Présentation de la commune de Monpazier

France > Nouvelle-Aquitaine > Dordogne > Monpazier

Une histoire ancienne mal connue

La commune de Monpazier est inscrite dans une vaste zone rurale, entre les vallées de la Dordogne et du Lot, dont l’occupation ancienne est encore mal connue. Quelques découvertes dans la campagne environnante attestent que des groupes humains fréquentent ce territoire depuis la préhistoire [1], tandis que des vestiges répertoriés dans les communes voisines apportent quelques éclairages concernant l’occupation du sol et la répartition de l’habitat pendant l’antiquité [2]. Au haut Moyen Âge, cette partie de la vallée du Dropt se trouve aux confins des réseaux de paroisses que les évêques de Périgueux et Agen, engagés dans une christianisation précoce, développent [3].

Si dès le Moyen Âge central de puissants pouvoirs locaux émergent, telle la famille aristocratique de Biron notamment, le statut "d’interface" de la vallée, à la jonction de grands ensembles, perdure. Ainsi, les rois de France et d’Angleterre se toisent depuis leurs possessions respectives et cherchent à développer dans cette zone, notamment par l'implantation de bastides comme Monpazier, leur emprise directe sur ce territoire.

Une ville nouvelle médiévale prospère (13e – 16e siècle)

La bastide de Monpazier, comme d’autres environnantes, naît de cette concurrence tout autant que d’une volonté de développer l’économie et le dynamisme de ce territoire, peu structuré et dont la population est assez dispersée [4]. La ville nouvelle est fondée en 1284 à l’initiative du roi-duc Édouard Ier et de Pierre de Gontaud seigneur de Biron, sur une terre appartenant à ce dernier : le tènement de la Boursie [5], alors intégré dans la paroisse Notre-Dame de Capdrot. Les droits et revenus qui découlent de cette nouvelle bastide sont méthodiquement répartis entre ses fondateurs, désireux d’exploiter son dynamisme économique potentiel [6]. Dès 1289, Monpazier se voit constituer un "détroit", grâce aux dons d’Aymeric de Biron (seigneur de Montferrand), formé des paroisses de Capdrot, Marsalès, La Valade, Gaugeac et Saint-Cassien [7]. La bastide est alors gérée par un "bayle", Bertrand de Panissals, qui est aussi le "promoteur" initialement choisi par le sénéchal du roi-duc Jean de Grailly lors de la fondation ; les habitants, eux, sont représentés par une organisation consulaire dont on connaît les premiers membres : Pierre de la Faye, Etienne de Mansac, Gilbert de Sarlat, Guillaume du Puy et Arnaud del Camps [8]. La charte de coutumes concédée aux habitants – sorte de code pénal, juridique, administratif et fiscal avant l’heure qui réglemente la vie communautaire – n’est pas conservée, mais son application est réaffirmée à plusieurs reprise à la fin du Moyen Âge par les rois Louis XI (1462) et Charles VIII (1484). Les débuts de la bastide sont difficiles : Edouard Ier en fait le constat amer lors d’une visite sur place le 6 novembre 1286 [9]. Avant de rentrer en Angleterre trois ans plus tard, il tente d’accélérer le peuplement en menaçant d’amende les habitants qui tardent à s’installer dans la bastide malgré leur engagement à le faire. L’argent collecté devait aller à la construction de l’enceinte et de l’église [10], mais rien ne dit qu’il a été prélevé. En outre, les relations entre les fondateurs sont houleuses et Pierre de Gontaud doit à plusieurs reprises, entre 1293 et 1305 [11], demander la stricte application du contrat de paréage par les agents du roi-duc ; ce à quoi Édouard Ier consent finalement. Malgré ces débuts difficiles, Monpazier apparaît au milieu du 14e siècle comme un bourg florissant : la bastide fait en effet partie, en 1365, des six plus grandes agglomérations du Périgord avec 315 feux dénombrés [12].

Malgré cette prospérité manifeste, la ville n’échappe pas aux troubles qui secouent la province aux 14e et 15e siècles : la guerre de Gascogne initie une période d’instabilité, poursuivie par la guerre de Cent Ans, au cours de laquelle Monpazier change de tutelle, anglaise ou française (avant d’opter définitivement pour cette dernière en 1369), à plusieurs reprises. On sait peu de choses des conflits qui ont pu menacer directement la bastide, même si plusieurs coups de mains – dont un fomenté par le seigneur de Biron lui-même ! – sont indirectement rapportés par les décisions que les souverains prennent à l’égard de la ville [13]. L’impact des épidémies de peste successives qui ont accablé sa population est également difficile à estimer [14].

En 1490, l’évêque de Sarlat autorise les chanoines qui résident dans le bourg de Capdrot (voisin et exsangue) à déplacer leur chapitre dans Monpazier [15]. La prise de possession de l’église Saint-Dominique par la communauté religieuse ne va pas sans poser de problèmes et des procès [16], symboles d’un rapport de force tendu, crispent rapidement les relations entre consuls et ecclésiastiques. Malgré tout, à la prospérité économique que connaît déjà la bastide – confirmée par des campagnes de travaux nombreuses dans les maisons de cette époque – s’ajoute désormais un rayonnement religieux non négligeable, puisque les chanoines administrent un vaste territoire de 68 paroisses.

L'amorce d'un irréversible déclin (fin du 16e siècle – Révolution française)

La deuxième moitié du 16e siècle voit Monpazier, sous l’influence des Biron, embrasser la "dissidence" protestante ; la bastide se trouve ainsi entraînée dans les guerres de religion et abrite à plusieurs reprise une troupe, menée par Geoffroy de Vivans ou Jacques de Caumont la Force. Les chroniques du chanoine Tarde évoquent le pillage réciproque auquel se livrent les bastides de Monpazier et de Villefranche-du-Périgord en 1577 [17]. À peine le conflit religieux s’éteint-il (l’édit de Nantes est signé en 1598), que des révoltes paysannes s’y substituent au début du 17e siècle, puis les échos de la Fronde. Un des épisodes les plus tristement célèbre de ces troubles reste sans doute le supplice que subit Buffarot, chef éphémère d’une bande de "croquants", écartelé sur la place des Cornières en 1637. Dans la bastide, la part croissante de protestants parmi les habitants amène la création d’un couvent de l’ordre des Récollets en 1644 : ces derniers s'emploient, par des prêches, à diffuser les idées de la Contre-réforme initiée par l’église catholique. Un compromis pour la création du couvent est signé le 30 mai 1644 entre les consuls, les chanoines et l’ordre (déjà implantés à Bergerac, Périgueux, Thiviers et Sarlat). Les religieux bâtissent leur couvent au cœur de la bastide, à l’aide des quêtes effectuées parmi les habitants mais aussi grâce à une pension annuelle versée par le seigneur de Biron (il s’agit là pour lui de racheter son soutien trop évident en faveur des protestants) [18]. Les Récollets ne parviennent cependant pas à endiguer la pratique du culte réformé, que la destruction du Temple en 1671 [19] et la mise en garnison de troupes chez les habitants (1672) tentent d’interrompre de manière plus radicale. La religion catholique n’est pas totalement délaissée et on compte d’ailleurs, dans la bastide, la présence d’une confrérie des Pénitents Blancs [20].

Au 18e siècle la ville, déjà affaiblie au siècle précédent, apparaît sur le déclin. Les consuls se dessaisissent progressivement de biens communautaires au profit des particuliers pour en retirer des revenus immédiats (ruelles aliénées, fossés affermés) ; ils entérinent aussi la démolition de l’enceinte et constatent le délabrement d’édifices publics (prison en piteux état, halle dégradée, hôtel de ville inexistant). Les procès et doléances engagés entre la Jurade, le seigneur et la sénéchaussée royale par rapport à leurs devoirs respectifs donnent l’image d’une ville désormais "figée" [21], dont on connaît assez précisément l’organisation et les revenus [22]. La population, forte d’un peu plus de 1500 âmes en 1760 [23], subie de plein fouet les famines répétées et les lourds impôts collectés par l’État à cette époque. C’est dans ce contexte qu’une maison de charité est construite : les chanoines, légataires d’un terrain et d’une maison dans la bastide, autorisent la communauté des Dames de la Miséricorde à y établir un hôpital et un orphelinat, et développent une manufacture de tissus. L’un des artisans les plus actifs de cet établissement, dont l’ampleur est parfaitement résumée par une visite de 1775 [24], est Barthélémy de Laborie du Pourteil. La Révolution venue, cet archiprêtre et chanoine de Monpazier se bat corps et âme pour que l’œuvre dans laquelle il a investi ses efforts et une part de sa fortune personnelle demeure [25].

Monpazier, belle endormie (fin du 18e – 20e siècles)

La manifestation la plus visible de la Révolution Française à Monpazier est sans doute la nationalisation et la vente des biens du clergé [26]. Le couvent des Récollets est supprimé et l’institution, qui ne semble pas avoir hébergé plus d’une dizaine de moines au 18e siècle dans un édifice apparemment vétuste [27], voit ses membres dispersés en 1791. Les biens des chanoines, notamment la maison du chapitre mais aussi des parcelles de terres, sont également concernés. Quelques troubles émaillent cet épisode – insurrection, rixe entre royalistes et républicains, assassinat, vol de la recette [28] –, mais globalement le calme demeure. Monpazier, dont le projet de réunion avec les communes voisines échoue [29], est désignée comme chef-lieu de canton... à défaut d’obtenir la direction du district (qui échoit à Belvès) ; la bastide est dotée des attributs inhérents à sa fonction – brigade de gendarmerie, perception – mais reçoit également le siège d’un tribunal de justice de paix. Les nombreuses archives conservées pour les 19e et 20e siècles montrent que, localement, Monpazier joue véritablement le rôle d’une petite ville à l’égard des villages et hameaux qui jalonnent le canton. La variété des métiers que recense le cadastre de 1845 [30] – sabotier, charpentier, maçon, charron, aubergiste (14 !), boulanger, mais aussi des chapelier, cafetier, épicier, notaire, huissier, perruquier, vétérinaire, pharmacien, etc. – atteste la présence de nombreux artisans et marchands. Toutefois, la bastide ne rayonne plus que sur un territoire très réduit. Et pour cause, elle ne profite d’aucun des aménagements qui contribuent à désenclaver certains territoires à l’heure de la révolution industrielle (chemin de fer, navigabilité du Dropt, etc.). La déprise rurale est importante entre 1850 et 1950, Monpazier perdant alors environ la moitié de ses 1130 habitants.

Dans le même temps, la protection du patrimoine communal, redécouvert depuis peu, s’amorce. C’est à un archéologue périgourdin, Félix de Verneilh, qu’on doit une des premières études architecturales en 1847 [31]. L’auteur signale entre autres l’excellente conservation du plan régulier. Pour lui, il s’agit là du plan de bastide idéal, certainement le plus abouti. En 1856, Eugène Viollet-le-Duc loue à son tour la « si parfaite régularité et ordonnance » de la bastide dans plusieurs articles de son célèbre Dictionnaire raisonné de l’architecture française. La reconnaissance du caractère patrimonial de Monpazier est à l’œuvre, alors que dans d’autres bastides le progrès pousse à détruire certaines constructions anciennes. L’église Saint-Dominique est le premier édifice à faire l’objet d’une protection au titre des Monuments Historiques, dès 1862. Il faut attendre plus de quarante ans pour que la place des Cornières bénéficie à son tour de mesures de sauvegarde : quinze des maisons qui la bordent sont classées en 1904 sur les vingt-trois existantes. Viennent ensuite le classement de la halle et du sol de la place en 1960, puis de deux autres maisons en 1961. Enfin, en 1962, six maisons font l’objet d’une simple inscription de leur façade et de la toiture correspondante (une protection moins contraignante que le classement), tout comme l’avait été l’ancienne "grange aux Dîmes", dite "maison du chapitre", en 1929, les portes fortifiées en 1936 et la tour est des remparts en 1961. En 1990, enfin, un Secteur sauvegardé est créé de manière à apporter une protection homogène de la bastide ; il complète le site inscrit, chargé de maintenir la qualité du patrimoine naturel dans les communes bordant Monpazier.

Aujourd’hui, même si la commune a su préserver un commerce et un artisanat local dynamiques, elle ne s’anime réellement qu’à la belle saison : destination touristique importante, dont la réputation est assise sur un patrimoine bâti remarquable, Monpazier rêve son avenir en s’appuyant sur son passé.

Notes :

[1] Voir à ce sujet les découvertes et les collections du Groupe archéologique de Monpazier, aujourd’hui hébergées dans le Bastideum, et les cahiers édités par l’association.

[2] Quelques monnaies, les tesselles d’une villa présumée sur la commune de Saint-Cassien, etc. Aucune fouille d’envergure ni prospection méthodique n’a livré d’état des lieux précis des vestiges archéologiques du canton. Pour une publication de synthèse, voir GAILLARD Hervé, 1997.

[3] Colloques de la vallée du Drop, focus sur les articles d’IGNACE et LABORIE.

[4] BERTHE Maurice, 1990.

[5] BNF. Fonds Périgord T47, f°49.

[6] Le contrat de paréage n’est pas conservé, mais une Notice sur la fondation de Monpazier rédigée en 1769 en récapitule la teneur : BNF. Fonds Périgord T47, f°48.

[7] Archives Historiques du Département de la Gironde, 1868, p.99 TOME 10

[8] Ibid.

[9] Trabut-Cussac Jean-Paul. "Itinéraire d’Edouard 1er en France, 1286-1289". Bulletin of the Institute of historical research, t.25. 1962, p.160-203.

[10] BNF. Fonds Bréquigny, t.14. Rôles gascons, t.2, n°1403.

[11] BNF. Rôles Gascons, t.3, n°2136 et n°4790.

[12] Higounet-Nadal, Dénombrement du Périgord, un dénombrement des paroisses et des feux de la Sénéchaussée du Périgord en 1365, Bulletin du CTHS, 1962-1965, Paris, p.344

[13] Le docteur l’Honneur synthétise parfaitement ces épisodes et récapitule les seigneurs successifs auxquels la bastide est confiée. L’HONNEUR Régis, Logis, gens et faits d’autrefois, vers 1950.

[14] La tradition orale perpétue par exemple l’idée selon laquelle seuls 10 habitants auraient survécu à une épidémie de peste en 1492.

[15] Capdrot est le siège d’un archiprêtré, dont les origines sont mal connues, érigé en collégiale dès 1318 par le Pape Jean XXII : LABAT (abbé), "La collégiale de Monpazier", Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, t. II, Périgueux, 1875, p. 28-31

[16] Ces procès, relatif aux projets du chapitre, s’achèvent en 1506. Voir : MAUBOURGUET J.-M., 1988.

[17] TARDE Jean, 1887.

[18] L’installation des Récollets, et les activités des ordres religieux de Monpazier en général, sont documentés par le Fonds de Pourquery déposé aux archives municipales de Bergerac. Une étude en détaille les pièces principales : CHARRIER Gustave. « Pièces relatives aux diverses communautés religieuses de Monpazier ». Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord. Périgueux : 1896. p.214-231.

[19] Après qu’un arrêt du parlement de Bordeaux en ait demandé la destruction dès 1645.

[20] CHARRIER Gustave, 1896, p.218-220.

[21] PONS Jacques. La bastide de Monpazier, document final de synthèse. 1997. p.138.

[22] Voir à ce sujet la série C des archives départementales de la Gironde.

[23] Correspondance de Lacam à l’intendant du 17 mars 1760 (AD.33 C.474, pièce n°14).

[24] Archives municipales de Bergerac : Fonds Pourquery. CHARRIER Gustave, 1896, p.223-230.

[25] Ibid. et AD.24 Q.313.

[26] Archives départementales de la Dordogne, Q 422.

[27] AD.24 Q.313

[28] Archives départementales de la Dordogne, 1 L 400 - 404.

[29] Archives départementales de la Dordogne, 1 M 39.

[30] AD.24, 63 P 1671 : état des sections du cadastre de 1845.

[31] VERNEILH Félix, 1848.

La commune de Monpazier, dont la superficie avoisine les 53 hectares (une des plus petites surface communale du département de la Dordogne), est presque réduite à l'emprise de la bastide. Elle compte 506 habitants au recensement de 2012. Monpazier est néanmoins chef-lieu d’un canton de treize communes, qui regroupe presque 2 300 habitants dans un territoire de 145 km² situé à l’extrême sud de l’arrondissement de Bergerac. La commune est bordée au nord par celle de Marsalès, à l’est et au sud par celle de Capdrot, à l’ouest enfin par Gaugeac.

Le territoire communal affecte une occupation du sol très inégale : la bastide (23 hectares), à l’architecture dense et organisée, est massée sur un promontoire bordé de dépressions sur trois de ses côtés : la vallée du Dropt au sud ainsi que deux vallons latéraux dont le fond est parcouru de ruisseaux. Le coteau qui borde la bastide du côté du midi (Croix blanche) et à l’ouest (Douele sud) abrite encore quelques pâtures recoupées de haies, ainsi qu’un bâti clairsemé. Au nord (Douele nord), le plateau abrite une extension récente du bourg historique qui prend notamment la forme de lotissements.

Localiser ce document

Chargement des enrichissements...