Commune ; il exécute aussi de nombreux travaux pour les salles du Conseil d’État, l’Hôtel-de-Ville, la cour du Louvre, la Sorbonne et l’église Saint-Eustache. La ville de Lyon lui commande deux bas-reliefs pour son école vétérinaire, bronzes qui sont fondus par Barbedienne. Il exécute de nombreuses commandes destinées à illustrer des personnages de son temps, comme le général Delzons (musée de Versailles, Salon 1868), le colonel Pietri (musée de Limoges), Léonard Limosin (Cercle de l’Union et Turgot de Limoges), Emile Perrin (cimetière Louyat de Limoges, Salon 1901) ou Léon Gambetta (Salon de 1885).
En Nouvelle-Aquitaine, son œuvre probablement la plus connue est le monument aux morts de 1870-1871 qu’il réalise pour sa ville natale de Limoges (Salons de 1895 et 1899). Il réalise aussi des sculptures allégoriques comme « Le Poète et la Muse » (musée de Pau, Salons de 1881, 1890 et 1895), « Le Charmeur », « l’Amour au cygne » ou « Jeune homme agaçant un émerillon » (musée de Limoges) ou « l’Enfance d’Annibal » (musée de Périgueux, Salon 1886). Il est également l’auteur de toute la sculpture décorative de la façade de l’hôtel-de-Ville de Limoges, du groupe sculpté en marbre du «Vainqueur » réalisé pour le même édifice (Salon 1889 et Exposition Universelle de 1889).
Le Poète et la Muse. Archives Nationales, 1895, F/21/7663, photo G. Michelez
Il a également réalisé des œuvres pour l’étranger, comme deux grands vases pour le château de Lynford (Angleterre), le tombeau de la baronne de Buckmann (Roumanie), une statue de Gambetta (Cochinchine, aujourd’hui Vietnam), ou huit statues colossales du « Génie de la Force » pour un pont à Budapest (Hongrie).
Nommé chevalier de la Légion d’Honneur en 1884, il remporte une médaille d’argent à l’Exposition Universelle de 1889.
Il décède en son domicile à Clamart (15 rue de Fleury) le 2 décembre 1905.
Le portrait d’Adrien Dubouché à Jarnac : une œuvre méconnue de Thabard
Le médaillon sculpté d’Adrien Dubouché ne figure pas dans les catalogues du Salon officiel des années 1882-1884. En revanche, il est bien répertorié dans la liste des principales œuvres destinées à lui attribuer la Légion d’Honneur ; il apparaît sous le titre « Grand médaillon en marbre pour la Charente de Dubouchet [sic], fondateur du musée de Limoges ». La chapelle funéraire des Bisquit ayant été achevée en 1883, on peut en déduire que le médaillon a été réalisé en 1882 ou 1883.
Au travers de cette œuvre, on peut sans doute affirmer que le Limougeaud Adolphe Martial Thabard a voulu rendre un hommage personnel à un autre Limougeaud d’origine, et que les deux artistes s’admiraient au travers de leurs passions respectives, l’un pour la céramique, l’autre pour la sculpture.
Auteur : Thierry Allard
Bibliographie
MONTCABRIER, Comtesse de. Le musée national Adrien Dubouché : un musée de France ; notes sur Adrien Dubouché. Paris, 1927.
CHARBONNIER, Pierre. Thabard, « Limoges illustré, publication artistique, scientifique et littéraire », numéro 160, 15 juin 1906.
LAMI, Stanislas. Dictionnaire des sculpteurs de l’Ecole française au dix-neuvième siècle, Paris, 1921, tome IV, p. 288.