Coquillaud, Henri. " Le Cognac. Chef d'œuvre du sol de France ". In : Images de Charente. Paris, 1964. p. 78-80.
Combien ont été surpris, en abordant la campagne charentaise, de découvrir une région qui parvient, sans reliefs accentués, à présenter des perspectives variées où se retrouvent sous une forme atténuée les principaux traits des terres qui l'entourent ! Beaucoup également ont été frappés par la lumière intense qui baigne cette partie du sud-ouest, à tel point que les frères Tharaud ont pu la comparer à celle de l'Orient.
Voici quelques années, les images d'un film documentaire réalisé par le Bureau national du cognac ont permis de retrouver au long de la Charente, à mesure que défilaient devant les yeux les vallons, les plaines, les coteaux striés par les alignements géométriques du vignoble, l'ambiance si particulière qui vit naître et se développer l'industrie du cognac.
On a dû reconnaître en effet, que, seule la conjonction des divers éléments naturels ici exceptionnellement réunis, a pu donner lieu à ce qu'on a considéré comme un véritable " miracle de la nature ".
On situe les premiers essais de distillation au XVIe siècle. Jusque-là, les anciennes provinces d'Angoumois, d'Aunis et de Saintonge se consacraient au commerce du vin et du sel que les bateaux étrangers venaient chercher dans les ports de La Rochelle et de Tonnay-Charente. Il semble que ce fut sous l'empire des circonstances que les paysans se décidèrent à distiller leurs vins. Ceux-ci, légèrement acides et d'un degré peu élevé, souffraient des longs voyages par mer et se virent bientôt préférer des vins plus alcoolisés.
La mévente s'ensuivit, aggravée d'une crise de surproduction, et on raconte même que le poids des impôts sur le vin transporté par le fleuve fut une des raisons qui poussèrent les paysans de l'intérieur, qui s'estimaient désavantagés par rapport aux habitants des provinces voisines de la côte, à participer à la révolte des Croquants en 1636.
Quoi qu'il en soit, la distillation se généralisa au XVIIe siècle, tandis que le commerce des eaux-de-vie, d'un transport aisé et d'une bonne conservation, se substitua peu à peu à celui des vins. Ces produits rencontraient au surplus la faveur des populations des Iles britanniques et des pays nordiques qui firent bientôt du " brandewine " ou brandy mélangé d'eau, une boisson aussi répandue que la bière.
L'Angleterre, les pays Scandinaves, les ports de la Hanse constituaient, à cette époque, les principaux débouchés des eaux-de-vie charentaises. Bientôt s'y adjoindront le Canada, les comptoirs d'Asie et d'Amérique et les colonies du Nouveau Monde. Si La Rochelle conserve toujours sa suprématie, le port de Rochefort connaît lui aussi une intense activité, car il assure le ravitaillement des flottes royales dont les expédi-tions se font de plus en plus fréquentes.
Au début du XIXe siècle, le commerce du cognac prend une extension considérable qui s'affirme à la suite de l'accord de libre-échange conclu en 1860 avec l'Angleterre. Les firmes, encore peu nombreuses au XVIIIe siècle, s'installent maintenant à Cognac, et dans les localités environnantes. Désormais, la région organise son économie autour des eaux-de-vie qui ont fait sa prospérité.
Dès cette époque, les viticulteurs et les négociants s'efforcent, pour prévenir les années de moyenne récolte, de conserver les eaux-de-vie produites en années d'abondance. Cette pratique devint courante lorsque les acheteurs étrangers, et principalement les négociants anglais, prirent l'habitude de laisser vieillir sur les lieux mêmes de production, avant d'en prendre livraison, le cognac qu'ils avaient acquis. N'avaient-ils pas constaté que l'eau-de-vie s'améliorait considérablement avec le temps, surtout si elle était logée dans des fûts en chêne provenant des forêts du Limousin tout proche... C'est ainsi que le transport des " merrains " créa avec cette province voisine un courant d'échanges actif qui s'avéra très favorable à l'ensemble du commerce local. On sait maintenant quelle importance est attachée au degré de vieillissement du cognac, inséparable de la notion de qualité qui constitue toujours, avec la réputation de marques souvent plus que centenaires, le facteur essentiel de son succès à travers le monde.
Depuis ces lointaines origines, la vocation exportatrice de la région de Cognac n'a fait que s'affirmer. Les bouleversements entraînés par deux conflits mondiaux, l'interruption à deux reprises et pendant plusieurs années des échanges internationaux, s'ils ont gravement atteint les courants d'exportation du cognac, ont néanmoins pu être surmontés.
Par la mise en œuvre d'une véritable politique de l'exportation, les professionnels sont parvenus, non seulement à reconquérir les débouchés compromis, mais encore à améliorer leurs positions sur les principaux marchés.
Cette politique, comme on sait, s'appuie sur trois impératifs : la qualité irréprochable des produits commercialisés, des prix raisonnables, enfin, un effort de prospection accru.
Dans ce dernier domaine, le commerce régional n'a pas hésité à entreprendre, dès 1952, une vaste campagne de propagande aux États-Unis sous la forme collective. Les résultats obtenus sont particulièrement intéressants puisque en dix ans, et malgré une concurrence extrêmement sévère, les expéditions sur ce marché ont plus que doublé.
On soulignera, par ailleurs, les heureux effets de la mise en vigueur de la Communauté Economique Européenne. Les réductions douanières déjà enregistrées ont permis l'amélioration constante des ventes dans les pays membres. Les exportations en Allemagne, notamment, se sont accrues en quatre ans de plus de 300 % tandis que dans les autres pays elles connaissent une augmentation très sensible. Les importateurs traditionnels demeurent - outre la Grande-Bretagne qui figure toujours au premier rang des acheteurs de cognac - les États-Unis et les pays du Marché commun, puis la Finlande, la Suède, la Suisse, l'Irlande, la Malaisie et Singapour, le Danemark, le Canada, la Norvège, Hong-kong, etc.
Une situation aussi favorable ne doit pas, cependant, faire oublier que certains marchés, autrefois prospères, ont, à la suite de modifications de nature politique ou économique, perdu de leur importance. Il s'agit, entre autres, des pays de l'Est, dont le commerce, placé sous contrôle de l'État, est strictement réglementé. Quelques indices permettent d'espérer, toutefois, une sensible reprise des expéditions de nos eaux-de-vie qui n'ont jamais cessé de rencontrer la faveur d'un fidèle public. Par contre, la situation apparaît toujours préoccupante dans quelques pays d'Amérique latine, tels le Venezuela, le Brésil, l'Argentine, qui constituaient autrefois des débouchés intéressants. Elle ne semble pas devoir s'améliorer dans un proche avenir en raison de la réglementation douanière et fiscale instaurée par les gouvernements de ces États, qui aboutit pratiquement à interdire l'entrée des boissons de qualité. Il est enfin superflu de rappeler les perturbations entraînées par les profondes transformations d'ordre politique intervenues dans les pays de la zone franc.
Ces difficultés permettent d'apprécier à leur juste valeur les efforts accomplis par le commerce de la région de Cognac dont les ventes à l'étranger, considérées dans leur ensemble, représentent actuellement plus du triple du volume de celles réalisées au cours de la période 1930-1939. Consciente de la nécessité de poursuivre ce mouvement d'expansion, qui s'insère dans la réalisation du IVe Plan en cours et répond aux objectifs déjà fixés du Ve Plan, l'interprofession du cognac, réunie au sein du Bureau national, s'est préoccupée de définir l'organisation économique de la région.
Les mesures adoptées jusqu'alors dans un climat de confiance et de compréhension et grâce au soutien efficace des départements ministériels intéressés, ont permis d'enregistrer des résultats extrêmement intéressants en matière de stockage des eaux-de-vie en vue du vieillissement, de crédit, de contrôle de la qualité, de prospection des marchés. Un gros effort intervient actuellement pour accroître le potentiel de production du vignoble en vue de l'adapter aux besoins du commerce. La progression des ventes observée tant sur le marché français que sur les débouchés extérieurs implique, on le conçoit, une augmentation corrélative de la production et des réserves. Ici, en effet, tous les problèmes sont inséparables. Ils devront être résolus pour que soit assuré dans les meilleures conditions l'avenir d'une région où les traditions, le travail en commun, la recherche constante de la perfection, ont tissé au cours des siècles un lien indissoluble entre tous ceux qui consacrent leur temps et le meilleur d'eux-mêmes à la gloire d'un produit unique : le cognac.