Charron, les bords de Sèvre : présentation

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Un territoire investi dès l’Antiquité et au Moyen Âge

Le territoire de Charron reste longtemps placé en première ligne face aux retours incessants de la mer. Il est pourtant très tôt investi par les communautés humaines. Les traces d’occupation les plus anciennes remontent à l’époque romaine, alors que, probablement, l’archipel est encore entouré par la mer et que ses îles sont en grande partie boisées. Dans les années 1970-1980, des fouilles archéologiques ont mis au jour sur le site du Champs-du-Bois ou Bois de la Chapelle, près du cimetière actuel, les vestiges d’une villa romaine, occupée du Ier au IVe siècle : des éléments de céramique commune, grise ou noire, dont une poterie intacte, des pièces de monnaies, etc. Ce site a continué à être occupé au début du Moyen Âge, comme l’indiquent de nombreux tessons de céramique des Ve-VIIe siècles et 32 tombes chrétiennes, en pleine terre. Parmi elles, un squelette portait une ceinture au décor en cuivre repoussé fixé à une bande en toile, du IVe ou Ve siècle. Une bague en bronze d’époque mérovingienne a aussi été découverte.

En ce début du Moyen Âge, le territoire de Charron évolue avec l’envasement progressif de l’ancien golfe marin. Il semble qu’au Xe siècle, l’archipel est désormais intégré dans l’estran qui entoure la baie de l’Aiguillon. Même si la mer continue à revenir à chaque marée autour de Charron et jusqu’à Marans, l’exploitation des "lais et relais de mer" peut timidement commencer, d’abord à travers des marais salants. La première mention de Charron, en 1099, est ainsi liée à la donation de salines par dame Orengarde, veuve de Gérauld Plan, à l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély. A la même époque probablement, les comtes de Poitiers fondent une chapelle, disputée au début du XIIe siècle par l’abbaye de Maillezais et celle de Fongombault, puis rattachée au prieuré Saint-Etienne de Marans ; elle deviendra église paroissiale Saint-Nicolas au XVe siècle. Au début du XIIe siècle, l’ancien site romain puis mérovingien du Bois de la Chapelle est repris par un prieuré voué à saint Hilaire, également fondé par les comtes de Poitiers au bénéfice de l’abbaye de Fongombault. Les fouilles archéologiques menées sur place ont mis au jour des monnaies médiévales, et surtout des vestiges de bâtiments des XIe-XIVe siècles, à la limite sud du site antique auquel ils étaient reliés par la nécropole, toujours utilisée. Ce prieuré exploite les terres et marais alentours, notamment à travers la ferme du Treuil qui en dépend.

L’affermissement des marais suscite bien d’autres convoitises et engendre d’autres fondations économico-religieuses. Une aumônerie ou maladrerie est mentionnée en 1217 puis en 1400 à Sainte-Croix, avec une chapelle et un cimetière ; elle dépend du prieuré de Mauzé-sur-le-Mignon qui s’en séparera en 1568 au profit des Feuillants de Poitiers. L’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm fonde un établissement annexe à Richebonne, mentionné en 1303, ainsi qu’une autre métairie, à Clou Bouet, de manière à exploiter les marais alentours. Surtout, dès 1188, une abbaye est fondée sur l’île des Groies par Richard, futur roi d’Angleterre. Cette abbaye d’hommes, dépendant de celle de la Grâce-Dieu de Benon, tire parti de nombreux marais à Charron ou à proximité, par exemples dans les marais des Alouettes, à Marans, dont elle entreprend dès 1192 le dessèchement (avec les Templiers de Bernay et l’abbaye de Saint-Léonard-des-Chaumes), première opération de ce type connue dans les Marais poitevin. La situation de ces premiers marais, desséchés ou salants, reste précaire, et les anciennes îles restent perçues comme telles : en 1324, un document concernant Richebonne mentionne le "rocher de Bizé" (Bas-Bizet). Enfin, une seigneurie est fondée à Charron au XIVe siècle ; appelée la Bertinière, elle a le château pour siège.

Située à l’embouchure de la Sèvre Niortaise, site stratégique car porte d’entrée du port de Marans notamment, Charron subit les passages de troupes lors de la guerre de Cent ans. En 1388, une escadre anglaise de 120 vaisseaux, dirigée par Richard d’Arundel, mouille dans l’embouchure du fleuve avant de s’attaquer à Marans. Le territoire de Charron apparaît aussi stratégique du fait de la présence du Brault, port mentionné dès 1324 et point de passage par gué entre le Bas-Poitou et l’Aunis. Bien que d’un accès et d’un usage difficiles, ce site est choisi en 1469 par le roi Louis XI et son frère Charles, duc de Guyenne, pour se rencontrer et mettre fin à la guerre qui les oppose. Il semble qu’une fortification soit établie dès la fin du XIVe siècle au Petit Brault ou port du Corps de Garde où elle est encore signalée au début du XVIIIe siècle puis remplacée par un bureau des douanes. Le lieu-dit les Canons rappelle aussi l’ancienne présence militaire à l’embouchure de la Sèvre Niortaise.

Après les destructions de la guerre de Cent ans, le XVe siècle et la première moitié du XVIe offrent un répit à Charron comme à toute la région. D’anciennes terres abandonnées sont converties en marais salants. En 1464, Charles d’Anjou, seigneur de Charron, échange ainsi avec l’abbaye de Charron une pièce de terre appelée le Clou de Brie, transformée en marais salants, contre une autre pièce de marais. Le passage du Brault, dont l’accès est notamment surveillé par le logis fortifié de Beaulieu, est de plus en plus emprunté, de même que le chemin qui, à travers les marais de Richebonne, conduit à Marans. Le village de Bourg-Chapon est mentionné en 1540. Les guerres de Religion mettent fin à cette période de relative prospérité. Le prieuré Saint-Hilaire, l’église paroissiale et l’abbaye sont dévastés. Le château est pris et repris par les différentes troupes, notamment par Henri IV en 1588. Les bâtiments du prieuré ne s’en relèveront pas ; seul demeureront ses bénéfices jusqu’à la Révolution. Le château, lui, est reconstruit dès 1596, tout comme l’église au XVIIe siècle et l’abbaye.

Des marais et des bouchots (XVIIe-XVIIIe siècles)

A l’issue de ces conflits, les marais de Charron, du moins ceux situés à l’est, en direction de Marans, sont concernés au XVIIe siècle par les grandes opérations de dessèchement qui concernent alors toute la partie aval du Marais poitevin. Certains ouvrages médiévaux (canaux de la Brune et de la Brie) sont remis en état, d’autres (canaux de la Banche et du Cravans) sont créés. Le site des écluses du Brault s’étoffe de portes construites à l’embouchure de chacun de ces canaux. L’initiative de tous ces travaux revient à des particuliers, seuls ou regroupés au sein des puissants syndicats de marais. Fait rare à Charron : alors que, partout ailleurs, les autorités religieuses ont renoncé à participer à l’opération, faute de moyens financiers suffisants, une partie des marais au sud de Charron sont mis en valeur par les oratoriens de La Rochelle dans les années 1650. La carte de la région établie par Claude Masse en 1701 montre ces marais de l’Oratoire et ceux aménagés à l’est de Richebonne, tandis qu’à l’ouest, la mer inonde encore régulièrement les marais au pied de Bourg-Chapon et du bourg. Des marais salants occupent l’espace entre le bourg, l’abbaye et le château, ainsi qu’entre le château, Badoran et Sainte-Croix.

La population de Charron s’élève en ce début du XVIIIe siècle à environ 1200 habitants (300 feux). Elle est principalement constituée de travailleurs qui allient pêche, chasse, céréaliculture et viticulture. La "pêche aux oiseaux" est réalisée à l’aide de filets ou "retz", tendus sur des pieux fixés dans la vase de la baie de l’Aiguillon et auxquels on accède en bateau à marée haute, et même à marée basse sur de petites embarcations ou "acons" qui glissent sur la vase, poussées par le pêcheur-chasseur à l’aide de son pied. Ces pieux ou "bouchots" sont également utilisés pour la pêche des poissons, en plaçant des filets et autres engins de pêche entre les pieux.

Ce sont aussi ces bouchots qui, à partir du XVIe siècle, permettent l’essor d’une nouvelle activité : la conchyliculture. En 1514, le Coutumier général d’Aunis traite des droits concernant ces "moulières". Mise au point dès le Moyen Âge, selon la légende, par un navigateur irlandais, Patrick Walton, échoué à Esnandes, la technique est mentionnée par Claude Masse sur sa carte de la région en 1701, puis décrite et dessinée en 1750 par Charles-Jean-Baptiste Mercier Dupaty dans son Mémoire sur les bouchots à moules pour servir à l’histoire naturelle du pays d’Aunis. En plus de permettre de tendre des engins de chasse et de pêche, les pieux des bouchots sont propices à la fixation et à la prolifération des moules. Ils sont alors plantés en deux rangées entrelacées de fascines (branches d’aulne de six mètres de long) et formant un V dirigé vers la mer. A l’extrémité du V, on place des paniers appelés bourgnes ou bourgnons dans lesquels le poisson s’engouffre à marée basse. Les boucholeurs, nom donnés à ceux qui se spécialisent dans cette production, accèdent à leurs bouchots à l’aide de leurs acons. Cette activité, souvent lucrative, nécessaire pour pouvoir payer le loyer du bouchot, est la plupart du temps complétée par la pêche et l’agriculture, notamment la vigne et élevage. Certains boucholeurs font alors partie de l’élite agricole et rurale de la paroisse.

L’usage des bouchots est toutefois soumis à autorisation et concession de la part de l’abbaye de Charron d’une part, du seigneur des lieux d’autre part, propriétaires des vases, misottes et marais sur lesquelles se déroule l’activité. En 1664 par exemple, Abel Tiraqueau, sergent royal, notaire et greffier de la châtellenie de Charron, rend déclaration à l’abbaye pour "deux tiers dans une mare propre à prendre et pêcher des oiseaux avec pareil droit de la landerie et pêcherie desdits oiseaux autour de ladite mare, de la longueur de trois fois cinquante brasses, située en les mainsottes dépendant de ladite abbaye, tenant d’un côté à l’achenal ou agoût de la Chaudière, quelques prés mainsottes entre deux". En 1673, le seigneur ou baron de Charron accorde à Jacques Bugeau, marchand, "une place sur les vases de la dite baronnie pour construire et bâtir un bouchault, tenant du midi au bouchaud appelé les Chaudières, au nord au bouchaud appelé Lazare, de l’est au Grand bouchaud, à la charge de construire le dit bouchaud incessemmant et de l’entreteniré. En 1689, bail à ferme est passé au profit de Pierre Sallé, marchand, des "escosseaux" ou misottes de Lavinaud, devant le bourg de Charron, à charge de faire des "ruissons" nécessaires pour l’écoulement des eaux. En 1761 encore, le seigneur de Charron vend à Jacques Ellebert, pêcheur, et Sébastienne Chauveau son épouse, un "boucheau appelé le Petit Nicolas, situé sur les vases de la seigneurie, confrontant de l’orient aux vases du dit Charron, de l’ouest au boucheau appelé la Carte, appartenant à Jean Sarrazin, du midi au boucheau appelé la Marie, et du nord au boucheau le Petit Etienne appartenant à Etienne Douhaud ; plus la moitié du boucheau de la Marie, avec sa moitié de la pêche dudit boucheau en dépendant, l’autre moitié appartenant audit Ellebert et à Etienne Bujeau", confrontant du nord à la Sèvre Niortaise. La vente est consentie contre une rente annuelle en nature, soit un plat de poisson estimé à 20 sols pour le bouchot du Petit Nicolas, et une "lavée" de moules de 20 sols pour la Marie.

A ce type d’activités, conchylicoles et agricoles, s’en ajoutent certaines liées à la situation spécifique de Charron. Les hauteurs des anciennes îles sont par exemple mises à profit par la meunerie : quatre moulins à vent sont recensés sur la carte de Claude Masse en 1701 et vont perdurer jusqu’à la fin du XIXe siècle, voire celle du XXe siècle. Le moulin des Sables notamment, démoli en 1930, est cité en 1626 parmi les dépendances du seigneur de Charron. Par ailleurs, Charron accueille les voyageurs qui passent entre Aunis et Bas-Poitou, via le Brault. Jusqu’au XIXe siècle, l’itinéraire, peu commode, passe, en venant du sud et d’Esnandes, à travers les marais, notamment ceux de l’Oratoire, puis à l’est du château, via Beaulieu, de là à Bas-Bizet et au passage du Brault. A Bas-Bizet, deux auberges, le Plat d’Etain et le Cheval Blanc, tenues par la famille You, sont mentionnées à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe.

A la fin du XVIIIe siècle, Charron connaît une nouvelle étape de poldérisation, bien plus importante encore, sur son territoire, que celles du Moyen Âge et du XVIIe siècle. Auparavant, les oratoriens de La Rochelle ont vendus leurs marais de l’Oratoire à de riches propriétaires, demeurant notamment à La Rochelle. Ces marais ont été divisés en plusieurs cabanes (la Quatorze, les Petites Laisse et les Grandes Laisses). Surtout, l’envasement de la baie de l’Aiguillon a produit de nouvelles misottes ou prés salés tout le long de la baie et de la Sèvre Niortaise. La mise en culture de ces « laisses de mer » qui s’étendent au pied même du bourg et de Bourg-Chapon, est réalisée dans le sillage de la déclaration royale de 1764 qui encourage les nouveaux dessèchements. L’initiative revient cette fois à Pierre Chertemps de Seuil, seigneur de Charron. Lui et ses associés (dont les abbayes de la Grâce-Dieu de Benon et de Saint-Léonard-des-Chaumes, le marquis d’Aligre, seigneur d’Andilly, et de nombreux propriétaires de marais en amont de Sérigny) sont autorisés par un arrêt du Conseil d’Etat du 3 septembre 1773 à constituer le Syndicat des marais d’Andilly, Charron et Longèves et à dessécher les laisses de mer qui leur appartiennent, distraites du domaine royal. Pierre Chertemps de Seuil est nommé premier directeur du syndicat. Outre le creusement du canal du Curé, au sud, et le prolongement de celui de la Chaudière, qui drainait déjà le marais de l’Oratoire, une digue est édifiée entre 1773 et 1776 tout le long de la côte et de la Sèvre Niortaise, depuis les portes du Curé jusqu’aux écluses du Brault, en passant par l’ouest du bourg de Charron, la pointe des Canons et le Corps de Garde. 350 hectares sont ainsi mis en culture au nord et à l’ouest de Charron et de Bourg-Chapon.

Lorsque la Révolution survient, Charron vient de subir plusieurs années difficiles en raison de tempêtes qui ont emporté les nouvelles digues, en 1787 notamment, et aussi du gel qui a paralysé la baie de l’Aiguillon et ses bouchots. En août 1789, une émeute éclate contre l’accaparement des grains : une foule venue des paroisses environnantes, dont Charron, va au Brault se saisir du navire "La Sylphide" et de son chargement de blés. La nouvelle commune, qui compte 910 habitants en 1790, voit les biens de l’abbaye et du seigneur de Charron, émigré, saisis et vendus comme biens nationaux. La famille Chertemps de Seuil retrouvera cependant la plupart de ses biens après l’Empire. Parmi les autres propriétés saisies et vendues, les marais de Richebonne et de Cravans sont rachetés par le député rochelais Samuel Demissy qui constitue en 1800 une Société des marais de Cravans.

Toujours plus de polders et de bouchots (XIXe siècle - début du XXe)

Dans les années 1820, la commune compte encore 36 hectares de vignes et 11 de bois, concentrés sur les terres hautes. Ils sont toutefois nettement marginalisés par rapport aux terres labourées (41 % de la superficie communale) et aux prairies (56 %) dont l’extension est favorisée par les récents dessèchements. Le nombre d’habitants augmente régulièrement tout au long du XIXe siècle : 607 en 1815, 958 en 1833, 1021 en 1851, 1314 en 1886. En 1866-1868, la commune est désenclavée grâce à la construction de la route de La Rochelle au Brault (future route D9). Ces améliorations ne font pas oublier que le territoire de Charron continue à subir les assauts de la mer malgré les nouvelles digues construites à la fin du siècle précédent. En octobre 1820, une nouvelle tempête emporte la digue de garde sur 520 mètres, occasionnant de grandes pertes dans les marais. De plus, le trait de côte ne cesse d’avancer en direction de la baie de l’Aiguillon, au fur et à mesure de son envasement qui semble s’accélérer. Des riverains investissent peu à peu ces nouvelles terres qui, pourtant, relèvent du domaine public. Un accord est passé en 1853-1854 avec l’Etat et sert de base à de nouvelles poldérisations.

Curieusement, contrairement à la manière de procéder depuis des siècles, l’Etat n’applique pas de plan concerté qui serait confié à un syndicat de propriétaires. Il préfère donner les nouvelles terres en concession aux acheteurs qui se présentent individuellement. Les nouveaux polders qui se développent alors en avant de la digue de 1773-1776, à l’ouest et au sud-ouest du bourg, notamment dans les Grandes Mizottes, prennent la forme de parcelles en lanières, très étroites, perpendiculaires à la nouvelle digue Ouest constituée par agrégation de ces multiples endiguements. Les services des Ponts et chaussées n’interviennent que pour valider le profil des nouvelles digues. Le mouvement se poursuit dans les années 1870 et 1890. En 1899, un syndicat rassemble les très nombreux propriétaires des Grandes Mizottes et de leur digue pour uniformiser et recalibrer celle-ci à une hauteur de 2,10 mètres ou 5,20 mètres NGF. Toutes ces opérations permettent aux marais de Charron, contrairement à leurs voisins, d’échapper aux inondations de 1864 et 1890. Toutefois, ces nouveaux polders s’effectuent sur des terres plus longtemps engraissées par l’envasement de la baie que les polders du Moyen Âge et du XVIIIe siècle en amont. Ces terrains sont donc plus hauts que ceux situés en arrière et plus bas que les vases de la baie, d’où un effet de cuvette, néfaste à long terme. En avant des nouvelles digues, l’Etat attribue régulièrement aux enchères le droit d’exploiter les prés salés, pour le pâturage et la fauche de l’herbe. En 1903-1904, les efforts portent aussi sur l’embouchure de la Sèvre Niortaise pour améliorer l’accès par les bateaux et aussi l’écoulement de l’eau. Un petit bras de fleuve qui, au cœur de son tout dernier méandre au nord-ouest du Corps de garde, délimitait un îlot, est supprimé. Surtout, le Rocher, émergence calcaire au beau milieu de l’embouchure au nord du port du Pavé, est arasé.

Favorisée par ces aménagements, l’économie charronnaise profite beaucoup au XIXe siècle de l’essor de la conchyliculture. En 1894, on dénombre 1500 bouchots contre 500 un demi-siècle plus tôt (et 56 en 1727). Un nombre croissant de Charronais vit de cette activité : une grande majorité d’habitants de la commune sont boucholeurs, tout en ayant bien souvent en parallèle une activité agricole. Depuis la Révolution, la municipalité a pris le relai du seigneur et de l’abbaye de Charron pour attribuer les autorisations d’établissement des bouchots et des équipements nécessaires à l’activité des boucholeurs. En 1884 par exemple, le conseil municipal autorise Gustave Boissinot et Jean Massé-Debien, boucholeurs, à "construire sur le terrain communal appelé rive de Bourg-Chapon (...) une grotte (sic) mesurant 2 mètres de largeur sur 4,50 mètres de longueur environ (...), considérant qu’un grand nombre de grottes de boucholeurs se trouvent établies depuis longtemps sur le terrain dont il s’agit". Dès 1883, un chemin et une grève sont créés à l’ouest de la pointe des Canons pour faciliter l’accès aux bouchots. Le port du Pavé naît de ces aménagements, tout comme les équipements du port du Petit Brault ou du Corps de Garde. A l’époque, ce sont 1900 tonnes de moules et d’huîtres qui sont débarquées chaque année, puis expédiées partout en France via la gare de Marans.

Cette activité est toutefois régulièrement menacée ou remise en cause. Vers 1835, un banquier parisien, M. Delamarre, propose de dessécher intégralement la baie de l’Aiguillon ; c’est à cette époque que le botaniste Charles Dessalines d’Orbigny développe la légende de l’invention des bouchots par Patrick Walton au Moyen Âge, pour légitimer cette activité. En 1853, les bouchots en V, accusés de favoriser l’envasement de la baie, sont interdits. En 1868, à la suite de la perte de sa cargaison d’huîtres creuses portugaises par un navire dans l’estuaire de la Gironde, cette espèce d’huître fait son apparition sur les bouchots de la baie de l’Aiguillon, menaçant le développement des moules. Malgré tout, la commune continue à se développer pendant la première moitié du XXe siècle. Outre les boucholeurs, agriculteurs, artisans et commerçants forment l’essentiel de la population. Le nombre d’habitants atteint 1422 en 1906, puis stagne à entre 1200 et 1250 dans l’entre-deux-guerres. La construction, en 1915, d’un premier pont mobile sur la Sèvre Niortaise, près des écluses du Brault, favorise les échanges. Chaque année, le conseil municipal statue sur les dates d’ouvertures et de fermetures des pacages communaux ou encore sur la coupe des herbes et tamaris, etc.

Charron dans la seconde moitié du XXe siècle

Arrive alors la Seconde Guerre mondiale, période douloureuse pour la commune, située à la fois aux portes de La Rochelle et sur le site, de nouveau stratégique, du Brault, point de passage entre la Vendée et la Charente-Inférieure. Charron est occupé dès juin 1940. Les Allemands se font très présents, notamment autour du port du Pavé et du pont du Brault. Des actions de résistance sont menées dans les environs, notamment sous la direction de Paul Bourgeon, curé de Charron. Un jeune Charronnais, Léon Biron, 21 ans, est arrêté en mai 1944 et meurt en déportation. Le 4 septembre, des miliciens saccagent la mairie. Peu après, un soldat allemand est abattu dans le café du Centre par deux FFI, des otages sont emmenés puis libérés. Le 5 octobre, d’importants combats mettent aux prises le 93e RI et les FFI aux Vrillandes. Le 9, des FFI détruisent le mécanisme du pont mobile du Brault. La Poche de La Rochelle est bouclée dès le 12 septembre 1944 ; elle s’étend jusqu’à Charron et à la Sèvre Niortaise. Un no man’s land est défini le 18 octobre, entraînant l’évacuation des populations de 38 communes autour de La Rochelle, dont Charron. Déserté, le bourg est pillé par les deux camps. En janvier 1945, des combats ont lieu aux écluses du Brault. Après la libération de la Poche le 8 mai 1945, les habitants retrouvent leurs maisons, saccagées pour beaucoup, le 8 juin.

Outre la reconstruction des habitations et infrastructures, la question de l’entretien des marais et des digues, délaissés pendant la guerre, se fait pressante après 1945. Déjà en 1937-1938, le conseil municipal avait alerté l’Etat sur l’état de la digue Nord au niveau des Faux Tours. Le 16 novembre 1940, une rupture des digues a amené la mer jusqu’au pied du bourg, faisant une victime. En novembre 1945, le conseil municipal réclame de nouveau des travaux urgents sur la digue des Grandes Mizottes et, en septembre 1946, les propriétaires riverains de la digue des Faux Tours rechignant à se constituer en syndicat pour financer et coordonner les travaux, demande est faite au préfet de les forcer à participer aux opérations. Un Syndicat des marais Nord de Charron est finalement constitué en 1953, et la reconstruction de la digue Nord est décidée en 1954. Après 1947, de nouvelles ruptures de digues ont pourtant lieu en 1957.

L’année précédente, c’est le gel des eaux de la baie de l’Aiguillon qui cause des ravages dans les bouchots. En 1958-1960, les boucholeurs s’élèvent contre une autre menace : un projet d’endiguement et de fermeture complète de la baie de l’Aiguillon, finalement abandonné. La mytiliculture entre à cette époque dans une phase de modernisation de ses techniques et pratiques. Dès les années 1930, l’antique accon a fait place aux dériveurs à fond plat, avec voile et rame puis motorisés, eux-mêmes abandonnés dans les années 1960. Des bateaux-ateliers font leur apparition dans les années 1980, alors que l’on développe la mytiliculture de filières, plus au large. Vers 2000, le secteur fait travailler 200 personnes, sur et autour de 30 bateaux-ateliers. 10 000 tonnes de moules, de filière ou de bouchot, sont produites par an, malgré les conflits d’usage entre l’agriculture céréalière, très consommatrice d’eau douce et très productrice d’intrants agricoles qui dégradent la qualité de l’eau rejetée dans la baie de l’Aiguillon, et la mytiliculture qui dépend de cette bonne qualité.

Dans le même temps, et pendant toute la seconde moitié du XXe siècle, Charron connaît une pression démographique et donc foncière croissante. En 1952, pour pallier au manque de logements, le conseil municipal décide d’étendre aux terrains communaux un dispositif de prime à la construction. Le 16 février 1954, il approuve un projet de lotissement sur les terrains communaux situés au nord du bourg (future place du 14 Juillet). En 1968, un autre lotissement communal est créé à la Marina, et celui du 14 Juillet est étendu. Tout en investissant les terres hautes (au sud de Bourg-Chapon et de Bas-Bizet par exemple), l’urbanisation gagne dans les années 1960, 1970 et 1980 sur le pont sablonneux entre les anciennes îles du bourg et des Groies, puis dans les terrains bas en arrière de ce secteur (rue du 19 Mars). Les constructions se multiplient dans les anciens polders de la fin du XVIIIe siècle situés à la limite ouest du bourg et des Groies, ou encore au nord de Bourg-Chapon (lotissements des Sables et de la Marina, rue de la Laisse). La commune, qui comptait 1307 habitants en 1962, voit ce chiffre monter à 1538 en 1982, 2337 en 2010. Sa population est désormais faite pour l’essentiel d’actifs qui travaillent à La Rochelle ou de retraités, pour beaucoup arrivés récemment dans la commune. On ne dénombre plus que 23 mytiliculteurs et 10 agriculteurs. 833 logements sont recensés en 2008, contre 246 en 1949 ; 139 nouvelles maisons sont sorties de terre entre 1949 et 1975, 104 entre 1975 et 1981, 136 entre 1981 et 1998, encore 207 entre 1999 et 2005.

Xynthia et ses suites

Après une première alerte lors de la tempête de décembre 1999, la tempête Xynthia, qui frappe Charron comme toute la façade atlantique dans la nuit du 27 au 28 février 2010, est un véritable électrochoc pour la commune, un rappel à son histoire d’archipel puis de terres poldérisées depuis le Moyen Âge. La vague submerge les digues Nord et Ouest dont le mauvais entretien, déploré depuis des décennies, a été accentué par leur éclatement, dès leur construction au XIXe siècle, entre de nombreux propriétaires. L’eau déferle sur les maisons de la Marina, des Sables, de la place du 14 Juillet, des rues des Jardins, de la Laisse et du 19 Mars. On déplore trois morts dans le secteur de la place du 14 Juillet. L’inondation frappe davantage l’ouest de la commune, formé de terrains poldérisés extrêmement plats, que l’est où les sinuosités des anciens marais salants freinent la progression de la vague. En revanche, une fois entrée dans les marais, l’eau a du mal à s’en évacuer par l’effet de cuvette là-encore observé dès la conception des polders aux XVIIIe et XIXe siècle, sur des terrains de plus en plus bas à mesure que l’on s’éloigne de la baie de l’Aiguillon.

A la suite de cette catastrophe, l’Etat prend la décision de définir des zones dites de solidarité ou "zones noires" à l’intérieur desquelles toutes les maisons seront rachetées et démolies et toute nouvelle construction interdite. 201 maisons sont ainsi détruites à Charron entre 2010 et 2017 ; les quartiers de la Marina, des Sables, du 14 Juillet, de la rue de la Laisse et de la rue du 19 Mars disparaissent. La population de la commune chute de 15 %, passant à 1980 habitants en 2015. Les années qui suivent Xynthia sont mêlées de polémiques sur l’entretien des digues et d’espoir de redynamiser la commune. Les espaces déconstruits sont repris par la commune qui choisit de les entretenir par le pâturage de moutons. Une nouvelle zone commerciale est créée au sud de Bour-Chapon. En 2011, des travaux d’urgence sont entrepris sur la digue Nord, au Brault et aux Faux Tours, ainsi que sur la digue Ouest. Riverains et municipalité réclament la reconstruction de la digue Nord. En 2013, sans plus attendre les autorisations, la municipalité fait construire une contre-digue entre Bas-Bizet et la Loge de manière à protéger les habitations de Bourg-Chapon contre une future inondation.

Charron est la commune la plus en aval sur la rive gauche de la Sèvre Niortaise, en Charente-Maritime. Elle s’est développée à partir d’un ancien archipel, véritable tête-de-pont du Marais poitevin sur le côté est de la baie de l’Aiguillon. Son territoire, conquis peu à peu sur l’eau, est encore aujourd’hui, et parfois de manière tragique, en prise directe avec cet environnement si particulier.

La commune de Charron couvre 37,54 kilomètres carrés. Elle présente une double façade fluviale ou maritime : au nord sur la Sèvre Niortaise, à l’est sur la baie de l’Aiguillon. Dans le premier cas, son territoire épouse les derniers méandres du fleuve avant qu’il ne se jette dans la baie, depuis l’anse du Brault jusqu’au port du Pavé. Près du port du Corps de Garde, on observe un probable ancien méandre de la SèvreAu bord du fleuve et au-delà du port du Pavé, vers le sud, s’étire une bande plus ou moins profonde de schorres ou prés salés, autrement appelés misottes, précédant les vases de la baie de l’Aiguillon recouvertes à chaque marée, ou slikkes. Toute cette côte et toute la rive de la Sèvre Niortaise sont bordées par des digues (digue Nord et digue Ouest) qui protègent les marais en arrière.

Car, à l’abri plus ou moins efficace de ces digues à la mer ou digues de garde, le territoire de Charron s’est développé depuis le Moyen Âge par phases successives de poldérisation. La commune comprend ainsi des marais aménagés au pied d’un ancien archipel, parmi les terres hautes du Marais poitevin les plus proches de la baie de l’Aiguillon. Cet archipel est composé de quatre îles : celle sur laquelle s’est établi le bourg ; la longue île, au nord, qui va de Richebonne, à l’est, à la pointe des Canons, à l’ouest, en passant par Bourg-Chapon ; l’îlot de Ruffet, au nord-est de la ferme de Cravans ; enfin, au sud-est du précédent, l’île de Badoran et de la Palle, avec les fermes du même nom. Ces anciennes îles présentent une faible altitude : pas plus de 11 mètres à Richebonne et à Badoran, 9 aux Groies, 7 à l’Abbaye, à l’église et au château, 6 au cimetière. Le sol de ces îles est calcaire, parfois sablonneux comme à l’extrémité nord de l’ancienne île du bourg.

Tout autour de cet ancien archipel, depuis les frontières de la commune avec Marans à l’est, Andilly et Esnandes au sud, jusqu’aux digues de garde, s’étendent de marais dits intermédiaires, constitués à la fois de vastes polders desséchés et d’anciens marais mouillés, vestiges de marais salants, où l’eau peut rester en surface, avec des parcelles de plus petite taille. Ici, rien n’arrête le regard, guidé par les lignes droites des canaux principaux ou secondaires. C’est à peine si émergent au-dessus de cet horizon les bâtiments des grandes fermes ou cabanes qui exploitent ces marais.

Au nord-est, quatre des grands canaux évacuateurs des marais desséchés du Marais poitevin côté Charente-Maritime, drainant les eaux depuis une trentaine de kilomètres en amont, aboutissent aux portes ou écluses du Brault. Le même site reçoit l’embouchure du canal de Marans à la mer ou canal maritime. Tous ces canaux jettent leurs eaux dans l’anse du Brault où s’enchevêtrent terre, vases, prés, digues, fleuve et ruissellements. A la limite sud de la commune, le canal du Curé et le canal de Villedoux acheminent les eaux collectées dans les marais également très en amont, jusqu’à leurs portes et à leurs chenaux qui interrompent la digue Ouest.

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