Historique
La seigneurie du Masnègre fut sans doute fondée vers le milieu du XIIIe siècle lorsque les seigneur-châtelains de Montignac, qui avaient tout intérêt à resserrer leur emprise sur le vaste territoire de la châtellenie, commencèrent à donner en jouissance à certains de leurs milites castri, des chevaliers ou damoiseaux attachés à leur service, pour les récompenser, pour assurer le contrôle et la défense des axes de communication et des frontières, et pour accroître l’exploitation des terres nouvellement conquises. Ce processus de féodalisation des campagnes a probablement commencé dès les XIe-XIIe siècles, mais il s'accroît fortement au XIIIe siècle pour la châtellenie de Montignac. Ce scénario est d'autant plus crédible pour le Masnègre que la seigneurie est située à la pointe sud-est de la châtellenie – sa frontière est matérialisée par le ruisseau la Saignole qui coule en contrebas de la colline où se dresse le château.
Il faut toutefois attendre l'extrême fin du XVe siècle pour voir apparaître le nom de Masnègre dans les textes : en 1496, "El Mas Negre" est mentionné comme fief relevant des Hospitaliers de Sergeac (Archives de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem) : est-ce à dire qu'il relevait auparavant de la commanderie templière de Sergeac ? Rien n'est moins sûr, car cet état de fait peut résulter des troubles intervenus lors de la guerre de Cent Ans et, comme on l'a dit, la paroisse de Valojoulx relevait – et relève encore pendant toute la période moderne – de la châtellenie de Montignac. Par ailleurs, les premiers seigneurs attestés du Masnègre proviennent de la famille De Vins (ou De Viens), qui portait : D'argent au chêne terrassé de sinople, accosté en pointe de deux sangliers (ou porcs) passants et affrontés de sable. Ces armes se voient encore sculptées sur une clef de voûte de l'ancienne église Sainte-Marie dite du Plô de Montignac – démontée et replacée dans la nouvelle église. Or, dans la seconde moitié du XVe siècle, les De Vins sont encore des marchands : Jean (Johannes, Johan) de Vins est attesté de 1451 à 1486 comme marchand de Montignac. Signe d'une ascension sociale, Simon (ou Symo, Symone), probablement le fils de Jean, est qualifié entre 1488 et 1498 seulement de "burgensis" de Montignac, mais plus de marchand.
La première mention d'un membre de la famille De Vins associé à la terre du Masnègre date du 25 juin 1542 : "honorable homme François de Viens [1520-1573], dict du Masnegre" est témoin de la donation par Pons de Salignac, chanoine de Saint-Yrieix-la-Perche (Limousin), de tous ses biens meubles et immeubles à son neveu Jean de Gontaut, seigneur de Saint-Geniès et de Badefol ; l'acte est passé au château de la Chapelle-Aubareil. En 1550, un Jean de Vins – dont on ignore le lien de parenté avec François – contribue pour 25 sols à la taxe des gentilshommes du Périgord levée cette année-là – certes, l'acte ne dit pas de quelle seigneurie est propriétaire Jean de Vins, en revanche il atteste que les De Vins sont désormais considérés comme faisant pleinement partie de la caste nobiliaire. Dans la décennie et les suivantes, le doute n'est plus permis, François de Vins, seigneur du Masnègre, faisant une belle carrière dans les armes : aux mois d'octobre 1553 et d'avril 1554, il sert en qualité d'homme d'armes dans la compagnie d'ordonnance de Gaspard de Saulx-Tavannes ; en 1558, le roi de France Henri II le pourvoit de l'office de sous-garde de la cité de Verdun ; en 1566, il est chevalier et lieutenant-général pour le roi de la place de Verdun en l'absence de Monsieur [Jean II] de Losse ; en 1568, François est fait chevalier de l'ordre royal de Saint-Michel – il est vrai comme tant d'autres gentilshommes du Périgord lors de cette période troublée, tels Jean de Losse, Guy de Saint-Chamans, Bernard de Gontaud de Saint-Geniès, Raymond de Saint-Clar, François de Périgord, François de Féletz ou encore Pierre Arnal de la Faye. Selon Jean de Choisnin (Mémoires), après la Saint-Barthélemy (24 août 1572), il fait arrêter et tente de tuer – contre la promesse de la somme exorbitante de 50 000 livres – l'évêque de Valence, Jean de Monluc, frère du célèbre mémorialiste, alors que celui-ci est en chemin pour la Pologne afin de négocier l'élection du duc d'Anjou comme roi. Charles IX, Catherine de Médicis et le duc d'Anjou (futur Henri III) doivent intervenir pour faire libérer l'évêque. L'histoire ne dit pas si François obtint la somme promise, et quoi qu'il en soit il meurt probablement l'année suivante (on perd sa trace après le 10 sept. 1572). Plusieurs généalogies s'affrontent quant aux différents mariages de François de Vins, mais le scénario le plus vraisemblable est qu'il fut marié en premières noces, le jeudi 18 octobre 1562 [sic pour 1542 ?], à Jeanne de la Bermondie, dont il eut Jean, Henri et Pierre, puis en secondes noces, à la fin des années 1540, à Barbe Psaulme, sœur de Nicolas Psaulme, comte-évêque de Verdun – Barbe Psaulme est dite veuve de feu François de Vins le 3 octobre 1574 ; de leur union est né Gaspard de Vins [v. 1550/avant 1604].
C'est probablement au cours de cette période qu'il faut placer la principale phase de construction du château du Masnègre – sans doute en plusieurs campagnes de travaux relativement proches les unes des autres – et l'attribuer à François de Vins. Il faut dire que les fonds ne manquaient pas au militaire périgourdin : pour la seule année 1569, il touche du roi de France la superbe somme de 3 950 livres tournois à laquelle s'ajoute, dès février 1570, une gratification de 1 500 livres (soit un total de 5 450 livres pour la seule période comprise entre avril 1569 et février 1570 !). Le corps de logis le plus ancien est peut-être celui situé au nord-ouest de la plate-forme quadrangulaire du château : orienté est-ouest, très remanié, il présente la particularité de posséder encore un mur-pignon à l'ouest. Un autre corps de logis lui fut adjoint en retour d'équerre au sud et une tour d'escalier en vis hors-oeuvre érigée dans l'angle sur la cour afin de les desservir – encore représentée sur le plan cadastral ancien (1813), elle fut supprimée au cours du XIXe siècle. Le château devait alors posséder un plan quadrangulaire autour d'une cour, flanqué par quatre tours aux angles à l'extérieur et environné de fossés sur trois côtés – le dénivelé du terrain au sud ne nécessitait pas d'en avoir de ce côté. Des jardins devaient déjà s'étendre à l'ouest et au sud – ils sont encore visibles sur le plan cadastral ancien de 1813. Les principales caractéristiques de ces campagnes de travaux sont communes à toutes les constructions de cette période dans la vallée de la Vézère : maçonnerie en moellon à joints beurrés masqué par un enduit (disparu) et raidi par des chaînes d'angle en besace soigneusement taillées, portes et fenêtres d'origine à simple ébrasement en chanfrein droit (parfois assez large) ; certaines grandes fenêtres (vestiges d'une croisée et d'une demi-croisée sur cour et à la tour nord-ouest) comportaient une allège en pierre de taille et un appui mouluré saillant. Une porte, en façade postérieure (côté parterre), ouvrant le corps de logis principal situé en fond de cour (ouest), se distingue des autres : elle est dotée d'un ébrasement à moulures classiques (chanfrein concave entre réglets) faisant retour en partie inférieure – ce détail "à l'antique" apparaît pour la première fois en France au manoir de La Possonnière, à Couture-sur-Loir (Loir-et-Cher), en 1515 (Jean Guillaume). Un dernier critère atteste la datation des travaux : la présence de nombreux orifices de tirs pour armes à feu légères dans le mur-parapet du chemin de ronde des tours les place au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, pendant les guerres civiles qui sévirent dans la région.
Les travaux se sont probablement prolongés jusqu'au tournant du XVIIe siècle : les tours présentent en partie inférieure des fentes de tirs horizontales, qui sont caractéristiques des constructions de la toute fin du XVIe siècle et du début du XVIIe dans la région (à Séguinot, près de Nérac, en 1593 ; à Cadillac, en Gironde, à partir de 1598 ; à La Force, en Dordogne, à partir de 1604, etc.). C'est donc probablement à Jean de Vins, le fils aîné de François, seigneur du Masnègre et de "Pechpeyroux" (Puypeyroux, à Bars), qu'il faut attribuer la fin des travaux. On le croit d'autant plus volontiers que Jean de Vins fait partie des gentilshommes qui formèrent en mai 1594 une ligue sous les ordres du sénéchal du Périgord Henri de Bourdeilles contre les Croquants qui sévissaient dans la région ; un autre argument est qu'il se rendit acquéreur du roi de Navarre, en 1598, de la justice de La Martinie (à Sergeac) et "Moulac" (Molhac, également à Sergeac) – ces deux domaines limitrophes de celui de Masnègre, qui se voit ainsi étendu à la fois en superficie et en termes de pouvoir judiciaire.
Le 13 avril 1647, Louis de Vins (†1662), seigneur du Masnègre, "habitant en son chasteau du Manesgre en la parroisse de Valljous [sic pour Valojoulx]" achète la seigneurie de Cramirac, à Sergeac. Marié avec Noëlle de Ville, il a une fille, Gabrielle, et deux fils : le premier, qui est également prénommé Jean (†1711), est mentionné en 1670 comme seigneur du Masnègre et "de Pepeyroux" ; il l'est encore en 1687 : "Jean de Vins, seigneur du Masnègre, de Peyperoux et de Cramirac" dépose plainte contre les paroissiens de Valojoulx, de Sergeac, de Tamniès et de Bars, où se trouvent ses domaines, car ils envoient continuellement leurs bestiaux dans ses terres où ils causent de nombreux dégâts ; beaucoup d'arbres sont également coupés lors de ces intrusions. Jean teste au Masnègre le 6 avril 1706. Lui succède son fils Pierre de Vins (†1729), "seigneur du Masnègre, Puypeyroux, Cramirat et autres places", mentionné en 1718, marié le 23 novembre 1689 à Jeanne-Marquèse de Roquefeuilh. Dans les années 1770, le fief appartient à leur petit-fils Marc-Antoine de Vins (1737-1797), écuyer.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les seigneurs du Masnègre vivent en double résidence, une partie de l'année à Sarlat où ils possèdent un hôtel en ville et une partie à la campagne, au Masnègre. Le château est alors le centre d'un vaste domaine dont les terres sont largement consacrées à la viticulture, comme l'attestent la carte de Belleyme levée en 1768 et le cadastre ancien de 1813 – plus précis – qui indique la présence de grandes parcelles de vigne bordant le château, à l'est comme au sud et à l'ouest. La viticulture était à ce point importante aux yeux des propriétaires que ceux-ci se joignent en 1773 à une quinzaine d'autres gentilshommes et notables pour adresser une supplique à l'intendant de Guyenne, Charles-François-Hyacinthe d'Esmangart, contre le monopole des vins bordelais. Cette démarche était d'autant plus nécessaire à ce gentilhomme qu'il tirait une part significative de ses revenus du commerce du vin, comme l'atteste le mémoire dans lequel il "suppli[e] humblement les maires et échevins et principaux habitants de la province de Périgord disant que la vente des vins étant la principale ressource des habitants de cette province, ils n'ont négligé aucune occasion de se soustraire au monopole de la ville de Bordeaux sur cette denrée".
Le 25 janvier 1790, les révolutionnaires se rendent au château du Masnègre, chez "haute et puissante dame Marie-Thérèze de Groudin, veuve d'Anthoine de Vins, seigneur de Masnègre, Pépeyroux, Cramirac et autres places", où ils s'emparent de l'une des girouettes au haut des toits et commettent quelques déprédations. La famille de Vins de Masnègre s'éteint peu après, au commencement du XIXe siècle. Le château passe ensuite à M. Cluzeau de Clérans, maire de Valojoulx puis, à la fin du siècle, à Félix Vasnier. Le journal d'agriculture pratique de 1890 signale à Masnègre une importante production viticole de bonnes variétés, qui vaut à son propriétaire une médaille d'argent (grand module) au concours agricole de Périgueux – en 1897, Masnègre appartient à sa veuve, Mme Edmond-Vasnier.
Le château a fait l'objet d'une dernière grande campagne de modifications et de restauration au cours de la seconde moitié de ce siècle. Le corps de logis au sud-est de la plate-forme et sa tour ainsi que la tour d'escalier hors-oeuvre dans l'angle nord-ouest de la cour sont détruits ; au premier étage, les façades tant sur cour que sur jardins sont percées de grandes fenêtres ayant toutes les mêmes caractéristiques : couvertes en arc segmentaire, elles sont à chambranle lisse, à feuillure pour volets extérieurs et à balconnet en fonte (les deux perçant la tour nord-ouest ouvrent sur des balcons sur cul-de-lampe). Tous les murs sont entièrement enduits, les toits recouverts de lauzes. Certains des balconnets en fonte proviennent des fonderies Baudin, près de Sellières (Jura), mis en vente à partir de 1863 : les travaux seraient donc intervenus après cette date. Par ailleurs, une carte postale ancienne antérieure à 1904 montre l'état du château après ces grands travaux (des réparations de la couverture en lauze sont d'ailleurs alors en cours sur la tour sud-ouest).
Détail de l'historique
| Périodes |
Principale : milieu 13e siècle (incertitude) (détruit) Principale : 2e moitié 16e siècle Secondaire : limite 16e siècle 17e siècle Secondaire : 2e moitié 19e siècle |
|---|---|
| Auteurs |
Personnalite :
Vins (de) François, commanditaire (attribution par travaux historiques (incertitude)) Personnalite : Vins (de) Jean, commanditaire (attribution par travaux historiques (incertitude)) |
Description
Le château domine la vallée de la Seignolle se dressant au sommet d'une colline (à une altitude de 218 mètres), à un peu plus de deux kilomètres au sud-est du bourg de Valojoulx. Le site, stratégique, marquait ainsi autrefois à cet emplacement la frontière sud-est de la châtellenie de Montignac, confrontant aux territoires des paroisses de Tamniès au sud et de La Chapelle-Aubareil à l'est.
Juché sur cette colline, le château est de plan en U autour d'une cour ouverte à l'est, flanqué de deux tours à l'ouest. Le bâtiment principal comprend un long corps de logis en fond de cour, à l'ouest, et deux courtes ailes en retour d'équerre au sud et au nord, hauts d'un rez-de-chaussée et d'un étage carré, les combles n'étant pas habitables. Les deux tours, aux angles sud-ouest et nord-ouest, sont plus hautes car dotées d'un chemin de ronde sur consoles à triple ressaut. Au premier étage, les façades tant sur cour que sur jardins sont percées de grandes fenêtres sans allège, couvertes en arc segmentaire, dotées d'un chambranle lisse, d'une feuillure pour volets extérieurs et d'un balconnet en fonte ; en outre, les deux grandes fenêtres qui percent la tour nord-ouest ouvrent sur des balcons sur cul-de-lampe. Tous les toits sont recouverts de lauzes.
Le château est accompagné par plusieurs dépendances, dont les principales se trouvent à l'est, fermant les trois côtés d'une basse-cour : un long bâtiment longeant le chemin d'accès de ce côté, un grand bâtiment orienté nord-ouest/sud-est en partie couvert en lauze, en partie couvert en tuile et un troisième fermant le petit côté au nord-est.
Un vaste jardin s'étend au sud du château, aménagé en trois grandes terrasses contrebutées par des murs de soutènement épousant les courbes de niveau de la pente, et offrant de larges vues sur la vallée de la Seignolle.
Une longue allée d'arbres orientée nord-sud donne accès au domaine depuis le nord.
Détail de la description
| Murs |
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|---|---|
| Toits |
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| Étages |
1 étage carré |
| Couvertures |
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Informations complémentaires
| Type de dossier |
Dossier d'oeuvre architecture |
|---|---|
| Référence du dossier |
IA24006125 |
| Dossier réalisé par |
Pagazani Xavier
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| Cadre d'étude |
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| Aire d'étude |
Vallée de la Vézère |
| Phase |
étudié |
| Date d'enquête |
2025 |
| Copyrights |
(c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel |
| Citer ce contenu |
Château du Masnègre, Dossier réalisé par Pagazani Xavier, (c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel, https://www.patrimoine-nouvelle-aquitaine.fr/Default/doc/Dossier/c6cf7ee0-3faa-4c85-a3c8-aed8d482b5c5 |
| Titre courant |
Château du Masnègre |
|---|---|
| Dénomination |
château |
| Appellation |
Château du Masnègre Château du Mas Nègre Château du Manègre Château du Masnegré |
| Parties constituantes non étudiées |
puits grange étable jardin avenue de jardin mur de soutènement chai |
| Statut |
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|---|---|
| Protection |
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| Intérêt |
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Localisation
Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Dordogne , Valojoulx , 269 route du Masnègre
Milieu d'implantation: en écart
Lieu-dit/quartier: le Masnègre
Cadastre: 1813 C1 534 à 538, 2025 AM 31