Les constructions mécaniques. In : Images de Charente. Paris, 1964, p. 108-109.
S'il fallait classer Somecour (Société de Constructions Mécaniques de La Couronne) dans une catégorie d'exploitations industrielles, nous dirions que ses activités relèvent d'une forme spéciale de la mécanique puisque aucune d'elles ne concerne des fabrications qui atteignent ou peuvent espérer atteindre la série. Dans ses ateliers sont en effet élaborés et réalisés :
- Des montages d'usinage, c'est-à-dire des ensembles mécaniques destinés à présenter et maintenir en place, face au porte-outil de machines (tours, fraiseuses, perceuses, aléseuses, etc.), des pièces à usiner ;
- Des éléments de machines-transfert, c'est-à-dire certains ensembles (automobiles) destinés à l'exécution en chaîne d'un cycle d'opérations diverses automatiquement programmé ;
- Des pièces mécaniques, exécutées en nombre réduit, qui exigent des soins particuliers dans leur usinage, ajustage et assemblage, comme certains éléments de constructions aéronautiques ou maritimes.
Ainsi apparaît immédiatement la structure de l'usine qui, pour ses moyens de mise en oeuvre, doit posséder :
- Des machines-outils de grande précision, mais de caractère universel de façon à pouvoir répondre immédiatement aux utilisations multiples que l'on peut attendre d'elles ;
- Un personnel d'exécution hautement qualifié rompu à toutes les disciplines de la mécanique.
L'organisation technique ne peut que s'appuyer sur un service de " méthodes ", un service d' " ordonnancement " et un service de " contrôle et métrologie ". Le service de méthodes doit analyser les plans qui lui sont soumis, établir les gammes d'usinage, et surtout chiffrer avec exactitude les temps d'exécution : il est bien évident qu'en de telles fabrications ce ne sont pas les matières premières qui influent en premier chef sur les prix de revient, mais les temps d'usinage réel qui sont parfois dépassés par les temps de préparation à l'usinage. Somme toute, on peut dire que Somecour ne vend pas le produit fini, mais la somme d'heures nécessaire à son élaboration et son achèvement.
Quant à l'organisation administrative, elle s'appuie surtout sur une comptabilité analytique des prix de revient, très poussée, qui permet un contrôle mensuel efficace de la gestion. En ce qui concerne la clientèle, il est indispensable qu'elle soit vaste, car il faut comprendre qu'elle peut être fidèle sans pour autant passer des commandes en permanence. Il est bien évident qu'une firme automobile qui se prépare à lancer sur le marché un nouveau modèle sollicitera une quantité considérable de montages d'outillages, mais que ses besoins seront provisoirement taris dès la mise en marche de ses chaînes de fabrications.
Pour situer exactement l'importance actuelle de la firme, donnons quelques précisions relatives à ces considérations :
Fin 1963, le personnel comprenait 108 membres dont 79 ouvriers, 12 employés, 4 préparateurs aux méthodes, 2 dessinateurs, 6 agents de maitrise et 5 cadres.
La clientèle se recrutait dans tout l'éventail des activités nationales. Citons :
- Dans le domaine de l'automobile : Citroën, Peugeot, Simca ;
- Dans le domaine de la machine-outil : les Établissements H. Ernault-Somua pour les usines de Paris, Lisieux et Moulins, les Fraiseuses Rouchaud et Lamassiaude de Limoges, les Tours Ramo à Niort, les Établissements Amtec-France de Lyon (tours automatiques, licence New-Britain et Gridley - U.S.A.), le Centre d'études et de Recherches pour la Machine-Outil (C.E.R.M.O.) à Paris ;
- Dans le domaine de l'aviation : Sud-Aviation à Rochefort, les réacteurs Turboméca à Pau, les Établissements Messier (trains d'atterrissage) à Oloron-Sainte-Marie, les Établissements Potez à Toulouse et la Société d'Exploitation des Établissements Morane-Saulnier.
- Dans le domaine de la marine : la Fonderie Nationale de Ruelle, les Ateliers de Pyrotechnie maritime de Toulon et les Ateliers et Chantiers de La Rochelle-Pallice ;
- Dans le domaine de l'électricité : la Société d'Accumulateurs Fixes et de Traction (S.A.F.T., usines d'Angoulème et de Bordeaux) et la Pile Leclanché à Chasseneuil du Poitou ;
- Enfin, dans les domaines divers : la Société Trayvou (construction d'appareils de mesure) à Lyon et les Papeteries charentaises et du Sud-Ouest.
Cette énumération serait incomplète si l'on ne citait pas un projet - dont l'étude est maintenant terminée - de construction propre à Somecour mais qui se situe en marge des activités traditionnelles de la firme : il s'agit de la fabrication de machines à plier, coller et compter les enveloppes avec mise automatique sous bande, par paquets. Cette machine, capable d'un rendement oscillant entre 8 000 et 10 000 unités à l'heure semble, selon les sondages de marché récents, avoir un avenir assuré, non seulement en France, mais encore dans de nombreux pays étrangers.
Tout ce qui vient d'être dit atteste incontestablement la vitalité de Somecour. Les activités ne devraient maintenant que s'accroître en raison des tendances de plus en plus poussées vers l'emploi de machines automatiques et de la faveur dont jouissent certaines sous-traitances dans le domaine industriel.
Mais ce résultat n'a pas été acquis sans difficultés. A ce propos, l'historique de la firme offre un magnifique exemple de reconversion économique réalisée grâce au seul courage d'une équipe d'ouvriers et d'employés animée par un homme dynamique et profondément réaliste, M. David, administrateur-directeur.
Entre 1946 et 1953, les bâtiments de La Couronne abritaient, en effet, une fabrique de tours semi-automatiques appartenant à la Société Noël Ernault. Les conditions économiques de l'époque poussaient irréversiblement de telles productions vers un regroupement industriel. C'est ainsi qu'en 1953 le groupe Somua absorba la firme Ernault et sembla se désintéresser des installations charentaises dont le maintien en activité ne s'imposait nullement en son sein. Ainsi, par la force des choses, un personnel d'une quarantaine d'individus allait se trouver licencié sans grand espoir, en ce bourg, de retrouver une embauche nouvelle.
Les choses semblèrent prendre un tour favorable quand, en 1954, M. Vella, de retour d'Indochine où il était armateur, racheta l'usine sur la foi d'une promesse de rapatriement de fonds qui devait assurer les capitaux nécessaires. Ainsi est née Somecour dont l'activité devait désormais être consacrée aux fabrications d'outillages. Le siège social était fixé à La Couronne, le service commercial et la direction générale à Paris, tandis que M. David assurait sur place la responsabilité du service administratif.
Hélas ! L'éloignement du service commercial dans une affaire naissante ne manqua pas de créer un certain flottement dans le fonctionnement et la coordination des services de direction générale et d'exécution. Par ailleurs, l'Office des changes de Saigon, passé entre-temps sous la direction du Sud-Vietnam, n'honorait pas les promesses faites quant au rapatriement des fonds en provenance d'Indochine. La situation se révéla donc catastrophique avec un passif de 150 millions de francs, en 1956, et un actif se bornant en la foi d'une quarantaine de personnes qui avaient espéré un travail stable et qui se retrouvaient, non sans angoisse, devant une nouvelle menace de chômage.
A cette époque, c'est-à-dire en 1956, une décision radicale fut prise par M. Vella : le service commercial était installé à La Couronne, une unité de direction était assumée en la personne de M. David qui obtenait pleins pouvoirs. Le nouvel administrateur-directeur, accompagné de son chef de fabrication, M. Laurier, effectua lui-même la prospection de la clientèle ; ne pouvant compter sur des apports d'argent frais, il prit des accords avec les créanciers et en particulier avec les administrations privilégiées du département. Il sollicita et obtint de grand coeur le concours de son personnel.
Il sut convaincre et inspirer confiance. Aussi incroyable que cela puisse paraître, à force de volonté, de courage, souvent même d'abnégation, la situation se redressa. Voici d'ailleurs quelques étapes de son redressement :
- En 1960, l'usine occupait 57 personnes et réalisait un chiffre d'affaires de 1 292 000 francs ;
- En 1961, l'effectif passait à 79 personnes et le chiffre d'affaires augmentait de 46,06 % par rapport à l'année précédente ;
- En 1962, le personnel atteignait 104 membres avec un accroissement du chiffre d'affaires de 44,64 % par rapport à 1961.
En sept années, non seulement une somme de 1 200 000 francs de dettes a été amortie, mais un montant égal a été investi en matériels afin de pouvoir assurer le respect des commandes croissantes qui étaient enregistrées et dont l'exécution dans de bonnes conditions permettait un apurement sérieux des dettes. En 1965 le passif sera amorti et des perspectives nouvelles pourront s'offrir encore plus aisément à la direction de l'entreprise.
En raison de l'effort commun soutenu par la direction et le personnel, il va sans dire que le climat social qui règne à Somecour est excellent. Tout le personnel est tenu au courant de la marche de la Société et des résultats de gestion. Section par section d'usinage, il lui est permis de se rendre compte des rendements et de leurs incidences sur les prix de revient : chacun peut ainsi se convaincre de la répartition judicieuse des salaires qui atteignent d'ailleurs des taux particulièrement rémunérateurs. Syndicat et comité d'entreprise jouent leur rôle normal. Ce dernier gère cantine, mutuelle chirurgicale et caisse de secours créée pour les cas de congés-maladie ou d'accidents du travail. Car la solidarité en ce lieu n'est pas un vain mot. Nous avons appris qu'il y a quelques années, aux heures les plus sombres, le fruit de nombreux efforts cependant déjà accomplis menaçait d'être détruit par l'impossibilité d'assurer le solde du financement d'une machine à pointer absolument indispensable aux travaux de précision quotidiens. Alors les ouvriers et employés s'étaient cotisés spontanément et avaient offert leur collecte à la direction : 2 800 000 anciens francs ont été réunis en moins de quarante-huit heures, et la menace était écartée...
Nous l'avions dit, l'oeuvre accomplie est bien celle d'une équipe.