Mémoire joint à la demande d'autorisation d'Anthony Kruger pour l'installation d'une distillerie d'alcool de betteraves, 1872 (AD Deux-Sèvres, 6 M 23 / 14)
Etablissement d'une distillerie de jus de betteraves, à Echiré, canton de Niort, Deux-Sèvres
Depuis plusieurs années, les cultivateurs de la commune d'Echiré désiraient avoir dans leur voisinage une distillerie de betteraves qui leur permit de donner un plus grand essor à leur culture et à l'industrie de l'engraissement du bétail.
Déjà, à plusieurs reprises, des efforts avaient été tentés dans ce but, des tentatives d'association avaient eu lieu, malheureusement, le manque de capitaux disponibles, et des connaissances spéciales, n'avaient pas permis de mener cette entreprise à bonne fin.
C'est alors que sur la demande des personnes les plus autorisées du pays une société se constitue sous la raison sociale A. Kruger et Cie, et se décide à construire les bâtiments nécessaires à une fabrication de 50 à 60 000 kg de betteraves par jour.
Ces bâtiments sont construits dans la plaine dite « Couture d'Echiré », à environ 3 ou 400 m du bourg, dans un terrain de 1 hectare 1/2, tenant au chemin d'Echiré à Saint-Maxire. MM. A. Kruger et Cie ont donc l'honneur de demander à Monsieur le Préfet du Département des Deux-Sèvres l'autorisation de commencer leur fabrication l'automne prochain.
La distillerie construite d'après les plans annexés au présent mémoire se compose de quatre bâtiments réunis les uns aux autres et contenant :
- Le premier, deux générateurs, de la force de 20 et 25 chevaux chacun. Cette installation, dans un bâtiment séparé des autres, par un mur épais en maçonnerie ne présente aucun danger, même en cas d'explosion de l'un des générateurs.
- Le bâtiment central faisant suite au précédent contient la distillerie proprement dite, colonnes à distiller et à rectifier, les appareils régulateurs et la machine à vapeur commandant la transmission générale.
- En arrière se trouve le bâtiment de la cuverie, auquel est adossé un hangar protégeant les laveurs de betteraves et les élévateurs. Dans la cuverie, les macérateurs et les cuves de fermentation sont rangées symétriquement, en face les uns des autres.
- Enfin le dernier bâtiment, ou dépotoir, contient les bacs à alcool, bon goût, moyen goût et mauvais goût.
L'ensemble de cette disposition aussi simple et en même temps aussi complète que possible ne laisse rien à désirer au double point de vue de l'exécution du travail et de la sécurité
La méthode employée pour la distillation sera celle dite de macération, perfectionnée successivement par MM. Champonnois et Lavalle. Cette méthode a, relativement à la méthode dite à presses (ancienne usine Foubert à Niort), l'avantage de ne pas donner de mauvaises eaux de fabrication dont il est toujours difficile de se débarrasser.
La macération est, on le sait, le déplacement des éléments constitutifs de la betterave, sucre, etc, par l'eau qui prend la place des éléments qu'elle a déplacés.
Les betteraves, préalablement lavées, puis élevées par une chaîne à godets, sont découpées en cossettes au moyen d'un coupe-racines, puis envoyées dans des cuviers où elles subissent la macération. Mais au lieu d'employer seulement de l'eau chaude quoi enlèverait aux résidus, c'est-à-dire à la pulpe, une grande partie de sa valeur nutritive, nous reprendrons pour macérer les betteraves, les vinasses qui sortent de l'appareil distillatoire, ce qui aura encore un avantage, celui de nous débarrasser de la presque totalité des mauvaises eaux de fabrication. Ces vinasses, suffisamment chaudes et chargées des éléments qu'elles ont emporté une première fois, déplacent les principes sucrés, albumineux et autres de la betterave et se substituent à eux ; de telle sorte qu'au lieu de résidus délayés par l'eau quand on n'emploie que l'eau chaude à la macération, nous aurons des résidus enrichis par les vinasses, de tous les éléments mêmes de la betterave, moins le sucre qui s'est transformé en alcool par fermentation. Ces résidus, ou pulpes, constituent une nourriture succulente, dont le bétail se montre particulièrement avide, et qui est éminemment propre à l'engraissement. De sorte que l'on arrive à ce résultat, que le fermier après avoir vendu ses betteraves pourra néanmoins rester en possession de toute la nourriture réelle contenue dan sa récolte. Cette nourriture est d'ailleurs condensée en un petit volume et se conserve facilement un an, et plus. Ainsi, deux avantages : l'un pour le cultivateur qui, après avoir vendu sa récolte peut néanmoins en nourrir et en engraisser son bétail, l'autre pour le fabricant sui opère cette transformation.
Après la macération, le jus de betteraves est soumis à une fermentation destinée à transformer le sucre en alcool, après quoi il n'y a plus qu'à soumettre le liquide à des distillations et des rectifications successives. La fabrication, au moins tant que l'usine ne travaillera que les betteraves, n'aura lieu que pendant une partie de l'automne et de l'hiver.
L'écoulement des eaux est singulièrement facilité par l'emploi que nous faisons à la macération des vinasses provenant de la distillation. Il ne restera donc en définitive plus de mauvaises eaux à écouler. Cependant, les eaux provenant du lavage des betteraves (elles ne peuvent être troublées que par des terres) et celles provenant de l'égouttage des pulpes, et de la fabrication en général, se rendront dans un bassin, où elles se reposeront et se clarifieront avant d'être envoyées à la Sèvre. La fabrication n'ayant d'ailleurs lieu qu'en hiver, au moment des grandes eaux, il ne pourra se produire aucun dommage pour personne et l'usine demandée par tous, sera pour tous une somme de profit et de travail.