Maison, dite Salle Gothique

France > Nouvelle-Aquitaine > Gironde > Saint-Émilion

Aujourd’hui située dans les jardins de la mairie, cette maison appelée la "Salle Gothique" est en réalité une construction romane des années 1200, particulièrement intéressante puisque l’une des mieux conservées de la ville pour cette période. C’est sa situation en cœur d’îlot, rapidement entourée par d’autres constructions, qui a permis de préserver cette maison. Elle était en effet enclavée au nord et au sud entre deux maisons romanes contemporaines. Côté est, elle était adossée à une troisième maison donnant sur la rue des Grands Bancs (actuelle rue Guadet). Initialement, seul son pignon occidental était apparent. Bien qu’en retrait des principales rues (une autre maison romane le séparait de l’actuelle rue de l’Abbé Bergey à l’ouest), ce côté de la demeure donnait sur un espace public, ruelle ou petite place, comme en témoigne l’ouverture de boutique en rez-de-chaussée qui signale la fonction commerciale de ce niveau. Sous chaque angle de ce pignon se trouvent deux grandes fosses qui, après avoir fourni la pierre de construction pour la maison, ont servi de puisard pour les eaux pluviales ainsi que pour les descentes de latrines de cette maison et de ses voisines. La fosse nord a été perforée par un puits et ensuite éventrée par une carrière au 19e siècle, mais celle située sous l’angle sud-ouest, restée intacte, a livré un important mobilier archéologique lié à sa réutilisation en dépotoir dès le 14e siècle. Assez rapidement après la construction de cette maison, l’espace ouvert en avant du pignon occidental est condamné par une extension qui vient masquer la baie de boutique du rez-de-chaussée ainsi que la fenêtre géminée de l’étage. De cet agrandissement qui apparaît encore sur le cadastre de 1845, seuls subsistent aujourd’hui les premières assises des murs visibles dans le jardin et qui témoignent d’une construction de tradition romane.

Après avoir subi un important incendie, cette maison est réhabilitée à la fin du 15e siècle ou au commencement du siècle suivant. De cette période date le mur de refend dont les arcs brisés qui ajourent son rez-de-chaussée ont improprement donné à cette maison son appellation de "Salle Gothique". Le mur sud de la maison reçoit alors à l’étage de grandes croisées qui indiquent la disparition, dès cette époque, de la demeure voisine qui se dressait initialement contre ce côté. La tour polygonale adossée au mur nord de la maison appartient à cette même phase. Les deux parties ne communiquent plus aujourd’hui et cette tour est rattachée, depuis le 19e siècle au moins, au bâtiment voisin qui accueillait alors une école privée de filles. C’est de cette époque que date le crénelage de la terrasse ainsi que la tourelle surmontée d’une statue de la Vierge au sommet la tour.

Au fil du 20e siècle, la "Salle Gothique" a été partiellement dégagée de sa gangue de constructions annexes qui l’avaient progressivement fait disparaître. Une première réhabilitation en 1980 a permis d’aménager des appartements aux étages ainsi qu’une salle d’exposition au rez-de-chaussée. Une nouvelle campagne de travaux réalisée en 2013 a donné l’occasion de mener une étude archéologique approfondie de cet ensemble bâti ; d’autant que la construction d’un appentis contre le mur sud a révélé d’importants vestiges enfouis (fosse sud-ouest et entremis, fondations de la maison voisine...) dont l’étude a largement complété la compréhension de cette maison et plus généralement de la genèse de ce quartier.

Périodes

Principale : limite 12e siècle 13e siècle

Secondaire : limite 15e siècle 16e siècle

Secondaire : 19e siècle

Le noyau primitif de cet ensemble immobilier est constitué d’une maison bloc de plan trapézoïdal irrégulier de 14 m de long (d’est en ouest) pour 9 m au plus large. Cet édifice roman, construit en pierre de taille de grand appareil, renferme une grande salle au rez-de-chaussée (qui accueille actuellement un espace d’exposition et de conférences), un étage à vocation résidentielle ainsi qu’un niveau de comble réhabilité en logement.

Le pignon occidental est percé de très nombreuses ouvertures qui témoignent des multiples remaniements qu’a connu le bâtiment. À la phase primitive appartient la grande baie de boutique (la seule conservée en ville pour la période romane) dont le vestige est visible au centre du rez-de-chaussée. Son encadrement est orné de colonnettes jumelées portant un arc brisé surbaissé dont l’arrête est adoucie par un cavet. Au-dessus prend place une fenêtre géminée couverte par un linteau semicirculaire qui était souligné d’une archivolte dont le relief a par la suite été buché. Un jour de comble (légèrement désaxé par rapport au faîtage et aujourd’hui muré) venait compléter cette travée centrale. La porte d’origine était implantée sur la droite de l’arcade de boutique. Fortement remaniée, elle présente aujourd’hui son embrasure vers l’extérieur, tout comme la porte en plein cintre ménagée dans le bouchage de de l’arcade de boutique. Ces deux portes, qui n’ont probablement pas fonctionné en même temps, ouvraient sur l’extension plaquée contre la façade primitive et dont ne subsistent aujourd’hui que les premières assises qui ferment la courette en avant de du pignon. La porte d’entrée actuelle, sur la gauche de l’ancienne baie de boutique, est de facture récente. Sous chaque angle de ce pignon sont creusées deux fosses pyramidales (profondes de 6 m pour autant de largeur à leur base) qui servaient de puisard puis de dépotoirs.

Le mur nord de la maison, visible au rez-de-chaussée, était dès l’origine mitoyen avec la demeure voisine comme en attestent les niches murales disposées de part et d’autre. L’extrémité orientale de ce mur prend appui contre l’angle d’une maison plus ancienne qui marque une saillie d’une quarantaine de centimètres sur l’intérieur de la pièce. De cette autre demeure qui se prolongeait jusqu’à la rue des Grands Bancs (actuelle rue Guadet), ne subsiste plus que ce pan de mur qui, un peu plus à l’est, conserve le bouchage d’une porte visible depuis la cage d’escalier de l’immeuble voisin. Les claveaux longs qui couvrent son arc en plein-cintre attestent l’ancienneté de ce bâtiment (fin 11e – début 12e siècle ?) qui est donc antérieur à la grande phase romane de la fin du 12e siècle omniprésente à Saint-Emilion. Ainsi, tant stylistiquement que du point de vue de la chronologie relative, ce mur apparaît comme l’élément le plus ancien de cet ensemble bâti. Cet édifice qui occupait une partie de l’actuelle parcelle cadastrale AP 466 a été démoli au plus tard vers 1500 pour laisser place à une tour polygonale adossée au mur nord de la maison. Cette tour de deux étages renferme de petites pièces dotées de fenêtres aux encadrements ornés d’un décor de baguettes croisées. La pièce du 1er étage est couverte d’une voûte sur croisée d’ogives dont les nervures ont un tracé assez irrégulier et retombent sur des culs-de-lampe aux décors anthropomorphes ou animaliers d’une réalisation assez grossière. La pièce du 2e étage présente en revanche une voûte bien plus soignée et dispose d’une cheminée qui s’insère harmonieusement dans l’un des voutains. Les murs en pierre de taille étaient enduits d’un badigeon de chaux orné d’un décor de faux appareil dont subsiste le tracé noir des faux joints.

Le pignon oriental, visibles en rez-de-chaussée depuis la cage d’escalier de l’immeuble voisin, présente les bouchages d’une grande porte, couverte en arc brisé, et d’une fente de jour chanfreinée (sous laquelle avait été percée une petite porte à linteau droit). Ces ouvertures indiquent que le mur donnait initialement sur l’extérieur et qu’une cour séparait la maison de la rue (distante à l’origine d’environ 8 à 9 m). Cet espace non bâti fut rapidement occupé par une autre maison romane (ou une extension de la précédente ?) dont ne subsiste plus aujourd’hui qu’un pan de mur couronné par une corniche à modillons formant l’angle sud-ouest de l’immeuble reconstruit à la fin du 19e siècle (après l’élargissement de la rue Guadet). C’est à l’aplomb de ce mur, dans la partie sud de cet immeuble qu’est implanté le couloir permettant au public d’accéder à la Salle Gothique depuis la rue Guadet.

Le gouttereau sud, conservé sur 9 m, n’était initialement percé au rez-de-chaussée que d’étroits jours chanfreinés donnant sur un entremis large d’à peine 15 cm (découvert en fouilles) qui servait à collecter les eaux de pluies en les dirigeant vers la fosse-puisard située sous l’angle sud-ouest de la maison. La démolition de la demeure voisine dès le 15e siècle a permis d’élargir ces jours en petites fenêtres et d’ouvrir une grande porte couverte en arc brisé. Deux autres portes, à linteau droit, ont depuis été ajoutées dans cette partie du mur et donnent aujourd’hui dans l’annexe construite en 2013. Dès les années 1500, l’étage est doté de deux grandes croisées dont l’une est remplacée au 18e siècle par deux baies élancées couvertes d’un linteau segmentaire. Le tiers oriental de ce mur sud, à partir d’un contrefort plat qui apparait au dernier niveau de la maison, a été reconstruit et ne présente plus de caractère ancien. Une annexe d’un étage a été remaniée durant la 2e moitié du 19e siècle (cette partie du bâtiment ne présentait pas exactement ce plan-là sur le cadastre de 1845) en avant de cette partie de la maison ; son rez-de-chaussée sert aujourd’hui de hall d’entrée pour la Salle Gothique.

À l’intérieur du bâtiment, seul son rez-de-chaussée qui abrite la salle d’exposition offre aujourd’hui une visibilité sur les maçonneries. Dans cette salle, apparaissent les embrasures des différentes ouvertures présentées ci-dessus. On notera surtout ici la présence du mur de refend dont les arcs brisés qui l’ajourent ont donné à ce bâtiment son appellation de "Salle Gothique". L’étude archéologique de leurs maçonneries a montré que ces arcades n’appartiennent pas à l’état primitif de la maison mais à sa phase de réhabilitation des années 1500, remplaçant alors probablement une série de piliers porteurs comme le suggère la présence de chapiteaux romans remployés à chaque extrémité de ce refend. La cheminée monumentale (datant de la fin du 16e siècle ou du début du suivant) située près de l’angle nord-est de la pièce n’a été installée ici qu’en 1980 et provient à l’origine d’une maison de la ville basse.

Murs
  1. Matériau du gros oeuvre : calcaire

    Mise en oeuvre : pierre de taille

  2. Mise en oeuvre : grand appareil

Toits
Étages

1 étage carré, étage de comble

Couvertures
  1. Forme de la couverture : toit à longs pans

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Gironde , Saint-Émilion , 15 rue Guadet

Milieu d'implantation: en ville

Lieu-dit/quartier: Ville haute

Cadastre: 1845 C 304 (C 302 pour la tour), 2010 AP 428 (C 466 pour la tour)

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