- P. 29-36 (année 1865) : "Mort de M. Domenger le 14 avril 1865, Vendredi saint. / Qui nous aurait dit que toutes ces prières et toutes ces œuvres de piété préparaient à la mort cet homme si digne de notre estime, cet homme si bon et si aimable que notre jeunesse voulait déjà respecter et aimer comme un Père. Et cependant, ce que nous n'avions pas même eu la pensée de craindre et de redouter fut bientôt, hélas ! une triste réalité pour nous et pour la digne compagne de sa vie. / Le soir du Jeudi saint Monsieur Domenger se retirait avec sa Dame de l'exercice religieux du Stabat qui avait été suivie d'une allocution de circonstance prononcée par M. l'abbé De Luy, missionnaire de Buglose, de station à Mugron en vertu d'une fondation ménagée par le zèle de mon vénérable prédécesseur. Dans son parc et tout à coup notre digne vieillard est surpris par de violentes douleurs de tête et d'estomac. Le curé est appelé près du malade qui semble reprendre son calme vers dix heures et demie ; mais bientôt les agitations douloureuses recommencèrent pour faire place à un assoupissement pénible et tourmenté. Le Docteur Duffourc de St-Sever le lendemain est appelé, il arrive presque trop tard pour donner des soins au malade qui n'alarmait personne par son état à cause de la tranquillité et de l'aimable douceur avec lesquelles il répondait à nos questions, à celles de sa compagne chaque fois que nous nous présentions devant lui. Nous n'étions pas toutefois dans une sérieuse inquiétude et nous étions sur le point de partir pour porter au malade les derniers secours de la religion quand un émissaire arrivant en toute hâte nous fit pressentir un malheur imminent. En effet, M. Domenger ne paraissait plus avoir conscience de lui-même quand nous lui donnâmes une dernière absolution et que par une seule onction nous essayâmes de lui ménager les grâces purificatrices de l'Extrême onction. Il mourut entre nos bras et au milieu des larmes les plus abondantes et des déchirements de cœur les plus pénibles, je lui fermai les yeux en lui faisant baiser le crucifix. / Il s'éteignit vers midi le vendredi saint, sans agitation comme sans agonie, comme s'en vont les prédestinés dans la demeure du Père de la grande famille des Saints. A cette nouvelle aussi funeste qu'imprévue, rien ne saurait dépeindre la stupeur générale qui se répandit dans toute la ville. / Ce ne fut qu'un cri douloureux qui s'échappa de toutes les bouches ; alors d'une seule et même voix on rendait hommage aux rares qualités d'un homme qui sera toujours regretté aussi bien comme un homme public que comme un homme privé. / Sa mémoire vivra éternellement au milieu de ses concitoyens par le beau monument qu'il a voulu élever à la gloire de Dieu et sur lequel il a inscrit en caractères ineffaçables son amour pour l’Église, et pour la ville qui lui donna naissance. L'église qui s'élève à l'heure qu'il est parmi nous, portera jusqu'aux générations les plus reculées le souvenir de l'homme généreux et bienfaisant qui la construisit à ses frais et tout seul sans réclamer aucun subside de personne. / Pour témoigner publiquement sa gratitude au chrétien généreux que le Ciel venait de ravir à l'estime et à l'affection de tous ceux qui le connurent, Monseigneur Epivent, évêque d'Aire et de Dax, vint lui-même présider à ses obsèques. Cette cérémonie attira un clergé très nombreux. Toutes les illustrations du pays, conseillers de préfecture, conseillers généraux, juges, magistrats s'empressèrent de venir rendre un dernier hommage à l'homme dont l'amitié les avait tous honorés parce que toujours il avait été homme de bien, d'ordre, de dévouement et de paix. / On donna à ses funérailles toute la pompe lugubre qu'exigeaient les circonstances. L'église toute entière fut couverte de tentures noires ; autour du catafalque, 30 enfants, 15 filles et 15 garçons, témoignaient de la charité du défunt qui avait si puissamment concouru à l'établissement des frères et des sœurs, où cette jeunesse recevait l'instruction religieuse. M. Dhers, vicaire général, fit la levée du corps. Monseigneur l'évêque chanta la messe. Au moment de l'absoute, Monseigneur l'évêque, devinant le désir de tous les cœurs qui venaient donner une larme et une prière au bon M. Domenger, prit la parole et dans une allocution pleine de sentiment et de foi, dépeignit en traits pleins de vérité l'homme qui laissait un si grand vide autour de lui. Ce discours, que nous avons le regret de ne pouvoir reproduire ici, fit couler beaucoup de larmes : plusieurs Messieurs ses amis pleuraient comme on pleure à la mort d'un père. / Après l'absoute, le cortège accompagna le défunt à sa dernière demeure. Avant de déposer la bière dans son caveau de famille, le premier magistrat du canton, M. Batistant, juge de paix, prit la parole en ces termes : /
[p. 30] [en marge : Discours de M. Batistant aux funérailles de M. Domenger quand ses restes furent déposés au caveau de la chapelle du cimetière.] "Permettez-moi, Messieurs, avant que ce sépulcre se ferme et dérobe pour toujours à nos yeux les restes mortels de celui que nous avons accompagné ici, que je vous dise ce qu'il fut pour nous durant sa carrière administrative. / Messieurs, / Le deuil profond où l'âme s'abandonne dans ce lieu de douleurs, l'expression des regrets qui se peint sur tous les visages, l'objet de la cérémonie lugubre qui nous réunit, portent nécessairement les pensées sur le néant des choses humaines, et près de la tombe qui s'offre à nos regards, les premières paroles qui nous échappent sont celles que nous a si énergiquement rappelées le plus distingué de nos orateurs chrétiens : "Que tout passe, tout nous quitte, tout finit, que nous passons et finissons nous-mêmes et que rien n'échappe à la faulx [sic] de la mort qui réduit en poussière les plus superbes comme les derniers sujets." Réflexion bien cruelle, sans doute, mais dont la vérité frappe davantage en venant déplorer avec vous, Messieurs, la perte douloureuse et inopinée du bon M. Domenger, qui naguère encore faisait le charme de tous ceux qui vivaient avec lui. / Il fut pendant trente et quelques années consécutives notre excellent Maire, traversant avec nous des époques assez difficiles, avec une prudence et une sagesse admirables si nul n'eût été à se plaindre de lui, parce que son cœur éminemment bon ne sut jamais faire le mal, mais toujours bien. C'est surtout à nous, ses collaborateurs dans l'administration des intérêts de cette commune, qu'il nous appartient de louer hautement les qualités précieuses qu'il possédait comme administrateur, tant de nos ressources communales que de celles de nos divers établissements publics qui font honneur à notre modeste cité ; son expérience lui rendait sa tâche facile ; il nous traitait avec cette déférence et cette urbanité qui lui étaient si propres ; nous formions avec lui un vrai conseil de famille dont il était le président aimé et honoré ; toujours d'une touchante expansion envers nous tous, ne désirant que notre union avec lui, tant son cœur était affectueux. / Ah ! non, nous ne pouvons oublier tous les conseils et les bons exemples qu'il nous a donnés avec cette affabilité et cette aménité qui le distinguaient ; son heureux caractère toujours gracieux et aimable faisait rechercher avec bonheur sa société et ses entretiens intéressants. / [p. 31] Il fut accessible au pauvre comme au riche, toujours poli envers les uns et les autres ; aussi les regrets unanimes de ses administrés de tout rang l'accompagnent dans la tombe, car il fut tout à tous et à chacun en particulier. / M. Domenger fut longtemps notre mandataire au Conseil général de notre département ; aimé et estimé de ses collègues, il fut exact à remplir sa mission en prenant part à chaque session aux travaux de ce corps honorable. / Grâce à sa longue carrière administrative comme aussi à ses succès agricoles, il reçut un jour la juste récompense due à ses mérites acquis en obtenant l'étoile de l'honneur qui a longtemps brillé sur sa poitrine et malgré les faveurs de la fortune et des honneurs, il demeura toujours très modeste parmi nous. / Celui que nous regrettons à tant de titres sut se créer de nombreuses et puissantes amitiés et son excessive obligeance le porta à les faire valoir souvent pour venir en aide à ceux qu'il croyait dignes de sa bienveillance ; sa charité fut grande, nul indigent ne lui tenait [sic] en vain la main ; chrétien d'une foi vive, il fut fidèle aux croyances et pratiques religieuses jusqu'à son dernier soupir car la veille de sa mort, quoique en parfaite santé, il s'était préparé au voyage de l'éternité par la réception du pain des Anges. Félicitons-nous en, Messieurs, car nous tous souhaitons à sa bonne et belle âme le séjour des élus ; à son instar imitons sa sagesse et sa prévoyance. / Par sa munificence, il nous dote d'une belle église, combien il eût désiré la voir terminée mais hélas Dieu en a décidé autrement, inclinons-nous sans murmure devant ses décrets, mais ne soyons jamais ingrats envers le bienfaiteur de notre commune. Que sa mémoire nous soit chère et sans cesse présente ; prions pour le repos de son âme qui ne réclame de nous que cette [sic] acte de reconnaissance. / Ô vous qui fûtes l'ami de nous tous, homme de bien, bon Monsieur Domenger, reposez en paix dans le sein du Seigneur et croyez bien que nous vénérons avec votre mémoire et que nous affectionnerons affectueusement [sic] la digne compagne que le Ciel vous avait donnée, le priant de nous la conserver longues années pour être toujours la bienfaitrice des pauvres et l'inspiratrice de nos sentiments religieux." /
[p. 32] Ces paroles, inspirées par la reconnaissance, furent écoutées avec une sympathie religieuse et méritèrent les éloges de tous les hommes distingués qui rehaussaient par leur présence la majesté de ce lugubre cortège. / Je ne dis rien des douloureuses marques d'intérêt compatissant dont la digne veuve de Monsieur Domenger fut l'objet de la part de la population. Pour consoler sa douleur elle nous demanda de lui fournir le thème d'une vignette qui pourrait procurer quelque secours de prières à l'âme de son mari. Voici une copie de cette vignette de deuil : / [encadré] + Priez pour le repos de l'âme de Bernard-Roch-Marie Domenger, décédé à Mugron le vendredi saint 14 avril 1865 à l'âge de 79 ans. / Chéri de Dieu et des hommes, sa mémoire est en bénédiction (Eccl. 45). / Seigneur, souvenez-vous de David qui a fait cette promesse solennelle : je ne me donnerai aucun repos que je n'aie trouvé un asile pour le Dieu de Jacob (Ps. 131). / Seigneur demeurez chez nous pendant le soir de notre vie (Luc. 24.9). / La maison du Seigneur commençait à se bâtir (Reg. 3.6.1) / L'hôte de son Dieu mourut dans une belle vieillesse... après avoir reçu le baiser du Seigneur (Genès. 25. 8). / Ne vous affligez donc pas comme ceux qui n'ont pas d'espérance... Dieu réunira ceux qui sont endormis dans le Seigneur Jésus... et nous serons pour toujours avec lui (I Thess. 4). /
A peine avions-nous rendu les derniers devoirs à M. Domenger que nous fûmes préoccupés de la pensée d'obtenir la permission de transférer ses restes mortels dans la nouvelle église. Nous savions combien il serait consolant pour la respectable et pieuse veuve de pouvoir tous les jours s'agenouiller au pied de la tombe de son mari dans l'église bâtie par ses soins et ses sacrifices. Nous savions quel repos d'esprit et de cœur elle trouverait à penser que son corps reposerait un jour à côté de celui de son mari et qu'en partageant sa tombe elle partagerait aussi toutes les prières qui seraient faites par la reconnaissance heureusement réservée à la vue de la pierre tumulaire qui recouvrirait leurs cendres réunies. / M. Despouys, notaire honoraire, membre du Conseil d'arrondissement, devenu Maire de la ville de Mugron à la grande satisfaction de tous les habitan[t]s, signala les premiers jours de sa charge en essayant de faire aboutir la demande adressée à M. le Ministre de l'Intérieur par une délibération réunie du Conseil Municipal et du Conseil de Fabrique. / Pour qu'il soit bien constant aux yeux de nos contemporains et de nos descendan[t]s que le vœu général et le désir ardent de tous fût de donner à M. et Mme Domenger une place dans l'église après leur nouvelle [?] et transmettre ainsi à tous nos neveux le nom et la mémoire de ces deux insignes bienfaiteurs, nous croyons utile de transcrire ici la délibération du Conseil de Fabrique appelé à s'expliquer sur ce point. /
[p. 33] 15 juillet 1865. Translation des cendres de M. Domenger de la chapelle sépulcrale dans la nouvelle église. / L'an 1865 et le 15 du mois de juillet, le conseil de Fabrique, réuni au lieu ordinaire de ses séances sous la présidence de M. Despouys, / Étaient présents MM. Bourrus, curé, Batistant, Hiard, de Monsabert, Tonnelier. / Le président a donné communication au conseil d'une délibération prise par le conseil municipal de Mugron, tendant à obtenir du gouvernement l'autorisation nécessaire pour l'exhumation des cendres de M. Domenger, décédé le 14 avril dernier, maire de Mugron, membre du Conseil général du département des Landes et chevalier de la légion d'honneur, et pour leur translation de la chapelle sépulcrale du cimetière de la commune où elles reposent maintenant, dans la nouvelle église paroissiale restaurée par les soins et aux frais du généreux concitoyen qu'une mort si prompte et si inattendue est venu ravir à la tendresse de sa digne et pieuse compagne et à l'affection reconnaissante de ses administrés. / Le conseil municipal, par la même délibération, jugeant de toute convenance et de toute équité de ne pas désunir ici-bas les deux époux que Dieu y avait si bien unis, demande que cette autorisation s'étende à Madame Domenger lorsque Dieu l'appellera à lui et que l'autorisation sollicitée leur soit commune et permette qu'elle soit inhumée alors à côté de son mari et dans le même caveau qui sera à l'avance et aux frais de cette Dame disposé à recevoir la double sépulture selon les plans qui seront fournis par l'administration et avec toutes les précautions sanitaires qu'elle jugera à propos d'imposer pour cette construction. / Le conseil de Fabrique, invité à délibérer sur les propositions dont il s'agit, a déclaré qu'il ne saurait mieux faire que de s'approprier les motifs pleins de convenance et d'élévation qui ont dirigé le vote du conseil municipal dans sa délibération du 14 juillet 1865 et afin d'éviter des redites il a résolu que cette délibération sera transcrite à la suite de la présente sur le registre de ses propres délibérations pour ne former qu'une seule et même chose avec elle. / En conséquence, le conseil de Fabrique a déclaré à l'unanimité avec [illisible] aux vœux et à la demande formée par le conseil municipal et par suite il supplie Sa Grandeur Monseigneur l'évêque d'Aire et de Dax, à qui copie de ces deux délibérations sera transmise par les soins du secrétaire, de bien vouloir seconder les vœux si bien justifiés des habitants de Mugron, favorablement accueillir leur demande et l'accompagner auprès de l'autorité administrative d'un avis favorable et de sa haute influence, bien propre à en assurer le succès. / Fait et délibéré à Mugron, les jours, mois et an que dessus, et ont signé au registre les membres présents, suivant les signatures : Despouys - Tonnelier - B.d Hiard - G.ve de Monsabert - Bourrus curé."
Nous donnâmes tous nos soins à ce que cette double délibération partît pour Paris munie d'une apostille toute favorable ajoutée par Monseigneur l'évêque d'Aire et par M. le Préfet des Landes, qui tous deux avaient honoré de leur estime la plus profonde et de l'affection la plus vive le bon M. Domenger. Pour garantir davantage le succès de notre requête, nous prîmes la liberté décrire à M. Leroy, Baron sénateur, préfet de Rouen [Ernest Hilaire Le Roy, 2e baron de Boisaumarié (1810-1872)] la lettre suivante : "Mugron, 1 août 1865 / Monsieur le Sénateur, Je n'ai pas oublié l'accueil bienveillant que vous fîtes au curé de Mugron, il y a à peine un an. Le souvenir de votre aimable affabilité et des aimables prévenances de Madame Leroy se repose dans mon cœur à côté de l'image du vénérable vieillard qui voulut bien me présenter à vous pour la première fois. Il était votre ami, je le sais, et il permettait à ma jeunesse de l'aimer comme un vieux père, un homme de bien ; voilà pourquoi, Monsieur le Sénateur, j'ose [p. 34] sans hésitation confier à votre puissante influence, à l'estime particulière et à la cordiale affection que vous avez vouée au respectable M. Domenger un projet que la reconnaissance a inspiré à la population et au clergé de la ville de Mugron. Nous venons de demander à Son Exc. le Ministre de l'Intérieur l'autorisation de transporter les dépouilles mortelles du bienfaiteur que nous pleurons dans l'intérieur de l'église dont la restauration s'accomplit entièrement par les soins et les sacrifices de cet homme généreux si inopinément ravi à tous ceux qui l'aimaient. En même temps et en prévision d'un avenir que nous prions Dieu de différer le plus possible, nous demandons la même autorisation pour quand besoin sera en faveur de sa digne et respectable compagne qui continue son œuvre et se fait la Mère des pauvres par sa bienfaisance et ses largesses ; désirant ne pas voir séparé à la mort ce que Dieu avait si bien uni sur la terre, nous voudrions que le même caveau reçût les cendres des deux époux. On nous assure que ce genre d'autorisation rencontre beaucoup d'obstacles auprès de l'administration supérieure et qu'on les accorde très difficilement. [...] Si en effet une exception à la loi générale fut jamais opportune, convenable à tous égards, c'est bien assurément dans le cas présent : il s'agit simplement de permettre à tout un peuple de perpétuer sa reconnaissance dans un monument élevé par un acte de bienfaisance hors ligne, envers des bienfaiteurs exceptionnels. Par cette concession, M. le Ministre craindrait-il d'engager l'avenir ? Mais je puis bien affirmer sans risque d'être appelé téméraire que M. et Mad. Domenger n'auront que de très rares imitateurs et M. le Ministre n'a pas à redouter que ces demandes soient présentées souvent à Son Excellence appuyées par les mêmes motifs. [...] J'ai l'espoir que vous nous réserverez [?] sans trop de retard, peut-être même avant votre retour au château de Fleurus une réponse favorable. [...] P. Ad. Bourrus (curé de Mugron, Landes)."
[...] M. Le Baron Leroy nous répondit la lettre suivante : [p. 35] "Rouen, 24 août 1865. Monsieur le curé, / Je n'ai pas besoin de vous dire combien je serais de cœur disposé à m'associer à vos demandes et à celles de mon honorable ami Monsieur le Maire de Mugron pour faire rendre à la mémoire de celui que nous pleurons tous l'hommage si bien dû à ses rares qualités et à sa pieuse charité. Malheureusement, la chose est bien difficile si même elle n'est impossible. Dans tous les cas, c'est à M. le Ministre des Cultes que les sollicitations doivent être adressées par le double intermédiaire de M. le Préfet des Landes et de Mgr l'évêque d'Aire. De mon côté, je ferai tous mes efforts pour arriver à une décision favorable. Agréez, Monsieur le curé, l'assurance de ma haute considération. / Baron Ernest Leroy."
Cette lettre ne nous donnait pas de grandes espérances pour obtenir le succès de notre requête. Nos craintes ne furent que trop tôt justifiées par la dépêche ministérielle que Monseigneur nous adressa avec une de ses lettres. En voici la teneur :
[en marge : Ministère de l'Intérieur. Division communale et hospitalière, 2ème Bureau. Landes. Mugron. Demande en autorisation d'inhumer les restes mortels des époux Domenger dans la nouvelle église.] "Paris le 2 7bre 1865. / Monseigneur, / Vous avez bien voulu appeler mon attention sur une demande formée par le conseil municipal et le conseil de fabrique de Mugron (Landes) à l'effet d'obtenir l'autorisation de déposer aujourd'hui les restes mortels de M. Domenger, et plus tard, de sa femme, dans un caveau dépendant de la nouvelle église de Mugron, construite à leurs frais. / L'article 1er du décret impérial du 23 Prairial an XII, Monseigneur, interdit formellement toute inhumation dans les églises, les chapelles publiques, les édifices clos et fermés où les fidèles se réunissent pour la célébration du culte et cette règle ne souffre d'exception qu'à l'égard des évêques et archevêques qui peuvent être inhumés dans leurs cathédrales en vertu d'une décision spéciale de l'Empereur. / L'église de Mugron, il est vrai, Monseigneur, ainsi que vous l'avez fait remarquer, n'a pas encore été consacrée au culte par les cérémonies de la Religion, mais cette consécration devant avoir lieu prochainement, on doit considérer l'édifice comme tombant sous l'application des dispositions prohibitives précitées. D'ailleurs, s'il en était autrement, la nouvelle église étant située à moins de 35 mètres de la masse des habitations, toute inhumation serait encore interdite aux termes du décret de l'an XII (articles 12 et 14) et de l'ordonnance royale du 6 décembre 1843, art. 1er. / J'ai donc le regret de ne pouvoir donner suite à la demande de la commune et de la fabrique de Mugron. Veuillez, au surplus, remarquer, Monseigneur, que le décret du 30 décembre 1809 permettait d'accorder aux époux Domenger un témoignage de reconnaissance publique dans les formes déterminées par les articles 72 et 73. / Agréez, Monseigneur, l'assurance de ma haute considération, / Le Ministre de l'Intérieur, / Pour le Ministre de l'Intérieur, / Le Maître des Requêtes, secrétaire général / M. de Bosredon. / Je regrette personnellement, Monseigneur, de n'avoir pu accéder au vœu que Votre Grandeur m'a fait l'honneur de m'exprimer. Mais après un nouvel et sérieux examen, les termes impératifs de la loi m'ont paru rendre impossible une solution différente. B."
[p. 36] "Aire, le 4 7bre 1865. / Mon cher Doyen de Mugron, / J'ai reçu votre lettre qui me priait de solliciter l'exhumation d'un ami et son inhumation dans la future église de Mugron. / Je n'ai pas besoin de vous dire tout le zèle que m'inspirait votre prière si instante, mon amitié pour le cher décédé et ma vénération affectueuse pour celle qui a fait le bonheur de sa vie. J'ai plaidé cette cause si bonne au tribunal de la Religion et si mauvaise au point de vue légal aux deux ministères des Cultes et de l'Intérieur. / La cause ressortissait à ce dernier ministère. Le secrétaire général m'a montré le dossier et la lettre si favorable de M. le Préfet. J'ai d'abord fait valoir l'unanimité de toutes les autorités qui demandaient cette faveur, les titres que le défunt avait à l'obtention de ce privilège, lui qui s'était dépensé tout entier au service de la patrie et de son pays et qui avait doté sa ville d'un si beau monument religieux. / Le secrétaire général de l'Intérieur m'opposait que la concession de cette faveur n'avait pas un seul précédent sauf pour les évêques. A cela, j'ai répondu que ce n'était pas encore une église, que la loi autorisait chacun à choisir sa sépulture dans son terrain et qu'une partie de l'église était construite [?] sur le terrain de M. Domenger. Il n'a pas admis ce principe et pour en atténuer la force, il m'a dit que la distance de 35 mètres de toute maison habitée aurait prohibé cette sépulture. J'ai répliqué que plus de la moitié des cimetières de France étaient dans le cas de cette illégalité. J'ai même évoqué l'opinion du pays qui verrait avec tant de bonheur la dernière volonté d'un généreux bienfaiteur et le désir de sa pieuse veuve accomplis, et avec un vrai déplaisir une demande si légitime refusée sans tenir compte de l'avis et même des prières de l’Évêque et du Préfet. / Le représentant du ministère aurait voulu un examen mais l'inflexibilité de la loi étant là, sans aucun exemple d'infraction et même on m'a produit une pareille demande faite par l'Impératrice en personne qui a été impitoyablement écartée. / Je ne puis vous dire, mon cher Doyen, tout ce qui s'est dit pendant une heure environ de débats. Je vous envoie la réponse que j'avais prévue avec une note autographe qui me prouve son stérile bon vouloir et la bonne impression qui lui est restée de notre entretien. / Prêchez la patience, je vous prie, à notre sainte amie. Après les cinq ans révolus d'inhumation, nous transporterons les reliques vénérables dans l'église. Un autre évêque en fera de même pour sa chère compagne et l'on pourra graver dans un marbre commun ce mot de l’Écriture : In morte quoque non sunt divisi. / Dieu veuille que ce ne soit que dans un demi-siècle. / J'ai reçu ce bref qui autorise le couronnement de Buglose, Ave Maria ! Un autre signé de la main du Pape qui me complimente de mon ordonnance sur l'Encyclique. / Tout à vous en J. Chr. / Louis Marie Ev. d'Aire."
Cette nouvelle nous causa un si vif chagrin, une si profonde affliction qu'ayant appris que Sa Majesté l'Empereur allait passer quelques semaines à sa résidence impériale de Biarritz, nous écrivîmes encore à Monseigneur pour voir s'il n'y aurait pas encore moyen d'obtenir cette faveur en insistant directement auprès de Sa Majesté. / Monseigneur nous répondit immédiatement.
"Aire, le 14 7bre 1865. / Mon cher doyen, / Je ne puis me flatter d'avoir sur la cour de l'Empereur plus d'ascendant que la gracieuse impératrice. Or, on m'a montré dans les bureaux du Ministère une requête apostillée par celle-ci et qui a été impitoyablement écartée. Il est probable que l'Empereur a été consulté. Il s'agissait d'une Supérieure de Paris morte en odeur de sainteté. / Dans l'hypothèse même que vous espéreriez quelque chose d'un recours à l'Empereur, un autre aurait plus de chances que celui qui vient de se chamailler avec le Ministère sans avoir pu rien obtenir. J'aurais l'air de désavouer Son Excellence. / Que Dieu vous inspire ! mon cher Doyen. Si j'allais à Biarritz, je me risquerais encore volontiers d'en parler, mais rien ne me fait espérer d'y être invité. / Tout à vous, / Louis Marie Ev. d'Aire."
N.B. : sur l'avis de personnes haut placées, et toutes précautions de salubrité publiques ayant été prises, nous avons transporté sans bruit, sans apparat, comme sans cérémonie les restes mortels de M. Domenger dans le caveau de l'église, quelques semaines avant notre entrée dans le nouveau sanctuaire.
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- P. 57 (année 1869) : "Vers le mois d'octobre, à la séance de la fabrique, le Pasteur de la Paroisse ne pouvant oublier la reconnaissance due à M. Domenger, préoccupa les membres du conseil d'un projet qui tendait à perpétuer à jamais le souvenir de l'insigne bienfaiteur qui avait doté d'une si belle église la paroisse qui l'avait vu naître. La proposition d'élever un monument funéraire sur la tombe de M. Domenger fut accueillie avec un empressement tout sympathique et M. le Maire voulut que la municipalité ne demeurât pas étrangère à l'expression de la reconnaissance publique. Les frais du monument furent acceptés par les deux caisses pour une [un mot illisible] et au mois d'avril 1870 le monument fut érigé par les soins de M. Géruzet, qui voulut donner à son œuvre un caractère conforme au style de l'église."