Le département de la Charente-Maritime, appelé Charente-Inférieure jusqu'en 1941, a été constitué en 1790 par la réunion de l'Aunis et de la plus grande partie de la Saintonge, avec une petite portion du Poitou et de l'Angoumois. Il compte de nos jours cinq arrondissements : La Rochelle, Rochefort, Saint-Jean-d'Angély, Saintes et Jonzac.
Il appartient au nord du Bassin aquitain et, dénué de reliefs accentués, il présente une succession de plaines, de collines et de plateaux. Schématiquement, le territoire se partage en deux grandes zones géologiques séparées par la Charente (carte 1). Cette partition se trouve grandement nuancée par les différentes natures des sols qui déterminent ses vocations fondamentales (carte 2). Au nord et à l'ouest, des terrains alluvionnaires forment des marais côtiers aménagés en salines ou en parcs ostréicoles. A l'extrême sud, des dépôts tertiaires constituent une zone sédimentaire présentant un paysage de landes, où règne une forêt de pins maritimes. La terre de groie, qui recouvre une bonne partie du département, est fertile et favorable à la polyculture, tandis que la terre d'aubue et de Champagne des coteaux crayeux situés au sud-est de Saintes et au sud de l'estuaire de la Seudre est propre à la viticulture et à la céréaliculture.
Ce département, largement ouvert sur la mer, puisqu'il possède plus de 200 km de côtes, est traversé par la Charente qui le fertilise et qui, navigable d'Angoulême à l'océan, a joué un rôle de premier plan en facilitant les liaisons avec les pôles voisins, gros producteurs et grands consommateurs, tels que La Rochelle et Bordeaux, mais également avec les secteurs situés plus à l'intérieur des terres comme le Périgord.
Il est parcouru par de nombreuses voies navigables et un ensemble de routes très dense ; le réseau ferroviaire est venu compléter ces voies de communication à partir de 1857, année de l'ouverture de la ligne Paris-La Rochelle. Puis, à partir de 1890, un réseau local à voie métrique, installé par la Compagnie des chemins de fer économiques des Charentes, vint parachever ce mouvement en desservant l'ensemble des chefs-lieux de canton (carte 3). Les Ateliers de Saintes, établissement créé en 1877 pour la réparation du matériel roulant, sont emblématiques de cet essor du chemin de fer. A la fin du 19e siècle, le désenclavement des campagnes est achevé et va permettre l'essor industriel.
Les caractères généraux des établissements industriels
Les 217 établissements recensés sont répartis de façon à peu près homogène sur l'ensemble du territoire, suivant en cela la distribution de l'agro-alimentaire, qui domine largement les autres branches. Mises à part Saint-Jean-d'Angély et Jonzac, qui rassemblent de nombreuses distilleries, les autres agglomérations cumulent agro-alimentaire et autres secteurs d'activité. Certaines ont des fonctions portuaires (La Rochelle, Rochefort, Tonnay-Charente) et accueillent des usines d'engrais, dérivées des importations de matières premières, et des établissements de construction mécanique ou navale. D'autres sont des noeuds ferroviaires : Saintes cristallise de multiples activités autour de ses ateliers mécaniques.
Trente-sept seulement des établissements ont utilisé l'énergie hydraulique, ce qui prouve que le département fut industrialisé tardivement. On constate en effet que les trois quarts des sites datent de la fin du XIXe siècle ou des années 1900-1920. Cinq établissements seulement sont antérieurs au XIXe siècle : l'arsenal de Rochefort, le moulin de la Baine à Chaniers, une raffinerie de sucre à La Rochelle, le moulin de Lucérat à Saintes et la tannerie de Fontbouillant à Montguyon. Seuls l'arsenal et la raffinerie de sucre peuvent être considérés comme des sites authentiquement industriels ; les autres établissements ont été pris en compte en raison du développement qu'ils ont connu ultérieurement. Le moulin de la Baine est un cas atypique : ses cinq roues hydrauliques n'en font déjà plus un établissement artisanal, même s'il ne présente pas les caractères d'un véritable site industriel. Dans la première moitié du XIXe siècle s'installent deux moulins à marée, deux minoteries, une usine de chaux, deux briqueteries, deux distilleries et une station de pompage. Enfin, entre 1925 et 1950, on ne dénombre que 29 usines nouvelles qui appartiennent à divers secteurs d'activité.
La filière agro-alimentaire regroupe plus des deux tiers des 217 sites. Les laiteries industrielles sont les plus nombreuses, suivies par les distilleries et les minoteries, puis viennent quelques caséineries, biscuiteries et conserveries. Quarante minoteries ont été recensées. A l'exception de sept d'entre elles, toutes utilisaient l'énergie hydraulique et se sont installées sur l'emplacement d'un ancien moulin. Rares sont celles qui ont conservé leur moteur : 6 roues et 4 turbines hydrauliques seulement ont été repérées. Trois minoteries sont d'anciens moulins à marée ; ces derniers étaient encore au nombre d'une dizaine dans le département au début du XXe siècle. Parmi les sept autres minoteries, cinq ont été bâties ex nihilo, une a remplacé une distillerie de betteraves et la dernière une caséinerie ; leurs machines étaient mues par l'énergie thermique. Le moteur à bateau qui actionnait la minoterie Gautier, David et Cie à La Jarrie dès sa création en 1901 est encore en place.
Les plantations de peupliers dans la vallée de la Boutonne ont permis l'installation d'usines de contre-plaqué ; les poches d'argiles blanches au sud du département, celle d'usines de chamotte ; l'argile rouge, celle de briqueteries, et le calcaire d'âge crétacé supérieur de la Saintonge, celle de carrières de pierre à bâtir. Enfin, le calcaire du jurassique a été utilisé pour la fabrication de la chaux à Charron, Nieul-sur-Mer, Aytré, Royan et Clérac ; une importante cimenterie s'est installée en 1904 à Mortagne-sur-Gironde.
Des conjonctures particulières sont également à l'origine de certaines implantations. Les deux guerres mondiales ont ainsi provoqué des transferts ou des créations d'usines dans ce département éloigné du front. C'est le cas de la Compagnie royale asturienne des mines, qui s'établit à Tonnay-Charente en 1915, lorsque son usine de Douai fut occupée par l'ennemi. En 1940, une filature de jute, appartenant à une société alsacienne, originaire de Bitschwiller dans le Haut-Rhin, s'est installée à Saint-Jean-d'Angély dans les locaux d'une ancienne brasserie. Pour pallier l'interruption des importations de coton, une usine de rouissage et de défibrage de tiges de genêts a été créée vers 1943, à Saint-Vaize, par le Comptoir des minéraux et matières premières.
Quelques personnalités ont marqué l'industrialisation du département. A La Rochelle, au début du siècle, le Norvégien Oscar Dahl joua un rôle de tout premier plan dans le domaine de la pêche, du traitement et du marché du poisson. D'origine modeste, il possédait, à la fin de sa vie, une flotte de quatorze bateaux pour la pêche hauturière, une fabrique de glace, une fabrique de farine de poisson, des ateliers de réparation et un commerce de charbon. La deuxième maison d'armement rochelaise, la Compagnie familiale Delmas et Vieljeux, créée vers 1900, qui possédait trente-cinq navires et des chantiers navals, s'est également livrée à l'importation du charbon et à son traitement dans des usines d'agglomérés. En 1905, le duc Maurice Lannes de Montebello, prince de Siévers, achetait le domaine de la Bruyère, à Souméras, pour en faire un modèle d'exploitation agricole à vocation industrielle et commerciale, comprenant laiterie, porcherie et élevage de volailles ; les produits étaient transformés sur place et vendus dans le réseau de boutiques que possédait le duc à Bordeaux et à Paris. A Saintes, en 1899, les distillateurs Rouyer-Guillet ont commandité l'installation de la conserverie Pélissier et Rivière, le long du boulevard tracé sur un terrain qu'ils avaient offert à la ville. A Saintes encore, Paul Bonniot, entrepreneur de travaux publics, s'associa avec son gendre, Adrien Genevière, pour créer une usine de céramique et d'agglomérés, qui cessa son activité dès les années 1930. La façade du logement patronal, encore conservé, montre un bel échantillonnage des produits de l'entreprise. Xavier Bureau et ses associés Paul et Gaston Barbet transformèrent en 1884 un ancien moulin de Corme-Ecluse en usine à papier ; cet établissement a fermé dans les années 1980.
Plusieurs architectes sont intervenus dans la construction des bâtiments industriels du département, mais leur nom ne nous est pas toujours connu. A l'arsenal de Rochefort, le programme d'équipement national requiert la participation d'architectes et d'ingénieurs royaux : François Blondel pour la corderie, Le Vau pour la vieille forme et Arnoul pour la forme double. Parfois, la mise en valeur d'une identité régionale et du produit qui en est issu nécessite une architecture emblématique ; les distillateurs Rouyer-Guillet font appel à l'architecte municipal de Saintes, Eustase Rullier, pour la construction de leur logement en 1882. L'architecte Olliviers bâtit en 1901 un réfectoire et une remise dans la distillerie de la Péraudière à Jonzac. André Guillon, de Saint-Jean-d'Angély, réalise une caséinerie dans la laiterie d'Asnières-la-Girault en 1930, ainsi que la laiterie de la Belle-Judith à Rochefort dans les années 1940. Vers 1950, les architectes Ch. Pavid et W. Barbey participent à l'agrandissement ou à la transformation de plusieurs laiteries à Saint-Jean-de-Liversay, Taugon, Surgères et Aytré. De nouvelles techniques, enfin, sont utilisées dans les usines modernes : l'usine d'hydravions SCAN, construite en 1946, est l'oeuvre de Georges Letelier, ancien Prix de Rome ; Le Corbusier avait également fourni un projet pour cette construction.
Certains bâtiments présentent un intérêt architectural, pour leur technique de construction, leur fonctionnalité ou leur aspect esthétique, les trois caractères étant parfois réunis. Parmi ceux-ci, on mentionnera bien sûr la corderie royale et les trois formes de radoub de l'arsenal de Rochefort, protégés au titre des Monuments historiques, mais aussi, toujours à l'intérieur de cet établissement, l'atelier des modèles de 1806, ainsi que les ateliers des forges des années 1850. Pour l'époque contemporaine on peut citer l'atelier de montage de l'actuelle usine Gec-Alsthom d'Aytré (1923), dont les cinq vaisseaux sont couverts de lanterneaux transversaux dans la partie centrale, l'atelier de chaudronnerie de la Compagnie du Phospho-Guano de La Rochelle (vers 1920), constitué de cinq vaisseaux couverts de voûtes en berceau segmentaire en béton armé, l'usine d'hydravions SCAN, à La Rochelle (1946), de type halle, et le silo de Courçon, constitué d'une agglomération d'alvéoles en béton armé (1953).
Industries portuaires
L'intensification des activités liées au transit maritime et fluvial durant la deuxième moitié du XIXe siècle, période de croissance économique générale, joua un rôle de tout premier plan dans l'industrialisation de la Charente-Maritime. Bien évidemment l'installation d'infrastructures portuaires adéquates, avec la construction de bassins à flot, donna un premier élan, mais paradoxalement c'est surtout l'implantation du réseau ferroviaire reliant la côte à l'arrière-pays, qui permit le développement de l'industrie portuaire. Ainsi, de nombreux industriels tirèrent profit des vastes terrains situés à proximité du port de la Pallice à La Rochelle ouvert en 1891, qui étaient facilement desservis par une voie ferrée. D'autres zones d'industries portuaires s'aménagèrent à Rochefort, Tonnay-Charente, Marennes et Mortagne-sur-Gironde.
Ces industries s'apparentaient soit à la pêche, soit à la transformation des matières premières importées. En 1932, La Rochelle était encore le deuxième port de pêche de France, après Boulogne, mais aucune trace de conserverie de poisson ne subsiste, ni à La Rochelle, ni dans les autres ports du département. Les déchets de poisson étaient utilisés, dans l'usine Dahl d'Aytré par exemple, pour la fabrication de farines et d'huiles, employées aussi bien comme lubrifiants que pour la préparation ou la conservation des cuirs. Traités par des procédés chimiques spécifiques, ils entraient également dans la composition d'engrais : l'entreprise Jodet-Angibaud, créée en 1877 à Aytré, produisait ainsi du guano de poisson.
A ces établissements s'ajoutèrent d'autres usines. Une filature de jute et de chanvre, par exemple, fut fondée en 1901 à la Pallice, sous le nom de Comptoir Linier. Cette entreprise dépendait d'un grand groupe du nord de la France ; les balles de jute arrivaient par bateau. Des usines de constructions navales virent aussi le jour dans divers ports. La plus importante, l'usine Decout-Lacour, qui devint plus tard Les chantiers navals de La Rochelle-Pallice, s'installa dans les années 1900 et loua les deux formes de radoub du port. Non loin d'elle, une usine d'hydravions fut créée en 1939 ; démolie pendant la guerre, elle fut reconstruite en 1946.
C'est en raison du débarquement et du montage de wagons importés après la Première Guerre par les Américains que la société Middletown Car Company implanta, dans l'ancienne gare de La Rochelle, une usine de matériel ferroviaire. Celle-ci fut transférée à Aytré vers 1923 sous le nom des Entreprises industrielles charentaises ; elle fait actuellement partie du groupe Gec-Alsthom.
La branche industrielle la plus importante regroupe cinq usines d'engrais minéraux et une usine de produits chimiques divers. Toutes occupaient d'immenses sites (la Compagnie royale asturienne des mines s'étendait sur un terrain de 100 ha à Tonnay-Charente) et ont marqué de façon indélébile le paysage. Les ports, desservant une région agricole très riche et en pleine mutation, sont devenus des centres importants de production d'engrais artificiels. Ils importaient des pyrites en provenance d'Espagne et du Portugal, des phosphates d'Afrique du Nord et des nitrates de soude du Chili. La première de ces usines fut créée en 1865 à Marennes. On y transformait le sel marin en sulfate de soude, soude brute, sels et cristaux de soude ou en chlorure de chaux. Elle fut rachetée dès 1867 par la société lyonnaise Perret et Olivier, qui elle-même s'associa, en 1872, avec la Compagnie de Saint-Gobain. Cette dernière racheta également en 1899 une autre usine à Tonnay-Charente pour la production de superphosphates. D'autres implantations suivirent, notamment à la Pallice, comme celle de la Compagnie du Phospho-Guano en 1897. Au total, cinq usines de produits chimiques y fonctionnaient aux alentours de 1915, lorsque la Première Guerre mondiale obligea à suppléer aux importations allemandes et à remplacer les productions du nord-est de la France. Les fabrications furent certes stimulées, mais aussi en partie détournées des objectifs traditionnels, et orientées vers les besoins urgents et massifs de l'industrie des explosifs, qui exigeait oléum, acide sulfurique, phénol et mélinite. C'est ainsi que fut créée en 1915, à la Pallice, l'usine de la Société pour l'industrie chimique en France, qui produisait 10 t d'acide picrique exportées journellement vers la Russie, 100 t d'acide sulfurique et 40 t d'oléum pour la France. C'est également à cette époque que s'installa la Compagnie royale asturienne des mines, à Tonnay-Charente, pour la production de zinc raffiné entrant dans la composition des laitons de munitions. Après la guerre, ces entreprises furent restructurées pour reprendre leur production traditionnelle, notamment celle de superphosphates. L'usine de la Société pour l'industrie chimique en France fut rétrocédée en partie à l'Union française d'engrais et de produits chimiques, pour la fabrication d'engrais, et en partie à la Société alsacienne de produits chimiques, pour la fabrication d'acide sulfurique et de phénol. La Compagnie royale asturienne des mines produisit, outre du zinc brut et raffiné, du zinc laminé.
Les nombreuses implantations industrielles de la fin du XIXe siècle ont considérablement accru les importations de charbon en provenance du Pays-de-Galles ou d'Ecosse, mais également de la Ruhr. Ce combustible arrivait sous forme pulvérulente. Des fabriques de briquettes pour l'industrie ou de boulets pour le chauffage s'installèrent donc à proximité des ports. A Tonnay-Charente subsiste une usine d'agglomérés de houille, créée en 1899 par la société Delage et Cie, et rachetée en 1901 par la maison Charvet, propriétaire d'usines de ce type dans la région de Lyon et Saint-Etienne. L'outillage n'a guère changé et la machine à fabriquer des briquettes, photographiée vers 1910, est toujours en activité. C'est également l'approvisionnement régulier en charbon qui a entraîné l'implantation de la cimenterie de Mortagne-sur-Gironde non loin du port, où étaient déchargés chaque mois trois ou quatre bateaux de charbon par 90 dockers. Le ciment était ensuite expédié par la voie ferrée longeant l'usine.
Ces usines forent presque toutes créées par de grandes sociétés nationales, qui firent l'objet de rachats successifs et changèrent de raison sociale au gré des différents regroupements et fusions. La Société alsacienne de produits chimiques à la Pallice, acquise par la Société de produits chimiques Thann et Mulhouse en 1940, devint usine des Terres rares en 1946, puis fut reprise en 1962 par Péchiney avant d'être intégrée au groupe Rhône-Poulenc en 1972. La Compagnie Saint-Gobain, héritière de la Manufacture des glaces créée au XVII5 siècle, était implantée à Marennes et à Tonnay-Charente. Le siège de la Compagnie du Phospho-Guano, à la Pallice, était à Paris ; il existait une autre usine à Honfleur.
Les techniques de fabrication ont profondément évolué et, par conséquent, il ne reste que très peu de traces des installations d'origine. Les usines d'engrais se distinguaient par leur très grande superficie couverte. Le processus de fabrication étant continu et la demande, saisonnière, les industriels devaient disposer d'immenses magasins pouvant stocker jusqu'au tiers de la production annuelle. L'utilisation d'acides interdisait de couvrir ces vastes entrepôts de charpentes métalliques ; ils étaient donc en pan-de-bois et bardage de bois. Le béton armé sera cependant mis en oeuvre à partir des années 1920 à la Compagnie du Phospho-Guano. Le métal ne sera utilisé que pour les bâtiments de stockage des matières inertes. A partir des années 1960, la technique du bois lamellé et collé tend à se généraliser.
L'un des produits dominants de l'industrie chimique est l'acide sulfurique, qui sert de base à de nombreuses fabrications. Les techniques de son élaboration ont fortement évolué depuis un siècle. A la fin du XIXe siècle, le gaz sulfureux, obtenu par la combustion de minerais dans un four, passait dans un premier organe, la tour de Glover, puis dans des chambres de plomb, où la transformation en acide sulfurique s'effectuait. Les gaz résiduels traversaient ensuite une ou deux colonnes de Gay-Lussac, avant d'être rejetés dans l'atmosphère par une cheminée d'évacuation d'une hauteur assez considérable pour en assurer la dispersion. Fours et chambres de plomb étaient abrités dans de très vastes bâtiments. La Compagnie royale asturienne des mines se dota dans les années 1930 d'une installation de type Petersen : les tours en fer qui remplaçaient les chambres de plomb permettaient alors un gain de place de 90 %. En 1953, la Compagnie du Phospho-Guano employait encore le procédé Kaschkaroff, assez proche du procédé Petersen. Le procédé dit de contact prit de l'essor après la Première Guerre mondiale : le gaz sulfureux était oxydé par l'oxygène de l'air en présence de catalyseurs solides dans un cylindre en tôle, de 3 à 4 m de haut sur un diamètre de 2 m, contenant un faisceau de tubes remplis d'amiante platinée.
Les superphosphates, quant à eux, étaient également fabriqués dans chacune des usines d'engrais étudiées. Ces engrais artificiels résultaient de l'action de l'acide sulfurique sur un phosphate minéral. A partir des années 1950, de nouveaux procédés de fabrication répondirent à la demande de la clientèle agricole, qui préférait la présentation des engrais sous forme granulée et l'augmentation de leur concentration en éléments fertilisants. Furent alors mis au point les engrais complexes auxquels des superphosphates servaient de base. Actuellement, des poudres (phosphate, potasse, sulfate d'ammonium) sont mélangées, comprimées pour former un produit dur, lui-même concassé, sec, et dont la formule peut être adaptée aux besoins de chaque client.
Les tâches pénibles autrefois attachées aux industries chimiques ont disparu et les opérations sont continues, mécanisées et souvent automatisées. Les unités de production ne sont plus intégrées dans les bâtiments, mais édifiées à l'air libre en raison de leurs grandes dimensions et de l'évolution et de la modernisation des procédés de fabrication. Une salle de contrôle centralisée permet la surveillance de l'ensemble des activités.
Ces industries, où les conditions de travail étaient très difficiles pour la main-d'oeuvre, ont été à l'origine de nombreux conflits sociaux. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles les patrons ont développé très tôt une politique sociale. Lors de sa fondation vers 1901 à La Rochelle, le Comptoir minier, dépendant d'un groupe du nord de la France, copia les réalisations sociales des industries textiles et minières en édifiant une cité ouvrière de 42 logements et une crèche. A Tonnay-Charente, la Compagnie royale asturienne des mines fit bâtir vers 1916 une cité de 24 logements, sous la forme de deux barres de 14 et 10 habitations, et 6 logements de contremaîtres. Les façades de ces derniers, également regroupés en bande, ont reçu un traitement soigné les différenciant les unes des autres. De cette usine dépendaient également un grand bâtiment regroupant un réfectoire et des chambres, et une autre cité pour les travailleurs étrangers saisonniers. Dans la même commune, la Compagnie de Saint-Gobain a fait construire, en 1929, trois barres de 8 logements d'ouvriers.
Beaucoup d'établissements portuaires ont, semble-t-il, cessé leur activité en raison de l'insuffisance des voies de communication vers l'intérieur du pays. Leur rayon de diffusion, trop restreint, les a condamnés. On l'a vu, l'interdépendance est étroite entre l'économie régionale et les ports, et il est difficile de savoir si c'est de l'étroitesse du marché ou de l'absence de politique ambitieuse de l'aménagement portuaire que provient cette baisse d'activité. Toujours est-il qu'actuellement ne fonctionnent que deux usines d'engrais (Socofer à la Pallice et SECMA à Tonnay-Charente), une usine de produits chimiques (les Terres rares de Rhône-Poulenc à la Pallice), une usine d'agglomérés de houille (Charvet à Tonnay-Charente) et une usine de matériel ferroviaire (Gec-Alsthom).
Depuis les années 1950, quelques activités liées aux ressources locales se sont développées. Les industries alimentaires se sont diversifiées et la biscuiterie est devenue une spécialité à Pons et Saint-Jean-d'Angély. L'industrie bée à la préparation de l'argile blanche a pris de l'essor (Clérac, Saint-Aigulin). Il en est de même pour le déroulage des bois, mais le peuplier a été délaissé au profit du bois exotique importé par la Pallice (Loulay, Dampierre-sur-Boutonne, Poursay-Garnaud, Rochefort et Saint-Jean-d'Angély). D'anciens établissements urbains, trop à l'étroit intra muros, se sont installés en périphérie de ville (biscuiterie Colibri, à Pons). Parallèlement, la politique de décentralisation a généré la transplantation d'entreprises, venant le plus souvent de la région parisienne, à proximité des agglomérations les plus importantes, et notamment, à La Rochelle, dans les zones de Périgny (l'usine automobile Simca rachetée en 1978 par Peugeot) et de Chef-de-Baie (Compagnie industrielle de télécommunications). Mais avec cet aménagement concerté du territoire, c'est surtout une industrie de transformation, n'ayant plus rien à voir avec les ressources locales, qui s'est développée. Dans ces quartiers industriels, desservis par de grands axes routiers, où les usines se déploient sans contrainte, les bâtiments se présentent sous la forme de cubes revêtus de bardage métallique. Ce type d'implantation, cette forme et ce revêtement sont désormais caractéristiques de la construction industrielle depuis les années 1960.
Les minoteries
Quarante d'entre elles ont été recensées, qui assuraient en 1965 la mouture d'une grande partie de la récolte de blé arrivant au deuxième rang dans le Poitou-Charentes après la Vienne (doc.) En 1966, on n'en mentionne plus que 33 en fonctionnement (PINARD, Jacques. Les industries du Poitou et des Charentes : étude de l'industrialisation d'un milieu rural et de ses villes. Poitiers : S. F. I. L., 1972. p. 200).
Les distilleries
La betterave à sucre introduite en Aunis sous le Premier Empire ne donnait guère de résultats satisfaisants : "les terrains ne sont pas propres à cette racine" écrivait en 1812 le maire de Saint-Martin -de-Villeneuve au sous-préfet. En 1840 est créée la première sucrerie aunisienne, celle de Ballon, qui ferme quelques années plus tard en 1848. Relayant Ballon, ouvrent successivement les sucreries de Saint-Rogatien, du Gué-d'Alléré et de Chambon, mais chacune demeure artisanale. Pour réparer les désastres causés dans la région par le phylloxéra, la Société des sucreries de l'ouest fait construire à Pons une fabrique de sucre de betterave, bénite par l'évêque le 30 octobre 1881 (Bulletin religieux, 18e année, 5 nov 1881, p. 215). En 1892 à Forges-d'Aunis ouvre une autre sucrerie industrielle, sous forme coopérative. En 1912, cinq distilleries existent à côté de celle de Forges-d' Aunis. La guerre de 1914-18 fut fatale à la betterave, et malgré le petit regain entre les deux guerres, sa culture ne fit que diminuer. En 1961, l'usine de Forges, la dernière à subsister, a fermé ses portes, et ses bâtiments ont aujourd'hui disparu.