Carrières de la Vienne

France > Nouvelle-Aquitaine

Ce dossier collectif se fonde sur un fonds photographique, constitué par la Maison des jeunes et de la culture de Chauvigny à partir des archives de l'ancienne Société Civet-Pommier, et sur les recherches faites par René Pothet (cf. bibliographie). Le nombre des carrières en exploitation est très fluctuant ; certaines d'entre elles ne sont en activité que quelques mois durant, le temps d'un chantier voisin par exemple. Aussi n'est-il pas possible de rendre compte des sites de carrières mentionnées ou connues à un moment donné dans le département. Le nombre des carrières repérées correspond à un état, établi par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (D.R.I.R.E), des carrières en exploitation en 1991. Une seule carrière a été sélectionnée, celle de Normandoux à Tercé (cf. dossier) ; en effet, cette activité, aussi importante soit-elle du point de vue économique, n'a généralement pas suscité de construction en maçonnerie, mais d'abris provisoires en matériau léger. Aucune typologie ne peut donc être établie, si ce n'est une classification des sites par le matériau extrait : gravier, pierre à bâtir, sable... Ce dossier s'applique à décrire l'évolution des techniques d'exploitation des carrières depuis la fin du XIXe siècle ; et cela, surtout dans les carrières de pierre à bâtir des environs de Chauvigny en raison de la documentation disponible.

En 1918, il y a dans le département presque un millier de petites carrières, les plus importantes étant au nombre de 21. Soixante-quinze carrières souterraines occupent environ 300 ouvriers, et 925 carrières à ciel ouvert occupent 2000 personnes. De ces carrières l'on extrait aussi bien de la pierre à bâtir (pierre de taille ou moellon), que du sable, du gravier, de la pierre à chaux ou à amendement. Jusqu'en 1861, il n'existait que de petits carriers ayant des moyens très limités, qui vendaient leur production dans un rayon de quelques kilomètres autour des carrières. L'amélioration des voies de communication, avec surtout la création du chemin de fer, transforma complètement cette organisation et l'on assista au regroupement de ces petites exploitations au profit de grandes sociétés inter-régionales.

L'industrie de l'extraction occupe encore actuellement une place importante dans l'économie du département : environ 110 carrières sont en cours d'exploitation (en 1951, près de 400 personnes travaillaient dans ce secteur). Depuis la seconde guerre mondiale et l'utilisation intensive du béton, l'équilibre, qui préexistait entre l'extraction de graviers et celle de la pierre à bâtir, s'est rompu en faveur des sables, graviers et granulats. En 1991, on compte 2 sablières produisant annuellement plus de 150 000 tonnes de sable, 17 sites ayant une production entre 25 000 et 150 000 tonnes et 14 de moins de 25 000 tonnes. Ces sablières sont situées dans la vallée de la Vienne, autour de Civaux, de Bellefonds et d'Ingrandes, dans celle du Clain au nord de Poitiers, et celle de la Gartempe aux alentours de Montmorillon. En outre, quelques sites, dans les confins du Limousin au sud-est du département, concernent l'extraction de roches éruptives ; trois d'entre eux ont une production annuelle située entre 25 000 et 150 000 tonnes, et l'un de moins de 25 000 tonnes. Quinze carrières produisent du calcaire en granulats pour concassage (2 ont une production dépassant 150 000 tonnes, 5 entre 25 000 et 150 000 tonnes, et 8 de moins de 25 000 tonnes. En revanche, les différentes carrières de pierre à bâtir, employées essentiellement en ornementation et parement, produisent moins de 1000 tonnes de matériau par an. Elles sont au nombre de 10, situées autour de Chauvigny, à Migné-Auxances (2 carrières souterraines), à Glénouse (1 seule carrière souterraine), près de Monts-sur-Guesne et près de Lencloître. Des marnes et calcaires sont également exploités dans 7 sites pour les amendements (4 de 25 000 à 150 000 tonnes, 3 de moins de 25 000 tonnes). En outre, des calcaires et argiles pour l'industrie sont exploités dans une petite carrière à Jouhet.

Rattachées autrefois au service des Mines, les carrières dépendent depuis 1971 des Directions régionales de l'Industrie, de la Recherche et de l'environnement (D.R.I.R.E.) ; leur ouverture est soumise à l'autorisation des services concernés. Elles ont de tout temps fait l'objet de contrôles stricts concernant la sécurité : le plan des carrières souterraines fut notamment levé dès le milieu du XIXe siècle afin de déterminer si les piliers porteurs étaient en nombre suffisant.

I - Qualité de la pierre à bâtir de la Vienne :

Du fait de la dureté moyenne du calcaire extrait dans ce département, il offre une grande diversité d'emplois : les éléments standards de construction (moellons presciés, appuis de fenêtres normalisés) constituent l'une des applications fondamentales de ces calcaires. Leur dureté peut être suffisante pour permettre la réalisation d'ouvrages de type marbrier. Entre ces deux emplois, toute la gamme des travaux classiques : grands revêtements extérieurs d'immeubles, dallages, escaliers, sculpture, éléments décoratifs, cheminées, colonnes, murs en moellons taillés, restaurations d'édifices... Le bassin de Poitiers ne se confine pas exclusivement au travail des pierres locales mais a élargi son activité de façonnage à celui d'autres calcaires fiançais aux fins de diffusion régionale de ces différentes pierres.

En 1969, 4 grandes entreprises sont représentées dans le département :

- Sté des Carrières de Chauvigny et Extension

- Sté d'Exploitation de la carrière de Belle-Roche

- Sté Fèvre et Cie

- Sté des Carrières et Scieries de France

2 - Un exemple d'exploitation : les carrières de la Société Civet-Pommier et Cie

En 1861, le baron de Soubeyran, député de la Vienne, racheta plusieurs petites carrières, dont il développa l'exploitation ; c'est à ce moment-là que furent créées les carrières de Château-Gaillard (Migné), de Tercé, Lavoux, etc. De 1865 à 1895, ces grandes carrières du Poitou passèrent de main en main, puis furent rachetées en 1895 par la Société Civet-Pommier et Cie. Le matériel fut alors complété (chemin de fer, ponts roulants, etc.), et le débouché élargi en France et à l'étranger. Durant la première guerre mondiale, l'activité des carrières de Chauvigny, Tercé, Lavoux, Château-Gaillard se réduisit considérablement. Mais la forte demande de matériau pour la reconstruction dans les années 1920 entraîna leur nouvel essor. En revanche, l'utilisation intensive du béton après la seconde guerre condamna la pierre à un emploi purement ornemental, d'où une baisse conséquente de la demande et une chute de la production.

3 - Description de différentes carrières (dans les années 1970) :

La carrière de Bretigny à Jardres : ouverte en 1889, puis délaissée et enfin reprise en 1953 par la Sté des Carrières de Chauvigny et Extension. L'extraction est faite par perforations verticales (espacées de 80 cm environ). L'explosion de quelques légères charges de poudre noire détache ensuite le bloc de la masse d'où il sera enfin tiré et basculé sur le terre-plein au moyen d'un treuil placé à distance face au front. Un pont-roulant d'une puissance de 10 tonnes dessert une longueur de plus de 120 m. De part et d'autre se succèdent les dépôts et postes de taille et débitage. En 1969, l'équarissage est réalisé avec un appareil à fil Perrot et Aubertin ; l'abrasif utilisé est le silicium qui permet d'obtenir un rendement de 2 mètres carrés à l'heure sur la pierre de Bretigny. 19 ouvriers : 6 à la carrière et 13 aux machines, engins et taille. Débiteuse Débidia équipée d'un disque de 2,5 mètres.

La carrière d'Artiges à Chauvigny, exploitée depuis 1925 par la Sté Fèvre et Cie, s'étire sur plusieurs centaines de mètres dans le creux d'une combe. Un chemin de fer avait été installé entre la carrière et l'usine, et l'extraction se confinait dans le seul secteur desservi, jusqu'à la mise en service d'un camion multigrue et la construction d'un accès routier à flanc de pente, qui a permis d'atteindre d'autres points surélevés du gisement. Un puissant treuil est utilisé pour basculer et tirer les masses qui ont été au préalable détachées des bancs selon la technique des perforations avec petites charges de poudre noire. Une station de broyage et pulvérisation des déchets, exploitée par une autre société, produit des poudres calcaires pour la fabrication d'engrais. Les ateliers sont édifiés sur 400 mètres de part et d'autre de la voie de chemin de fer sur laquelle évoluent 2 grues respectivement de 8 et 15 tonnes. Parallèlement, mais sur une longueur de roulement moindre, fonctionne un demi-portique qui dessert plus spécialement l'aire extérieure de dépôt. Un important matériel mécanique de sciage complète l'outillage traditionnel de sciage :

- 2 scies à chaînes à dents au carbure de tungstène (un modèle Perrier et un Vamo)

- 3 débiteuses dont 2 Décamps avec un disque diamanté de 1,35 m de diamètre, et un ancien modèle ; une débiteuse Fromholt avec disque de 2,5 m tournant sur point fixe et chariot mobile mu par vis sans fin

- 2 éclateuses pour fente des moellons bossagés (modèle ancien avec fonctionnement horizontal des couteaux)

-1 raboteuse

- 3 châssis multilames pour le débitage des blocs en tranches -1 tour à pierre pour le tournage des colonnes

- 1 châssis monolame diamanté Perrot et Aubertin de 1966 comprend, outre la fraiseuse proprement dite, une débiteuse primaire à 3 disques diamantés (2 verticaux parallèles et 1 horizontal) qui débite les blocs en pièces à fraiser, et 1 petite débiteuse tertiaire qui tronçonne à longueur les bandes déjà usinées

Carrières de Bonnillet et Tervoux exploitées par la Sté Fèvre et Cie ; elles sont superposées, l'une étant souterraine et l'autre à ciel ouvert exactement au-dessus.

L'exploitation de Tervoux a débuté au 12e siècle jusqu'au 18e siècle sur une hauteur variant de 2,40 à 4 m. Une deuxième exploitation a été commencée au XIXe siècle dans l'étage inférieur (environ 2,40 m de hauteur). Vers 1920, un troisième étage d'exploitation fut ménagé dans la côte. En 1950, on a trouvé dans la partie basse de la colline une masse de 10 m de hauteur, dont l'exploitation fut poursuivie en souterrain. La méthode d'extraction consiste, en un premier temps, à scier les trois faces verticales ; le volume ainsi circonscrit dans le banc est ensuite décollé de son lit inférieur par traction au treuil. Le tranchage s'effectue à la haveuse à chaîne Fernand Perrier ; elle travaille avec un bras vertical de 2 m et assure une production journalière de 20 m2 de tranchage. Les manutentions sont assurées d'une part par 2 derricks surmontant le front à proximité du dépôt de blocs et, d'autre part, par un engin puissant et passe-partout : le "Transbloc" de Massey-Fergusson. Ce véhicule se compose d'un tracteur auquel est attelé un chariot grue qui, en raison de son profil, est appelé "le char romain". L'atelier de taille est desservi par un pont roulant de 3 tonnes d'une portée de 7 m. Il abrite, outre l'équipement traditionnel de taille, 2 débiteuses à disque diamanté : une Decamps de 1,35 m de diamètre et une autre de 1,2 m. Une éclateuse à couteaux horizontaux fonctionne pour le tranchage des moellons bossagés.

L'exploitation de Bonnillet Clair se composait en 1969 de 6 galeries parallèles à 7 m de distance l'une de l'autre, d'une section de 10 m de largeur sur 10 m de hauteur, et dont la plus importante mesure 145 m de longueur. L'extraction s'opère à partir du haut par le moyen de haveuses à chaînes au carbure de tungstène, les unes effectuant les tranchages verticaux, les autres les sciages horizontaux. Les blocs débités sont tirés de leurs bancs par un treuil. Un long chantier de taille et débit est installé dans la grande galerie principale. Plusieurs haveuses à main fonctionnent, mais également 2 portiques à chaîne dont un Perrier, et une débiteuse Decamps à disque diamanté de 1,35 m. Cette zone de travail, réservée à l'exécution du préscié, est desservie par un pont roulant de 3 tonnes. Un deuxième pont roulant de 10 tonnes assure la manutention des blocs.

L'usine de Chauvigny : le chantier central est dominé par trois ponts roulants de 12, 8 et 3 tonnes. Quarante personnes y sont employées. Dans l'atelier de sciage s'alignent 4 châssis ; l'un d'eux rentré vers 1965 est un robuste Giorgini Maggi équipé de 100 lames, puis deux autres de facture normalisée de 36 lames chacun ; le quatrième, l'ancêtre, un "Progrès Namurois", peut recevoir 11 m3 tant ses dimensions sont importantes (3 m sur 3 m). Cette dernière armure est équipée de 52 lames. L'abrasif employé est le sable de grès, auquel est ajouté 7 % de calcédoine. Une débiteuse à pont Décamps, dotée d'un disque diamanté de 2500, fonctionne avec une autre torpédo de 1500 du même constructeur. Deux appareils à fil Pelecq scient au sable, tandis que dans un atelier spécialisé, un fil d'intérieur Face emploie comme abrasif un mélange de carbone et de grès. Sur le chantier de taille de pierre fonctionnent une douzaine d'appareils à flexibles, deux scies à chaînes à portique ou "guillotines", dont une Perrier. Dans un grand atelier travaillent quatre débiteuses à chariot, une à pont (torpédo), une moulureuse-débiteuse, avec disque de 800.

Carrière de Peuron à Chauvigny : l'extraction est assurée par marteaux-perforateurs, horizontalement et verticalement, cela jusqu'à 6 m de profondeur avec l'emploi de très légères charges de poudre noire glissées dans une perforation sur trois.

Carrière de Bois-Sené à Chauvigny (à 40 m en arrière de la précédente). Carrière des Grippes à Jardres (délaissée en 1969).

Carrière de Lavoux : l'exploitation se faisait au début du siècle dans une quarantaine de carrières employant 300 à 400 ouvriers, dont la carrière de Lépine. Ici, le travail s'effectue parfois avec marteau brise-béton et aiguille bédane à 3 pointes pour faire la saignée s'il n'existe pas de passe horizontale. Dans le cas contraire, la masse est fendue à la poudre noire.

Carrière souterraine de Pierre-Levée à Migné composée de nombreuses galeries larges de 6,60 m, et séparées les unes des autres par des piliers de 4,80 m sur 4,80 m. Sept bancs de pierre se superposent et s'exploitent sur une hauteur de 6,50 m.

Carrière et usine de Belle-Roche. Atelier édifié en 1961. Trois ponts roulants, dont deux de 3 tonnes et un de 6 tonnes, assurent la manutention entièrement mécanisée de l'ensemble, à l'aide de tenailles Perdriel. Parmi les machines, on note 1 débiteuse Décamps avec disque diamanté de 1,50 m et deux débiteuses de même marque avec disque de 2 m, et trois guillotines à chaîne.

Carrière de Normandoux à Tercé ouverte en 1860 et reprise avant 1900 par la Sté Civet-Pommier. Au début de l'extraction, celle-ci se faisait à l'aide de la pioche ou de l'aiguille avec coins ordinaires et plaques de métal. Puis furent employés les marteaux perforateurs à forets hélicoïdaux avec taillants au carbure de tungstène et poudre noire, les coins ronds terminant le travail. En 1920, des haveuses américaines circulant sur des rails de 50 m de long, distantes de 1,50 m, fonctionnant avec volants dotés d'excentriques, lesquels s'engageaient dans des évidements ovales creusés dans de longues lames d'acier, qui placées verticalement étaient terminées à la base comme par une fleur de lys schématisée dont les 2 pétales extérieurs -véritables ciseaux- portaient en leur centre une dent biaisée. Les 3 taillants de ce genre de bédane, dont les lames métalliques étaient actionnées par les excentriques des volants, frappaient rapidement la pierre. Les 3 taillants de lames verticales désagrégeaient la pierre sur un long sillon, et s'enfonçaient dans la masse sur une hauteur de 12 m (il fallait changer les lames au fur et à mesure que la profondeur augmentait). Cette machine a dû s'arrêter de fonctionner vers 1929. L'atelier de taille est desservi par 2 ponts roulants de 3 tonnes. L'équipement mécanique comprend une débiteuse Décamps avec disque de 2 m, 3 scies à chaînes sur portique dont 2 Perrier (de 1957) et une de Tena. Sur la carrière toute proche, un derrick de 15 tonnes étend sa flèche de 25 m pivotant sur 360°. Sur le gisement sont en service 3 haveuses de carrière.

[Extrait de : GARGI, René, MOTINOT, René, Les calcaires du Poitou, in : Arts et techniques des roches de qualité, "le Mausolée", nov. 1969, n° 399, p. 2491].

Périodes

Principale : Temps modernes

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