Bourg et port de Saint-Seurin-d'Uzet

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Le port avant le port

Le port de Saint-Seurin-d'Uzet se développe probablement à partir du Moyen Age et de l'envasement progressif des vallons situés en bord d'estuaire, dont celui qu'irrigue la rivière du Juliat en amont du port. Les pêcheurs de Saint-Seurin-d'Uzet sont mentionnés en 1479 : ils doivent alors verser une redevance à Marguerite de Sainte-Maure, dame de Saint-Seurin, pour pouvoir exercer leur activité. L'année suivante, la même dame de Saint-Seurin, qui commence à faire reconstruire son château, s'engage à faire construire des maisons et des chais pour accueillir les personnes et marchands qui viennent aborder au port.

Au milieu du 16e siècle, le port de Saint-Seurin-d'Uzet compte, plus encore que celui de Mortagne, parmi les principaux lieux de cabotage de l'estuaire, d'où des bateaux partent au service notamment du port de Bordeaux. Saint-Seurin fait partie des ports saintongeais par lesquels transitent les céréales ou encore le salpêtre produit à Bordeaux et exporté vers le nord. D'autres bateaux participent même aux premières campagnes de pêche à Terre-Neuve. En 1554, un arrêt du parlement de Bordeaux exonère de tous droits le sel, les huîtres, les moules, les sardines et autres vivres pris dans la châtellenie de Saint-Seurin. En 1595, un acte mentionne un certain Gouin, constructeur de navires. En 1606, Thomas Guillot est hôtelier sur le port.

En 1643, un aveu de la seigneurie de Saint-Seurin indique que le bourg est déjà établi au pied du château. Le port prend son essor aux 17e et 18e siècles, époque à laquelle le bourg de Saint-Seurin-d'Uzet, initialement situé sur la hauteur derrière le château, est déplacé en contrebas, à proximité de l'estuaire. Pêcheurs, marins, artisans, laboureurs, marchands, charpentiers de navire, pilotes de navire, tonneliers, maréchaux-ferrants, etc composent la population du port. En 1686 par exemple, Ezechiel Poitiers est pilote de navire. En 1789, Louis Gouin est constructeur de navires. Plusieurs maisons comprennent aujourd'hui encore des éléments qui semblent remonter à cette époque.

Le port et le bourg figurent sur une carte des environs établie par l'ingénieur Claude Masse vers 1700. Claude Masse en établit par ailleurs un plan où l'on observe déjà le bourg étiré d'une part le long de la rue principale montante, d'autre part de chaque côté du moulin à eau, en particulier vers le château. L'église actuelle n'apparaît pas encore sur ce plan : elle sera construite peu après. La vieille église paroissiale, située au lieu-dit le Vieux Bourg, est reliée au nouveau bourg par un chemin qui traverse le parc du château. Le chenal est bien plus court qu'aujourd'hui. Sinueux, difficile d'accès, il n'est emprunté, explique Claude Masse, que par des barques, les plus gros bateaux restant au mouillage au large.

Une grande partie de l'espace sur la rive gauche du port, jusqu'aux abords des maisons, est alors inondable, soumis au flux et au reflux de l'estuaire de la Gironde, tout comme le terrain qu'occupe l'église actuelle. C'est pourtant sur ce terrain que l'église est construite à partir de 1703, avec le cimetière autour (la première inhumation y est pratiquée le 14 mai 1710, pour René Moufflet). Les tempêtes et les inondations sont pourtant fréquentes. Le 29 janvier 1645, une telle tempête emporte des maisons à Saint-Seurin comme à Talmont, en Oléron, Ré et à La Rochelle. Celle de 1784 endommage le château et arrache des arbres utilisés comme repères pour la navigation.

La situation du port perdure jusqu'au début du 19e siècle. En 1832, le plan cadastral de Saint-Seurin-d'Uzet montre cependant que l'envasement des deux rives du chenal a commencé : l'église, entourée du cimetière, est établie en limite de prairies sur la rive droite, et un grand terrain triangulaire, propriété communale, occupe la rive gauche, au devant d'une rangée de jardins qui précède les maisons. L'estuaire continue toutefois à exercer son influence directe, notamment sur la rive droite où aucune construction n'existe encore au-delà de l'église.

Les aménagements du 19e siècle

En 1834, afin de limiter les inondations qui menacent sans cesse le bourg, la chaussée qui enjambe le Juliat au niveau du moulin à eau est reconstruite et surélevée. Le nouveau pont est équipé de parapets en 1839 (il sera reconstruit en 1891). Les habitants et les autorités de Saint-Seurin-d'Uzet veulent toutefois plus. Dès 1834, ils demandent à ce que le port soit compris dans les établissements maritimes entretenus par l´Etat, et de ce fait concerné par les grands travaux d'amélioration des ports de la rive droite de l'estuaire que l'Etat envisage de réaliser. La commune de Saint-Seurin ne peut supporter le coût des travaux nécessaires, ayant déjà beaucoup investi dans la construction du pont.

Le 12 juin 1836, répondant à cette demande, l´ingénieur ordinaire des Ponts et chaussées Lessore présente un projet d'amélioration du port de Saint-Seurin, appuyé par l´ingénieur en chef des travaux maritimes de Charente-Inférieure, Lescure-Bellerive, dans un rapport du 11 août. Le plan de Lessore montre le chenal, long de 340 mètres à partir du moulin et jusqu'au bord de l'estuaire à marée basse. Tortueux, obliquant vers le sud, ce chenal doit être redressé vers le nord. Des quais seront établis sur les deux rives, en aval du moulin pour l'un, devant l'église pour l'autre. On envisage aussi de racheter le moulin pour construire à la place une écluse de chasse (de la même manière qu'à Port-Maubert et à Mortagne). Dès 1837, le prix d´achat du moulin étant trop élevé et l´enjeu ne valant pas son expropriation, Lessore propose finalement de s´en tenir à un redressement du chenal, à la construction de quais et d´une cale d´abordage en pierre, et à la plantation de pieux d´attache en bois. La pierre de taille utilisée proviendra des carrières de Saint-Savinien-sur-Charente.

Le 10 décembre 1838, après bien des discussions, l´ingénieur en chef Lescure-Bellerive établit le projet définitif, approuvé le 23 mars 1839. Il consiste en un redressement, élargissement et approfondissement du chenal, en l'établissement de trois appontements en charpente, en la construction d´un escalier en maçonnerie en aval de la tête du chenal, en l'empierrement des quais et en l'établissement de bornes d´amarrage. Les travaux sont adjugés le 7 octobre 1840 à Pierre Marion, entrepreneur, pour un total de 25554 francs. En 1841, la rangée de jardins située devant les maisons de la rive gauche est achetée par l'Etat pour faciliter les travaux. Ces derniers sont réceptionnés le 29 novembre 1844. En 1847, des ormeaux sont plantés sur la place triangulaire de la rive gauche du nouveau port. La même année, une jetée et un musoir en pierre sont construits à l'extrémité du quai de la rive droite pour renforcer la protection de l'entrée du port. De même, des perrés en pierre (revêtement destiné à renforcer un remblai) sont établis de part et d'autre de l'entrée du port (là où se trouvent aujourd'hui les petites digues) pour le protéger de l'estuaire.

Très vite pourtant, l'accroissement du trafic du port mais aussi les inondations qui continuent à frapper le port et le bourg, suscitent de nouvelles exigences chez les habitants. En 1852, le conseil municipal décide de fermer le cimetière et de le transférer en dehors du bourg, ce qui est fait officiellement en 1859. En 1856, le conseil vote un secours aux victimes des graves inondations qui viennent de se dérouler, et réclame la création d'un quai vertical pour faciliter l'embarquement des marchandises. Le 25 juin 1857, l'ingénieur ordinaire Auguste Botton présente alors un projet de cale empierrée à établir sur la rive droite, près de l'église. Etablie sur le modèle de cales déjà construites dans des ports du Médoc, celle cale comprendra un plan incliné descendant jusqu'à un mur en pierres sèches, défendu à son pied par une risberme. La risberme sera formée de pieux et de palplanches en bois de pin maritime de quatre mètres de longueur, enfoncés dans la vase. Les moellons proviendront des environs et de Blaye, la pierre de taille de Charente. Cette cale est construite en 1861. Au même moment, la reconstruction et l'agrandissement de l'église contribuent à changer la physionomie du port.

Dans les années 1860-1870, les terrains que l'Etat avait achetés dans les années 1840 pour servir au chantier d'aménagement du port, sont d'abord délivrés en concessions pour établir des magasins de stockage, un réservoir à poissons, etc, puis sont vendus. Tel est le cas en 1865 d'un terrain de 60 mètres de long situé sur la rive droite, après l'église. Désormais inutile au service du port, il est divisé en lots qui sont vendus aux enchères. Les acquéreurs des lots, parmi lesquels Christophe Mathieu, maçon (au 2 quai de l'Esturgeon), et la famille Milh, pêcheurs de père en fils, s´engagent à faire construire des bâtiments couverts en tuile ou en ardoise dans les deux ans. C'est ainsi que sortent de terre les maisons situées aujourd'hui entre les 2 et 10 quai de l'Esturgeon. Dans le même temps, le long du mur sud de l'église, une partie de l'ancien cimetière est cédée par la commune à l'Etat qui, en échange, finance la plantation d'une rangée d'ormeaux le long du quai.

De nouvelles inondations montrent toutefois que le dispositif mis en place dans les années 1840-1850 est insuffisant. Le 4 avril 1868, à la demande des habitants et des marins du port, l'ingénieur des Ponts et chaussée Lasne présente un projet de surhaussement de la rive droite afin d'arrêter les inondations lors des plus hautes marées. Une chaussée empierrée doit être établir sur cette même rive droite, ainsi qu'un caniveau de 114 mètres de long, parallèle aux maisons du quai de l'Esturgeon pour faciliter l'écoulement de l'eau. Le projet, qui prévoit de s'approvisionner en pierre de taille dans les carrières de Crazanne, et en moellons dans les environs et à Blaye, est approuvé le 3 juillet 1868, puis adjugé le 10 mars 1869 à Antoine Ferry, entrepreneur à Royan.

Ces travaux sont à peine achevés qu'en octobre 1875 puis novembre 1876, deux tempêtes plus graves encore bouleversent le port et frappent les esprits de ses habitants. On déplore soixante centimètres d'eau dans l'église, tout juste reconstruite, et 44 personnes sont frappées par une épidémie de fièvre typhoïde consécutive à l'inondation. Ces événements poussent à une nouvelle réflexion sur les aménagements du port et la protection du bourg. En 1877, le conseil municipal appuie le souhait des propriétaires riverains de la Gironde de se constituer en syndicat pour mieux lutter contre la menace d'inondations qui pèse sur leurs maisons. Leur objectif est d'édifier une digue de part et d'autre de l'entrée du port, parallèle à l'estuaire, là où de simples perrés ont été construits en 1847. De son côté, le Syndicat du marais de Juliat, qui gère depuis 1841 les marais en amont du port, a déjà commencé à améliorer son système de gestion de l'eau en déplaçant une de ses vannes. En 1878, il incorpore les propriétaires riverains de l'estuaire de la Gironde, et ajoute à ses missions la protection du port de Saint-Seurin. Il décide alors de construire la digue envisagée, avec le concours financier de la commune et de l'Etat. Il n'y est autorisé que le 3 avril 1880, par décision ministérielle.

Le 14 septembre 1880, Pierre Bé, agent voyer, présente un projet de construction d'une digue en terre sur la rive droite du port, digue de cent mètres de long qui sera prolongée par le chemin du Roc, surélevé. Le dispositif comprendra aussi la surélévation de la rive droite du port, avec le maintien du caniveau parallèle au port et aux maisons, et qui permet d'évacuer l'eau des embruns qui passe par-dessus le quai lors des fortes marées. Les travaux, adjugés le 11 octobre 1880 à Jean David, entrepreneur, sont réceptionnés le 14 juillet 1882 par le baron Amédée de Saint-Seurin, syndic des marais de Juliat. Le 6 novembre suivant, la commission du syndicat constate que, lors d'une tempête survenue le 29 octobre, la digue a fait son office et protégé le port.

La construction de cette digue sur la rive droite du port (encore visible près de l'entrée de l'ancien terrain de camping) ne suffit pourtant pas. En 1886, le conseil municipal réclame de nouveaux travaux d'amélioration du port, en particulier l'élargissement du chenal et la création, sur la rive gauche, d'une digue en pierre partant du quai et se dirigeant vers le château. La construction de cette digue (qui existe toujours) commence en 1895 et est effectuée au cours des années suivantes au fur et à mesure de la disponibilité des crédits.

Pendant que l'on améliore la protection du port contre les assauts de l'estuaire, une autre menace se fait plus pressante pour la viabilité du port (sans compter le chemin de fer qui détourne une grande partie de l'activité commerciale) : le déplacement du banc de sable de Saint-Seurin. En 1899, deux rapports des Ponts et chaussées font état de cette menace grandissante, dénoncée par les conseils municipaux de Mortagne et de Saint-Seurin-d'Uzet : à court terme, les ports de Saint-Seurin et de Mortagne pourraient devenir inutilisable car leurs chenaux sont de plus en plus barrés par le banc. En comparant les cartes de la côte, l'un de ces rapports expose que le banc, formé au large à partir de 1825, n'a cessé de croître, de s'allonger et de venir se plaquer contre la côte entre Port-Maubert et les Monards, soit sur une distance de 12 kilomètres. En 1899, le passage ne se fait plus que par une passe de 4 mètres de large, d'une profondeur de 1 à 4 mètres. Finalement, le déplacement du banc vers le sud, tout en compromettant l'avenir du port de Mortagne et en comblant l'espace au pied des falaises de l'Echailler, permet au port de Saint-Seurin-d'Uzet de continuer à avoir un accès direct sur l'estuaire. Ainsi, sur des cartes postales du début du 20e siècle, l'eau arrive encore au pied du château et à l'entrée du port, même si l'envasement est réel.

Saint-Seurin-d'Uzet, capitale du caviar français

Malgré ces vicissitudes et grâce aux aménagements successifs, le petit port de Saint-Seurin-d'Uzet se développe considérablement dans la seconde moitié du 19e siècle. Avant d'être détrounée par le chemin de fer, l'activité portuaire et commerciale, voire industrielle avec le moulin à eau, devenu minoterie, et la fabrique de raisins secs implantée en 1886 rue de l'Uzet, est importante. La pêche fait aussi les beaux jours du port. En 1866, une motion du conseil municipal en faveur du maintien du poste de douanier, indique que le port fait vivre dix familles de marins, deux auberges, deux cafés, deux marchands épiciers, et qu'il capte la production de sept moulins à vent et deux moulins à eau (celui du port et celui de Font Garnier). En 1868, un rapport des Ponts et chaussées établit que neuf "filadières" (bateaux de pêche) se livrent à la pêche à l´esturgeon dans le port de Saint-Seurin. En 1906, ce sont quinze barques qui s'adonnent à cette activité. En 1920, elle occupe quarante marins qui, à bord d'une vingtaine de filadières, vont pêcher le mulet ou "meuil" et le maigre. Pêché pour sa chair (pas encore pour ses oeufs), l'esturgeon de l'estuaire ou "créac" (de l'espèce "acipenser sturio") fait la renommée des lieux dès le 19e siècle. L'activité de ces pêcheurs professionnels participe à faire les beaux jours du port. Le va-et-vient des bateaux de pêche et de commerce rythme les journées. Les pêcheurs font sécher leurs filets sur les bords du port et du chenal, en particulier sur la rive gauche, et ils stockent leurs engins et le produit de leur pêche dans des cabanons en bois, établis après autorisation administrative.

Parmi ces pêcheurs, les membres de la famille Milh perpétuent l'activité familiale de père en fils, d'oncle en neveu. Originaire de Plassac, en Gironde, où elle exerçait déjà cette profession, cette famille est constituée au milieu du 19e siècle de deux frères, Jean (1803-1875), époux de Julie Méthez, et Genty (1808-1891), époux de Geneviève Curaudeau. Leur soeur, Magdeleine tient un cabaret sur le port de Mortagne (actuelle place Parias) où elle vit avec son mari, Jean Caboy, lui aussi pêcheur. En 1865, Jean Milh acquiert plusieurs des lots mis en vente par l'Etat sur la rive droite du port, et y fait construire plusieurs maisons (4 à 10 quai de l'Esturgeon). Son frère, Genty possède quant à lui la Maison du Quai, au 51-53 rue du Caviar. Pendant la seconde moitié du 19e siècle et au début du 20e, leurs fils Pierre, garde maritime distingué de la légion d'honneur pour sa bravoure en 1913, et Christophe (fils de Jean), Ernest, Alphonse et Victor (fils de Genty) perpétuent l'activité de pêche familiale.

A partir du début du 20e siècle et jusque dans les années 1960, la pêche sur le port de Saint-Seurin-d'Uzet connaît une révolution : elle va faire de Saint-Seurin-d'Uzet la "capitale du caviar" français. Pendant plusieurs décennies, l'esturgeon pêché par la quinzaine de marins pêcheurs de Saint-Seurin-d'Uzet est en effet abondamment capturé pour ses oeufs, ensuite préparés en caviar. Tout commence lorsque, à la fin du 19e siècle, un marchand allemand, originaire de Hambourg, M. Schwax, fait halte à Saint-Seurin-d'Uzet. Constatant que les pêcheurs ne commercialisent que la chair de l'esturgeon et rejettent les oeufs à la mer, il enseigne à l'un d'eux, Théophile Roux, la manière de préparer ces oeufs en caviar. Le caviar de l'estuaire, de qualité médiocre, est dans un premier temps expédié à Hambourg pour y être traité, puis revient en France sous étiquette russe. En 1902, M. Toutblanc, mareyeur à La Rochelle, envoie un préparateur à Saint-Seurin, sans toutefois rencontrer de meilleurs résultats. Malgré tout, durant la saison 1912, les pêcheurs de Saint-Seurin parviennent à produire 20000 kilos de viande d'esturgeon et 4000 kilos de caviar.

Après le coup d'arrêt marqué par la Première Guerre mondiale, une étape décisive est franchie quelques années après la Révolution bolchevique de 1917 qui anéantit la production russe de caviar. Dès lors, la légende se mêle à la réalité. Selon la tradition, une princesse russe (que certains disent même de la famille du tsar), ayant fui son pays, serait venue à Saint-Seurin-d'Uzet et aurait constaté avec effroi que les pêcheurs rejetaient à la mer les oeufs des esturgeons. Elle aurait alors entrepris de leur réapprendre la manière de préparer le caviar à partir de ces oeufs. En partant, elle aurait oublié derrière elle son parapluie, aujourd'hui encore précieusement conservé. Plus prosaïquement, la Maison Prunier, grand restaurateur parisien depuis les années 1870, entreprend en 1921 d'organiser la production du caviar en France pour satisfaire sa riche clientèle, russe notamment. Emile Prunier, à la tête du restaurant, envoie à Saint-Seurin-d'Uzet un certain Alexandre Scott, officier russe réfugié en France, enseigner la préparation du caviar aux pêcheurs des environs. Parmi ses élèves, les premiers sont les pêcheurs Fernand Saint-Blancard, Pascal Ephrem père, dit le Japonais, et trois membres de la famille Milh, Jude, son fils René, surnommé "le renard de l'estuaire", et leur cousin Raymond (dont la tombe, ornée d'un bateau de pêche, d'un filet et d'un esturgeon, se trouve dans le cimetière de Saint-Seurin-d'Uzet).

Dès lors, ils se lancent dans cette activité très lucrative. Le prix du kilogramme de viande d'esturgeon et surtout de caviar s'envole. Plusieurs sites de production se développent le long de l'estuaire de la Gironde, à Port-Maubert (Saint-Fort-sur-Gironde), Mortagne, Blaye, Langon, Bourg-sur-Gironde, etc (voir en annexe). La Maison Prunier en contrôle la majeur partie. Jusqu'à sa mort en 1959, Alexandre Scott, auteur en 1936 d'une étude sur les esturgeons et le caviar français, vient régulièrement à Saint-Seurin-d'Uzet vérifier la production. Avec Pierre Magot à Blaye, Jude Milh est le seul à vendre lui-même son caviar. Il utilise une marque déposée, "Caviar de la Gironde, Parapluie de poche", en référence à la mystérieuse princesse russe (qui était peut-être en fait l'épouse d'Alexandre Scott).

Chaque année, de mars à septembre, les esturgeons sont pêchés à l'aide de filets flottants que les pêcheurs vont jeter dans l'estuaire à marée descendante, à bord de leur canots ou "yoles" et de leur bateaux ou "filadières" (voir en annexe). Les animaux ainsi capturés sont attachés à l'arrière de l'embarcation par une corde passée par la bouche, afin d'être ramenés au port (si on les embarquait sur le bateau, ils risqueraient de le faire chavirer). Les plus gros poissons capturés peuvent peser plus de 100 kilogrammes, comme le montre la pesée qui en est faite au retour de la pêche (on relève en 1925 la capture d'une femelle de 490 kg, de laquelle on a tiré 70 kg de caviar). Une fois vidés, ces poissons seront vendus, une tâche qui revient généralement aux épouses de pêcheurs. Elles vont les proposer dans les marchés des environs, jusqu'à Cozes, leurs esturgeons sur une charrette ou une brouette.

Le principal attrait de ces animaux réside toutefois dans les oeufs ("la rabe" en patois) que portent les femelles. Leur préparation en caviar suit plusieurs étapes délicates, de l'extraction à la mise en boîte, en passant par le détachement de la membre qui les entoure à l'aide d'un tamis, puis par la salaison et l'égouttage (voir en annexe). Conservé au frais, le caviar est ensuite expédié.

La production du caviar fait rapidement la fortune de Saint-Seurin-d'Uzet. A partir de 1933, M. Belet, tenant une pension de famille dans le bourg, propose avec succès la dégustation du précieux produit, préparé par le pêcheur René Milh. Il est imité peu après par l'auberge du Commerce (7 rue du Château), puis par plusieurs restaurants des bords de la Gironde. De grands noms de la politique et des vedettes du spectacle, en villégiature ou en tournage de films à Royan, se pressent dans le petit port de Saint-Seurin-d'Uzet. On y voit par exemple Maurice Chevalier, Mistinguett, Jean Gabin, Danièle Darrieux ou encore Léon Blum. Le port dans son ensemble profite de cette manne. Plusieurs commerces prospèrent, par exemple la "Maison Universelle" des Val père et fils (50 rue du Caviar), ou la boulangerie de la rue du Château, tenue par Alcide Guilbeau à partir de 1941.

L'estuaire toujours en toile de fond

Pendant ce temps, la question des inondations et de la salubrité des lieux, avec la proximité immédiate de l'estuaire, reste d'actualité. En novembre 1938, une épidémie de typhoïde éclate dans le bourg de Saint-Seurin. Un rapport de l'inspecteur départemental d'hygiène pointe du doigt l'approvisionnement en eau potable qui se fait dans différents puits, notamment celui situé dans la cour de l'école. En février 1940, le gouvernement demande l'établissement en urgence d'un système d'adduction d'eau potable, tandis que l'on refuse d'accueillir des réfugiés des régions de l'Est de la France, touchées par la guerre, en raison du risque d'épidémie toujours présent. Une étude est menée sur la source de Font Garnier, et un système de captage d'eau potable est installée en 1941. Il faudra toutefois attendre les années 1950 pour qu'un système d'adduction d'eau soit mis en place à Saint-Seurin-d'Uzet mais aussi à Chenac et dans les environs, à partir de la source de Chauvignac.

Entre temps, en janvier 1941 puis en 1943, de nouveaux coups de vent frappent le port et provoquent son inondation. La digue parallèle à l'estuaire, dont le mauvais état était dénoncé depuis 1938, est abattue. Elle sera partiellement rétablie après 1945.

De son côté, la pêche à l'esturgeon et la préparation de caviar, en plus de la pêche au maigre par exemple, se poursuivent de manière intensive. En 1955, la production est de 1200 kg par an. En 1959, 12 filadières se livrent à cette activité. Alliée à la pollution et à la modification des milieux, une telle intensité, qui inquiétait déjà avant-guerre et avait poussé à réglementer la taille des prises et des mailles de filets dès 1923, entraîne la raréfaction de l'esturgeon. Sa pêche périclite au début des années 1970. Elle est finalement interdite en 1982. Dans les années 1990-2000, une tentative de réintroduction de l'estrugeon est menée et un élevage est ouvert à Saint-Fort-sur-Gironde. Le caviar est de nouveau commercialisé à Saint-Seurin-d'Uzet, de manière toutefois bien plus confidentielle qu'à la grande époque. En 2012, l'ancienne auberge du Commerce rouvre sous la forme d'une auberge-musée du caviar, dans ses anciens locaux concédés par la Maison Prunier.

Par ailleurs, l'envasement de l'espace situé de part et d'autre du chenal, en aval du port, s'accélère dans la seconde moitié du 20e siècle, comme le montrent les photographies aériennes de l'IGN. En 1949, l'eau arrive encore sur l'ancien terrain de camping, jusqu'au musoir et à la petite digue qui protège les maisons de la rive droite, bien que de premiers atterrissements soient observés. Sur la rive gauche, le comblement a commencé devant la digue et au pied du château. Dès 1956, la ligne du rivage a considérablement reculé, laissant derrière elle les marais occuper l'espace en avant du port. En 1976, le port est séparé de l'estuaire par plusieurs centaines de mètres de vasières traversées par le chenal et des ruissellements qui s'y sont formés. Cette situation perdure de nos jours. Une inversion de la tendance semble toutefois devoir être observée, avec un recul des vasières de bord d'estuaire observée tout le long de la côte. Le risque d''inondation est toujours bien présent, comme l'ont rappelé les événements tragiques de la tempête de décembre 1999 (66 maisons inondées, deux décès déplorés), puis de la tempête Xynthia en février 2010.

Périodes

Principale : 19e siècle

Auteurs Auteur : auteur inconnu,

Le bourg de Saint-Seurin-d'Uzet s'étire le long de trois axes routiers qui convergent vers le port : la partie est de la rue du Caviar assure le lien entre le port et les terres hautes, tandis que sa partie ouest suit l'ancien rivage vers le hameau du Roc et les Monards ; enfin, la rue du Château relie le port au château qui en assurait la défense. La rivière du Juliat constitue un quatrième axe, une voie d'eau cette fois-ci, avec les fossés qui y aboutissent après avoir serpenté entre les maisons et les jardins situés à l'arrière. La rivière se déverse dans le port après être passée sous un pont et à travers une vanne qui permet de réguler son niveau et son débit.

La rive gauche du port est occupée par l'ancienne minoterie Coussot, puis par un grand terrain triangulaire, communal, bordé de maisons à l'est. Le quai, empierré, est ponctué de pontons en bois qui accueillent bateaux de plaisance et bateaux de pêche. Le terrain communal est délimité au sud par un muret, la digue établie à partir de 1895. Cette digue en pierre de taille se poursuit vers l'est jusqu'à proximité du château, en s'enfonçant dans la terre. Au-delà de cette digue commencent les marais de bord d'estuaire, d'abord en prairies puis en roselières et en vasières.

Sur la rive droite du port, surélevée pour arrêter ou freiner l'inondation, deux voies parallèles ont été établies entre le quai d'une part, l'église et une rangée de maisons d'autre part. Devant ces dernières, un caniveau en pierre contribue à l'écoulement de l'eau. Le quai est empierré, avec des marches pour accéder à l'eau et une partie surélevée pour permettre les déchargements. Au-delà de ce quai haut, l'aménagement se poursuit par des pieux jusqu'à un musoir en pierre. Une vanne assure l'évacuation dans le port de l'eau drainée des marais alentours. Juste après la dernière maison, à l'entrée de l'ancien terrain de camping, la digue élevée en 1882 subsiste. Son noyau en pierre affleure sous le monticule de terre, à l'ombre des arbres. Cette digue se pouruit vers l'ouest, jusqu'aux abords du hameau du Roc, de manière à protéger cette partie du bourg.

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Charente-Maritime , Chenac-Saint-Seurin-d'Uzet

Milieu d'implantation: en village

Lieu-dit/quartier: Saint-Seurin-d'Uzet

Cadastre: 1832 A 650, 1832 B 24 bis, 2009 OG

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