Enceinte médiévale de Saint-Emilion

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Faute de texte précis, on ne sait si ce chantier de l’enceinte a pu être engagé avant la reconnaissance officielle de la commune par le roi d’Angleterre Jean Sans Terre en 1199 ou s’il lui est de peu postérieur. On sait en revanche que cette enceinte est en place (ou du moins bien avancée) en 1224 lorsque le roi de France Louis VIII promet aux habitants de "ne pas amoindrir la clôture de la ville". Le commanditaire de cette enceinte reste également inconnu. Néanmoins, il est très probable que ce soient les Saint-Emilionnais eux-mêmes car la particularité de cette muraille est d’être constituée par le mur arrière des maisons qui a ainsi une triple fonction défensive, domestique et symbolique.

Périodes

Principale : limite 12e siècle 13e siècle

Principale : limite 13e siècle 14e siècle

Secondaire : limite 15e siècle 16e siècle

Présentant une forme en amande, cette enceinte délimite un espace de 13 hectares. Sur les 1500 m de son périmètre, environ 600 m sont aujourd’hui conservés. Son tracé suit le plus souvent les orientations de la voirie, à l’exception du front occidental, entre les portes Saint-Martin et Bourgeoise, où l’enceinte coupe le parcellaire en diagonale, y compris l’angle nord-ouest du portail de l’église collégiale. Cela signifie que l’enceinte est donc postérieure à la mise en place de la trame urbaine de la ville sans que l’on puisse déterminer avec précision à quand remonte cette dernière. Probablement le développement de la ville, au moins sur le plateau, est-il consécutif au lancement du chantier de la collégiale vers le milieu du 12e siècle. Seule une partie du lotissement nord est donc intégrée dans l’enceinte. De même, le quartier de la Madeleine, au sud de la ville, a lui aussi été délibérément exclu du périmètre de cette enceinte.

Une enceinte constituée par les maisons elles-mêmes

Cette enceinte se présente comme une succession de maisons mitoyennes dont les caractéristiques architecturales sont similaires à celles des demeures romanes situées à l’intérieur de la ville (voir dossier de synthèse sur les maisons médiévales), à commencer par les nombreuses fenêtres qui mettent à mal le potentiel défensif de la muraille. Cette dernière est renforcée par de nombreux contreforts plats dont certains abritent des cabines de latrines et d’autres permettent d’installer des escaliers dans l’épaisseur de la maçonnerie. Malgré un vocabulaire commun, chaque maison se distingue par ses formes : certaines sont de plain-pied et d’autres ont un étage, certaines présentent leur pignon quand leurs voisines étendent leur mur gouttereau à l’aplomb de l’escarpe rocheuse.

Le mur de ces maisons formant la portion d’enceinte, haut de 7 à 11 m selon les édifices, a une épaisseur comprise entre 1,10 et 1,50 m, contre une soixantaine de centimètres pour les autres murs. Il est couronné par un chemin de ronde crénelé, par endroits laissé à l’air libre et ailleurs intégré aux combles des maisons. Certains de ces combles étaient en encorbellement sur le sommet de l’enceinte et formaient alors des hourds (maison 1 place du Chapitre-des-Jacobins) qui, au besoin, permettaient d’assurer la défense des portes et fenêtres percées aux niveaux inférieurs. Ce mur d’enceinte apparaît donc fractionné en autant de portions de chemins de ronde que de maisons, parfois à des hauteurs proches, mais le plus souvent avec de grandes différences de niveaux. On observe ainsi sur le front oriental de la ville des décalages de plus de 2,50 m entre certaines portions contigües de chemins de ronde ; ce qui devait rendre la continuité du cheminement compliquée, voire impossible. Cela impliquait très certainement que chaque bourgeois assure la garde de "sa" portion d’enceinte, probablement sous l’autorité du jurat dont relevait le secteur, comme c’était alors le cas à Bordeaux.

Les portes

Au moins six portes publiques donnent accès à la ville : les portes Bourgeoise, du Chapitre, Saint-Martin, de la Madeleine, Bouqueyre et Brunet. Alors qu’elles étaient encore toutes conservées au début du 19e siècle, seule la dernière, la porte Brunet, nous est parvenue. Cette modeste tour, large de 9,50 m pour 3,90 m de profondeur, surmonte un passage vouté dont la protection est assurée par un assommoir et deux lourds vantaux de bois. Les dessins et plans anciens qui documentent les autres portes décrivent des constructions du même type, voire plus modestes encore comme la porte du Chapitre, qui n’était qu’une simple ouverture percée dans la muraille.

En avant de la porte Brunet, un massif rocheux a été réservé au centre du fossé pour porter une barbacane, formant un sas intermédiaire entre la ville et la campagne. Ses soubassements ont été mis au jour lors de récentes fouilles archéologiques. Il s’agissait d’un châtelet rectangulaire, fermé par une porte à chaque extrémité et prolongé par deux tours du côté de la campagne. Cette barbacane était reliée à la ville et à la campagne par deux ponts qui, à l’origine, étaient en bois. Un dispositif similaire est décrit par un texte ancien en avant de la porte Bourgeoise. Des massifs rocheux réservés au centre du fossé sont également connus pour les portes du Chapitre et Saint-Martin à l’ouest de la ville.

Alors que le front oriental est aujourd’hui dépourvu d’accès, un texte du 14e siècle permet de localiser une autre porte, appelée "poterne Renaud" du nom d’une importante famille bourgeoise saint-émilionnaise de l’époque. Cette 7e porte publique prenait place au centre de l’enceinte orientale, dans le prolongement de l’actuelle impasse Groulette qui était alors une rue à part entière. Située à mi-distance entre les portes Bourgeoise et Brunet, elle formait le pendant de la porte du Chapitre sur le front ouest.

Le fossé

Le principal élément défensif est en définitive le fossé qui ceinture, aujourd’hui encore, presque toute la ville ; sauf aux abords de la place Bouqueyre, où il est comblé depuis le 18e siècle. Taillé dans la roche, ce fossé a une largeur constante d’une vingtaine de mètres et sa profondeur était à l’origine comprise entre 8 et 10 m. Le volume de pierre extrait lors de son creusement a dû largement contribuer à la construction des maisons romanes de la ville. Ce fossé a toujours été sec ; il n’y a donc pas de douves au sens propre (fossés en eau) à Saint-Émilion, contrairement à ce que laisse penser l’appellation traditionnelle de "rue des Douves" qui correspond au chemin empruntant le fond du fossé sud-ouest de la ville.

Au quotidien, ce fossé accueillait de nombreux jardins et servait très certainement de voie de contournement pour accéder à certaines maisons de l’enceinte qui disposent de portes privées percées à la base de la muraille. Ce cheminement périphérique facilitait le transit des marchandises en évitant ainsi les petites rues de la ville. L’accès au fossé devait se faire par des plans inclinés en bois qui étaient démontés en cas de guerre pour rendre à cette espace sa fonction défensive. Cependant, ces maisons dotées d’accès privatifs sur l’extérieur représentaient un point faible pour la défense collective. Il est probable qu’à l’instar de Bordeaux, des règlements imposaient de les murer en cas de guerre.

Quelques modifications durant la guerre de Cent Ans

Après l’âge d’or du 13e siècle durant lequel la ville a largement débordé de son enceinte romane, Saint-Émilion voit sa prospérité se tasser dès le début du 14e siècle, entre autres du fait du développement de la bastide voisine de Libourne. Alors que la plupart des villes de la région lancent dès le début du 14e siècle de grands chantiers d’extension de leurs enceintes, Saint-Émilion n’en a visiblement plus les moyens. Faute de pouvoir défendre les quartiers hors-les-murs, la jurade ordonne tout bonnement leur démolition entre 1338 et 1341. Ce choix radical est destiné à faire place nette en avant de l’enceinte romane, afin d’empêcher l’ennemi d’approcher à couvert et de s’abriter dans les bâtiments construits au-delà du fossé. Cette décision balaye, en l’espace de quelques mois, plus d’un siècle de croissance urbaine. Elle est également l’un des premiers indices du retournement de conjoncture ; une ville prospère n’aurait pas manqué d’investir dans de nouvelles défenses. Parmi les rares bâtiments épargnés, figurent au sud de la ville la chapelle de la Madeleine (peut-être jugée trop modeste et trop éloignée de l’enceinte pour représenter un danger), et au nord de l’enceinte la nouvelle église du couvent des dominicains, dont la construction venait juste de débuter. Le mur nord de la future nef, appelé aujourd’hui les "Grandes Murailles", témoigne encore de cet ambitieux projet resté à jamais inachevé.

Une fois la ville isolée de la campagne, la jurade concentre ses moyens financiers au renforcement des défenses existantes. Faute de ressources suffisantes, elle ne peut engager des travaux d’envergure, comme la construction de tours qui auraient permis d’assurer un flanquement efficace des murailles. Les travaux de mise en défense de la ville ont principalement concerné les abords des portes avec deux grands types d’aménagements : la création de portions de chemins de ronde sur mâchicoulis et la construction ou le renforcement de plateformes ou tourelles en plusieurs points de l’enceinte. Le chantier le plus important semble avoir concerné la porte Bourgeoise, au nord de la ville, où les deux portions attenantes de l’enceinte sont reprises. Le nouveau mur est entièrement conçu pour la défense. Les seules ouvertures consistent en deux archères qui contrastent nettement avec les fentes de jours du "Palais Cardinal" voisin et mettent en exergue la quasi-absence de vocation défensive de l’enceinte romane. Tout au long du front occidental, des portions de l’enceinte sont partiellement reconstruites (au nord du "Logis Malet" et de la maison aux abords de la porte Saint-Martin) ou entièrement reprises (maison aux abords de la porte du Chapitre) et reçoivent un chemin de ronde sur mâchicoulis.

À défaut de pouvoir engager la construction d’imposantes tours de flanquement, la jurade fait réaliser de modestes plateformes qui, sur quelques mètres, permettent d’élargir ponctuellement le chemin de ronde. Prenant la forme de gros contreforts, ces aménagements ont été implantés de part et d’autre des principales portes. (maison rue des Anciennes-Écoles, autre maison intégrée depuis au couvent d'Ursulines, maison impasse des Cordeliers, et maison impasse Cardinal). Au sud de la porte Brunet, l’une de ces plateformes, appelée aujourd’hui la "tour du Guetteur", présente l’aménagement défensif le plus élaboré de la ville. Son soubassement est évidé d’une archère sous niche et le rez-de-chaussée renferme une salle dotée de deux petites archères. Cette modeste tour implantée sur la rupture de pente a une triple fonction : surveiller les abords de la porte Brunet au sud-est, veiller aux accès à la ville basse depuis le sud et enfin, établir la liaison entre deux niveaux de chemins de ronde présentant un décalage important. Ainsi, le rez-de-chaussée de cette tour côté ville haute communique directement avec le chemin de ronde au sommet de l’enceinte qui descend vers la ville basse.

Paradoxalement, alors que les jurats saint-émilionnais s’attachent à améliorer tant bien que mal la protection de la ville, certains bourgeois n’hésitent pas, dans le même temps, à ouvrir de larges fenêtres dans les murailles. Les vestiges de deux grandes baies gothiques, pour une maison donnant place du Chapitre et une autre maison rue de l'Abbé-Bergey, percées au 14e siècle dans l’enceinte romane, rappellent ainsi la fonction principale de ces bâtiments qui restent avant tout domestique et résidentielle.

Murs
  1. Matériau du gros oeuvre : calcaire

    Mise en oeuvre : pierre de taille

  2. Mise en oeuvre : moyen appareil

Toits
État de conservation
  1. restauré

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Gironde , Saint-Émilion

Milieu d'implantation: en ville

Cadastre: 1845 C, 2010 AP

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