Tissage (usine de tapisserie et usine de tapis) dit manufacture Tabard, actuellement immeuble à logements

France > Nouvelle-Aquitaine > Creuse > Aubusson

Dans le contexte prospère de la fin du Second Empire, François I Tabard, tapissier et fils de tapissier, s'associa avec Pierre Tricot, également ouvrier, pour fonder, en 1869, un atelier de tapis et de tapisseries à Aubusson. Sans fortune personnelle pour soutenir leur entreprise, ils contractèrent un emprunt. En 1876, les deux associés se séparèrent et François Tabard conserva un atelier situé rue Vaveix, de dimensions modestes, où il fit travailler une centaine de personnes - essentiellement à des productions de second ordre (tapisseries à destination de garnitures de sièges). L'atelier participa néanmoins aux expositions internationales de Paris, en 1878 et 1879, au cours desquelles il se distingua honorablement.

Le décès prématuré de François I Tabard, en 1883, contraignit son épouse, Clémence Brignolas, à lui succéder jusqu'à ce que leur fils Léon puisse reprendre l'affaire en 1896. La veuve Tabard dut faire face à de graves difficultés financières, mais elle maintint l'atelier en activité et lui donna même son implantation définitive dans le quartier de La Terrade. En 1889, elle acheta, pour la somme de 20 000 francs, différentes parcelles correspondant aux anciens locaux désaffectés de la manufacture de tapisseries Chassaigne.

Ces parcelles formaient deux blocs distincts : le premier était situé entre les rues de La Terrade (rebaptisée rue Alfred Assolant) et de la Basse-Terrade. Il comportait deux maisons d'habitation, sises aux numéros 22 et 24 de la rue de La Terrade, dans lesquelles logeait la famille ; les ateliers de la fabrique (dont l'entrée se faisait par le numéro 21 de la rue Basse-Terrade) et une cour intérieure. Le deuxième ensemble était localisé entre les bords de la Creuse et la rue des Teintures (plus tard renommée rue Adolphe Barthel). Là se trouvait un petit bâtiment de teinturerie et des jardins dans lesquels les Tabard étendaient les écheveaux de laine à la sortie des bains colorants pour les faire sécher.

Afin de rembourser le prêt qui lui avait permis cet achat, la veuve Tabard adjoignit aux activités initiales de l'entreprise (copies d'ancien et fabrication de tapis ras) la restauration de tapisseries anciennes. Elle donna également une certaine envergure commerciale à l'affaire, en déployant ses correspondants à travers l'Hexagone (et notamment Antoine Langlois à Paris).

En 1896, Léon Tabard reprit la direction de la manufacture, à laquelle il conféra une impulsion nouvelle. Il s'assura le concours de dessinateurs parisiens, comme Michel Maingonnat, afin de renouveler le stock de modèles et trouva de nouveaux débouchés auprès des maisons d'ameublement de luxe et des antiquaires, principalement dans le quart nord-ouest de la France. Il s'orienta vers une production de qualité, mais toujours selon une esthétique vieillie, pour donner l'illusion de pièces anciennes. A la fabrication de tapisseries de sièges et de panneaux, Léon Tabard ajouta celle de tapis de la Savonnerie, ainsi que le commerce de mobiliers montés, comprenant des tapisseries assorties à des bois spécialement commandés pour l'occasion. La clientèle s'élargit, y compris à l'étranger. Pour faire connaître ses nouveaux cartons, Léon Tabard utilisa abondamment la photographie et la publicité. Mais le développement de la manufacture resta freiné par le manque de main d'œuvre qualifiée, qui faisait prendre à l'exécution des commandes un retard considérable.

Cette situation incita Léon Tabard à consolider son entreprise : il développa ses ateliers à Felletin et installa un nouveau local à Paris pour servir au dépôt de marchandises. En 1907, il s'associa avec la maison Pruneau, qui possédait un atelier rue des Tanneurs et absorba la quasi-totalité de ses effectifs. Vers 1910, Léon Tabard fit construire des bureaux (disparus) sur une parcelle acquise rue Basse-Terrade. En 1911, il acheta également une autre parcelle rue des Teintures pour y bâtir, à côté de la teinturerie et des jardins qu'il y possédait déjà, une nouvelle fabrique (détruite), qui cessa son activité vers 1930, à cause de la crise boursière.

En 1914, le départ pour le front de Léon Tabard mit fin à son association avec Pruneau. Il resta mobilisé jusqu'en 1917. En son absence, ses quatre enfants s'impliquèrent dans la bonne marche de l'entreprise. A son retour, il s'entoura de leurs compétences. A compter de 1924, Léon Tabard confia à chacun de ses enfants une tâche au sein de la manufacture, selon leurs aptitudes : François, l'aîné, qui lui succéda en 1927, se chargea des questions commerciales, des prospections en direction de nouveaux débouchés et des contacts avec les artistes ; Clémence fut chargée des écritures et des comptes de l'entreprise ; Paul et Marie-Antoinette travaillèrent à l'atelier, l'un pour la surveillance des fabrications et des teintures, et l'autre pour les réparations et tapisseries au petit point. Les années 1922-1926 furent marquées par une grande prospérité, avec une demande très soutenue de la part de la clientèle américaine, de plus en plus abondante et par une extension des bâtiments de la manufacture. En décembre 1923, Léon Tabard procéda au rachat d'un nouvel immeuble sis au 23 de la rue Basse-Terrade, pour y accueillir un garage élevé d'un étage à usage de dépôt.

En 1927, année du décès brutal de Léon Tabard, des difficultés apparurent à la vente. Aggravées par la crise de 1929 et par le manque d'innovations, elles entraînèrent la mise en chômage partiel de la manufacture (fermeture tous les lundis) et une diminution de ses effectifs, par licenciements ou départs volontaires. Le nombre de salariés passa de 70 en 1929 à 15 en 1935. Pour faire face, François Tabard créa en 1933 un syndicat chargé de répartir entre les différents ateliers les commandes émanant de l'Etat, par l'intermédiaire du Mobilier National. Ce redressement déboucha sur l'amorce d'une renaissance de la tapisserie, en 1937. Elle fut portée par l'artiste Jean Lurçat, dont François Tabard fit la connaissance, sans doute à l'initiative d'Elie Maingonnat, directeur de l'Ecole nationale des Arts Décoratifs d'Aubusson. Après un voyage à Aubusson pour apprendre l'art du tissage, Lurçat composa pour l'atelier Tabard un premier carton intitulé les Moissons, en 1938. Il mit au point une technique nouvelle, basée sur le carton numéroté (les chiffres indiquaient les couleurs à employer) et sur la réduction des teintes. Ce fut le début d'une collaboration régulière (mais non exclusive) entre Jean Lurçat et l'atelier Tabard, qui intensifia sa politique de promotion, en participant à de nombreuses expositions (gare d'Orsay en 1937 et 1938, Petit Palais en 1939, Bruxelles, Le Caire). La déclaration de guerre en 1939 eut pour conséquence le rappel des deux frères Tabard, François et Paul, tous deux réservistes. Paul revint du front en juin 1940, tandis que François, fait prisonnier dans les Vosges, resta en captivité en Autriche durant cinq ans. Pour faire face aux difficultés chroniques d'approvisionnement, les Tabard militèrent pour la mise en place d'un organisme professionnel chargé de répartir les matières premières, de donner des directives pour fixer les salaires et d'organiser l'accès à la maîtrise. Malgré l'absence d'exportations sous l'Occupation, le secteur de la tapisserie retrouva son plein emploi. En mai 1945, François Tabard rentra de captivité et reprit sa place à la tête de l'entreprise. Il l'orienta résolument vers la création contemporaine, attirant à lui de nombreux artistes (Gromaire, Wogensky, Lagrange) et collaborant avec des galeries spécialisées dans l'exposition de tapisseries (comme La Demeure, dirigée par Denise Majorel). François Tabard devint le porte-parole de l'industrie de la tapisserie aubussonnaise vis-à-vis des pouvoirs publics : en 1946, il accéda à la présidence de la Chambre syndicale des fabricants de tapis-tapisseries d'Aubusson-Felletin et à celle de la Chambre de commerce de Guéret. A ce titre, il se prononça en faveur de la création d'un atelier-école à Aubusson, exclusivement réservé à la formation de lissiers familiarisés avec les techniques des rénovateurs de la tapisserie, dans la lignée de Lurçat (cet établissement fusionna en 1950 avec l'Ecole Nationale d'Art Décoratif). En 1951, François Tabard fut également à l'origine de la constitution d'une coopérative subventionnée par l'Etat, ayant pour but de promouvoir la tapisserie : Tapisserie de France. Cependant, la tapisserie aubussonnaise resta sensible aux aléas de la conjoncture et traversa de nouveau une période difficile en 1948-1952. Ce déclin mit à nu les obstacles à une prospérité durable que représentaient alors la lourdeur des taxes et les barrières douanières. Le climat social s'en trouva alourdi et un mouvement de grève éclata à la fin de l'année 1952. L'accord conclu quelques mois plus tard, le 8 juin 1953, permit d'augmenter les salaires. La prospérité revint rapidement, à la faveur d'une période de croissance intense pour l'économie française. Les Tabard ouvrirent une galerie dans la Grande Rue, pour y exposer des tapisseries et des céramiques de Jean Lurçat. Ils se lièrent avec d'autres grands noms de l'art contemporain, comme Arp, Vasarely ou Sonia Delaunay, pour éditer leurs créations en collaboration avec la galerie Denise René. A partir de 1959, les Etats-Unis abandonnèrent leur politique protectionniste, ce qui permit de développer les exportations, jadis perturbées par des droits de douane exorbitants. En 1965, François Tabard collabora à la rédaction du Grand Livre de la Tapisserie, édité à Lausanne - un ouvrage faisant le point sur huit siècles de création et affirmant la prééminence d'Aubusson en ce domaine. En 1966, il se rendit au Sénégal, à l'invitation du président Senghor, pour participer à l'inauguration de l'Atelier National de Tissage, basé à Thies.

Au décès de François Tabard, le 15 avril 1969, l'atelier, dirigé conjointement par Clémence, Paul et Marie-Antoinette, déclina peu à peu, à cause de la disparition des pionniers du renouveau de la tapisserie (à commencer par Jean Lurçat, mort en 1966). Malgré cette conjoncture précaire, les Tabard continuèrent d'augmenter leur patrimoine immobilier : en 1973, ils acquirent une maison d'habitation au numéro 20 de la rue Alfred Assolant, puis une seconde, en 1975, au numéro 8 de la même rue. Mais le déficit de l'entreprise s'aggrava inexorablement et la mise en règlement judiciaire de la société Tabard intervint en juin 1983, peu avant le décès de la dernière descendante de la lignée, Clémence. Les cartons et les tapisseries furent dispersés lors de ventes aux enchères ; les fonds de l'affaire familiale furent collectés par les archives départementales de la Creuse, qui procédèrent à leur classement.

Périodes

Principale : 4e quart 19e siècle

Secondaire : 1er quart 20e siècle

Dates

1911, daté par source

1923, daté par source

Seules subsistent aujourd'hui de la manufacture Tabard les deux maisons des numéros 22 et 24 de la rue Alfred Assolant, qui ont été divisées en appartements. Elles présentent une façade en moellons de granite enduits et chaînages d'angle en pierre de taille, sous un toit à longs pans brisés couvert de tuiles plates. La mise en œuvre traditionnelle des matériaux est soulignée par la disposition symétrique des ouvertures (des baies avec appuis saillants moulurés, surmontées de linteaux traités en plates-bandes appareillés) et la régularité des travées. La toiture est percée de plusieurs hautes lucarnes à chevalet et frontons de bois, caractéristiques du besoin en éclairage de l'activité de tissage. Les autres bâtiments de la manufacture (et notamment la teinturerie et la fabrique situées en bord de Creuse) ont été détruits.

Murs
  1. Matériau du gros oeuvre : granite

    Mise en oeuvre : moellon

  2. Matériau du gros oeuvre : granite

    Mise en oeuvre : pierre de taille

    Revêtement : enduit

Toits
  1. tuile plate
Étages

1 étage carré, étage de comble

Élévations extérieures

élévation à travées

Couvertures
  1. Forme de la couverture : toit à longs pans brisés

État de conservation
  1. établissement industriel désaffecté

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Creuse , Aubusson , 18 à 24 rue Alfred-Assolant

Milieu d'implantation: en ville

Cadastre: 2007 (AM 340, 351)

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